Выбрать главу

Amis et alliés. Drakon vit Iceni fixer l’écran et, l’espace d’une seconde d’inattention, afficher une moue anxieuse à la vue, non pas de la flotte Énigma ni de la flottille syndic, mais de la représentation de celle de Midway. Des vaisseaux sur qui reposait sa puissance. « Colonel Malin, sauriez-vous décrire tous les scénarii possibles où les vaisseaux de la flottille de Midway survivraient, même si nous réussissions tous à nous en tirer ? »

Malin réfléchit un instant puis secoua la tête : « À moins d’un miracle, je n’en vois qu’un seul, mon général. Il faudrait qu’ils fuient vers un point de saut laissé sans surveillance. Nul ne pourrait les arrêter, pas même nous.

— Et les officiers et matelots qui se trouvent à leur bord le savent certainement.

— Oui, mon général. Tout comme la kommodore Marphissa. Elle est trop compétente pour n’être pas consciente du sort qui guette assurément ses vaisseaux s’ils ne cherchent pas à fuir.

— Donc, si nous réussissions à survivre, ces vaisseaux, eux, n’y parviendraient pas. S’ils restent, ils sont condamnés. » Iceni y perdrait le bouclier qui la protégeait du marteau-pilon de ses forces terrestres, et toute possibilité de négocier avec Boyens et lui-même.

« C’est vrai, mais, s’ils fuient, c’est notre propre perte qui devient certaine, corrigea Malin. Toute chance d’inciter par le bluff les Énigmas à déguerpir ou de négocier avec le CECH Boyens disparaîtrait avec eux. Soit ils sont voués à l’anéantissement au cours d’un combat désespéré, soit ils causent notre perte en prenant leurs jambes à leur cou. »

Si Marphissa avait été une CECH syndic, Drakon saurait à quoi s’attendre de sa part. Il n’y a rien à gagner dans une bataille perdue d’avance. Mais, si ces vaisseaux choisissaient de rester, si Marphissa était consciente de ce que cette décision aurait de vital pour la survie d’Iceni, quel prix une personne élevée dans le système syndic pourrait-elle bien exiger en contrepartie du sacrifice quasiment certain de ses vaisseaux ?

Pas étonnant, donc, qu’Iceni fixe avec une telle amertume, comme si elle entrevoyait le pire, la représentation de ses vaisseaux.

Une tonalité aiguë signalant l’arrivée d’un message à haute priorité se fit entendre : « La kommodore Marphissa aimerait s’entretenir avec vous, madame la présidente », annonça le technicien des trans.

Chapitre deux

« Madame la présidente, inutile, j’imagine, de vous exposer quelles options s’offrent à nous, déclara la kommodore Marphissa en y mettant le même formalisme exagéré que si elle prenait la parole pour un service funèbre.

— En effet », convint Iceni en s’efforçant de ne pas révéler par son maintien ni son expression la boule de glace qui se formait au creux de son estomac, alors qu’elle s’attendait à ce que son interlocutrice la trahît ouvertement ou exigeât un prix exorbitant pour lui garder sa loyauté. Elle n’avait toujours pas quitté le centre de commandement et savait que Drakon l’observait encore, non loin, même s’il ne pouvait pas entendre la conversation. « Que désirez-vous ? »

Dans la mesure où le vaisseau amiral de Marphissa (l’ex-croiseur lourd C-448 des Mondes syndiqués, rebaptisé Manticore) se trouvait sur une orbite proche de la planète, on n’avait conscience d’aucun délai dans la transmission. Néanmoins, la kommodore marqua une pause comme si elle hésitait à s’exprimer.

Le premier pas de géant vers la trahison est le plus difficile à franchir, songea amèrement Iceni. Ne te bile pas, ma fille. Ça devient plus facile ensuite. Mais la présidente ne s’attendait pas aux paroles suivantes de la kommodore.

« Je demande l’autorisation de rejoindre avec ma flottille les deux croiseurs lourds stationnés près de l’installation des forces mobiles gravitant autour de la géante gazeuse.

— Dans quel but ? » s’enquit Iceni sans chercher à dissimuler sa surprise. Ramener ses vaisseaux près de la géante gazeuse à cet instant de sa révolution rapprocherait considérablement Marphissa et sa flottille des Énigmas, mais beaucoup moins de Boyens et de sa formation.

« Défendre notre système stellaire, s’expliqua Marphissa. Et sa population. »

Iceni secoua la tête, autant pour marquer son étonnement que son désaccord. Cette femme s’est élevée jusqu’au niveau de cadre exécutif dans la hiérarchie syndic. Elle a dû apprendre à négocier plus habilement que cela. « Permettez-moi de mettre cartes sur table, kommodore. Je vous le répète, que désirez-vous ?

— Regrouper mes forces, madame la présidente.

— Même ainsi réunies, vos forces seraient incapables d’affronter la menace que pose un seul de nos adversaires présents dans le système. » Si elle voulait s’adjoindre les deux autres croiseurs lourds, il lui suffirait de leur ordonner de rallier sa flottille sur le chemin d’un des points de saut. Pourquoi donc refuse-t-elle d’exposer ses exigences ?

Mais la kommodore Marphissa se contenta de marquer son assentiment d’un signe de tête. « Oui, madame la présidente, c’est tout à fait exact. Nous ne pouvons guère espérer vaincre l’armada Énigma ni la flottille syndic. Mais, en combinant mes forces, j’aurai davantage de chances de leur porter quelques coups fatals avant l’anéantissement de mes vaisseaux. Nous nous battrons jusqu’au dernier moment. »

Déstabilisée par ces propos inattendus, Iceni se sentit cette fois hésiter. Pas d’exigences, pas même le baiser de Judas, juste un témoignage d’abnégation ? Ce n’est pas que du blabla ? Tu y crois sincèrement ? « Kommodore, commença-t-elle, bien décidée à jouer franc jeu, vous êtes consciente que je ne peux vous contraindre à prendre ce parti. Et que vous-même avez d’autres options. »

L’image de Marphissa hocha de nouveau la tête. « Bien sûr qu’il en existe d’autres, madame la présidente.

— En ce cas, pourquoi resteriez-vous pour combattre, kommodore ?

— Au nom du peuple, madame la présidente.

— Qu’est-ce que vous avez dit ? lâcha Iceni, persuadée d’avoir manqué la réponse de Marphissa et croyant n’avoir capté que la fin de la transmission.

— Je reste, comme cette flottille, pour défendre le peuple, madame la présidente. »

Iceni s’accorda de nouveau quelques secondes avant de répondre, le temps de chercher ses mots. « Pour défendre le peuple ? Vous comptez livrer un combat perdu d’avance pour des gens qui mourront de toute façon ? Pour un idéal ?

— La mort nous guette tous tôt ou tard, madame la présidente. Je préfère mourir pour un idéal que pour un profit, ou vivre en sachant que je n’ai pas fait tout ce qui était en mon pouvoir pour défendre ceux qui en sont incapables. Je sais que vous ne me posez la question que parce que vous voulez être certaine que j’y crois autant que vous, et que je suis prête à mourir pour ceux qui comptent sur moi. »

Cette fois, Iceni eut du mal à ne pas trahir sa stupeur. Mourir pour le peuple ? Me croit-elle à ce point naïve ?

J’ai repoussé le conseil de Togo m’avisant de fuir sans délai. Mais je l’ai fait parce que…

Pourquoi diable l’ai-je fait ?