Elle montra une disquette de stockage de données. « Ceci contient les codes de l’Alliance requis. L’amiral Geary me les a fournis au cas où il me faudrait envoyer un message crypté par vos canaux.
— Très bien. » Rogero fit signe à l’opérateur des trans. « Disposez ! »
L’opérateur se leva, salua et quitta le compartiment sans piper mot.
« Tes gens ne sont guère enclins à poser des questions, fit remarquer Bradamont en s’asseyant devant la console.
— La hiérarchie syndic voit d’un très mauvais œil les travailleurs trop curieux, répondit Rogero en fermant et verrouillant l’écoutille. S’agissant de mes soldats, c’est une leçon apprise durant toute leur vie et à laquelle ils se soustraient difficilement. »
Elle l’observa longuement puis se fendit d’un sourire fugace. « Tu n’as pas l’air de l’avoir retenue, toi.
— Non, et tu vois où ça m’a mené. On m’a affecté au personnel d’un camp de travail et je me suis retrouvé à deux doigts de faire partie des résidents d’un second. Sans le général Drakon, j’y serais probablement mort.
— Moi aussi, lâcha-t-elle en reportant le regard sur le matériel de transmission. Avant que tu ne me l’apprennes, je ne m’étais pas rendu compte qu’il avait suggéré lui-même aux serpents de tirer parti de notre liaison. S’il ne l’avait pas fait, ils n’auraient jamais laissé filtrer l’information de mon transfert vers un autre camp de travail. »
Rogero hocha la tête. « C’est un homme bon. Il n’y croit plus lui-même, mais moi si. »
Nouveau bref silence pendant qu’elle le scrutait. « Et pourquoi ? Pourquoi Drakon a-t-il une si mauvaise opinion de lui-même ?
— C’était un CECH. Atteindre cet échelon et survivre dans un tel système exige de chacun des pratiques qui ont de quoi lui ronger l’âme. J’ai connu trop de CECH qui ne semblaient guère s’inquiéter de perdre la leur. Le général Drakon a réussi à garder la sienne pratiquement intacte. » Rogero se tapota la poitrine du poing. « Mais ça veut aussi dire qu’il reste conscient des torts qu’il a faits.
— L’ignorance est une bénédiction, marmonna Bradamont. Cette guerre a été une horreur. Mais quelle guerre ne l’est pas ? Nous en gardons tous les cicatrices intérieures.
— Ce n’était pas seulement la guerre, Honore. C’était le régime lui-même. Le système syndic. C’était dévorer les autres ou être dévoré par le système. »
Elle hocha la tête, cette fois sans le regarder. « Mais tu as fait une croix sur ces pratiques. Tu vas t’y prendre plus correctement. Du moins si le général Drakon et la présidente Iceni ne sabotent pas tout. » Bradamont se rejeta en arrière et se passa la main dans les cheveux. « Tout est prêt pour la transmission. De quoi ai-je l’air ?
— Plus belle que jamais. »
Elle éclata de rire. « Heureusement que nous sommes seuls.
— Et dommage que nous ne puissions pas le rester plus longtemps là-dedans, d’autant qu’on y est à l’étroit.
— C’est sans doute un bien pour un mal. Bon. Recule le plus possible. Nous devons nous assurer qu’on ne te verra pas dans l’image. »
Rogero se recroquevilla autant qu’il le pouvait et attendit.
Bradamont appuya sur une touche, le regard braqué sur l’objectif. « Amiral Timbal, ici le capitaine Honore Bradamont, ex-commandant du Dragon. L’amiral Geary m’a détachée de la flotte lorsqu’elle a regagné le système de Midway et m’a affectée aux fonctions d’officier de liaison auprès de son gouvernement et de ses autorités militaires. Midway est dorénavant complètement indépendant des Mondes syndiqués. Il dispose d’un gouvernement stable, qui emprunte une voie bien plus démocratique et qui a aidé les systèmes voisins à se débarrasser de la tutelle syndic. Ses vaisseaux ont épaulé notre flotte lors de la dernière bataille contre les Énigmas qui s’est déroulée sur place. Midway a besoin du personnel de sa flottille de réserve pour armer ses vaisseaux en chantier et se défendre contre les tentatives des Syndics pour le reconquérir.
» L’amiral Geary est de retour de Midway pour Varandal, mais il a été retardé par une intervention syndic. J’ignore sur quoi il est tombé exactement, mais nous avons appris que Prime disposait maintenant d’un moyen de bloquer provisoirement son hypernet. Cette mesure a contraint l’amiral à conduire sa flotte à Sobek. Il rentrera assurément chez lui depuis ce système, mais peut-être, en dépit du traité de paix, aura-t-il rencontré entre-temps une certaine opposition syndic. La flotte a essuyé des dommages considérables dans l’espace Énigma, alors qu’elle s’y frayait un chemin en combattant, puis lors d’une bataille avec une deuxième espèce extraterrestre et, encore après, à l’occasion d’une nouvelle agression de Midway par Énigma. Elle est également extrêmement alourdie par la présence d’un vaisseau de guerre extraterrestre arraisonné qu’elle ramène dans l’espace de l’Alliance, et de six autres bâtiments appartenant à une troisième espèce extraterrestre qui, elle, cherche à nouer avec nous des relations amicales.
» Je peux vous fournir de plus amples informations sur les succès remportés par l’amiral Geary durant cette mission, mais il s’agit d’un sujet extrêmement sensible. En outre, compte tenu de mon affectation à Midway, je ne tiens pas à ce qu’on soit informé de mon passage à Varandal. Le QG annulerait certainement l’ordre de l’amiral Geary, mettrait un terme à mes fonctions d’officier de liaison et m’ordonnerait de me présenter au rapport pour lui fournir tous les renseignements que je détiens, sans considération pour la manière dont l’amiral Geary voudrait qu’ils lui soient présentés à son retour.
» Je reste bien entendu à vos ordres. Mais mon interprétation des instructions de l’amiral Geary m’incite à faire tout mon possible pour rapatrier ces prisonniers de guerre à Midway et, ensuite, continuer de surveiller ce qui s’y passe afin de transmettre aux autorités de l’Alliance tous les renseignements que je pourrai leur fournir. Je demande respectueusement l’autorisation d’entreprendre le plus tôt possible le transfert des prisonniers de guerre syndics sur les cargos placés sous le commandement du colonel Rogero.
» Capitaine Bradamont, terminé. »
Rogero attendit qu’elle eût coupé la communication pour réagir : « Ça devrait largement suffire à éveiller son attention quand il le recevra.
— Ouais, j’imagine. »
Il la scruta encore quelques secondes en se demandant s’il devait poser la question qui lui brûlait les lèvres, et il finit par s’y résoudre. « Tu y crois vraiment ? À ce que tu as dit sur la présidente Iceni et le général Drakon ? »
Elle soutint son regard. « J’ai dit quoi ? Que votre gouvernement était stable et qu’il entreprenait des réformes démocratiques ? C’est la vérité, autant que je sache.
— Que penses-tu réellement de la présidente Iceni ?
— Serais-tu en train de me tirer les vers du nez pour ton patron ? » persifla Bradamont. Le ton était léger, mais une lueur de défi brillait dans ses yeux.
« Non. Je veux seulement savoir ce que tu en penses. Je ne le répéterai à personne. »
Elle marqua une pause, se renfrogna légèrement puis le fixa. « Je pense que c’est une garce assez coriace. Et ça n’a rien de péjoratif.
— Rien de péjoratif ? Tu crois donc sincèrement qu’elle va faire quelque chose pour le peuple ?
— Ouais, j’en suis sûre. Ne te mets surtout pas en travers de son chemin. J’ai l’impression que ceux qui s’y risquent le regrettent ensuite amèrement.
— Et son premier assistant ? Ce type, là, Togo ? »
Bradamont secoua la tête. « Pour moi, il reste une énigme. Je n’en sais pas assez sur lui. Maintenant, donne-moi ton avis sur les deux aides de camp de ton général. »