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« Avancez ! » beugla Rogero à un groupe qui avait inexplicablement pilé net et embouteillait complètement une importante intersection de coursives. Les travailleurs déguerpirent comme des biches apeurées, et il entendit soudain crier son nom.

« Donal ! »

Le colonel reconnut l’homme et la femme qui se dirigeaient vers lui en jouant des coudes, mais il dut fouiller dans sa mémoire pour les situer : le sous-CECH Garadun et la cadre supérieure Ito. De… D’un croiseur de combat. Lequel, il ne s’en souvenait plus. Ils s’étaient croisés plusieurs fois lors de réunions officielles ou d’événements mondains consécutifs à ces réunions. Point tant d’ailleurs qu’elles fussent informelles et qu’on y apprît grand-chose sur les cadres syndics (dont ces deux-là) qu’on y rencontrait. Tout le monde y soupçonnait la présence de serpents émaillant l’assistance, sans même parler d’un matériel de surveillance pléthorique qui, comme eux, était à l’affût du moindre témoignage de déloyauté. Les galas et soirées officiels du Syndicat fournissaient sans doute un buffet gratuit et des boissons à volonté, mais, dans la mesure où ils étaient destinés à enivrer suffisamment les invités pour qu’ils se laissent aller à prononcer des paroles compromettantes, les gens avisés limitaient le nombre de leurs consommations, ce qui rendait très collet monté ces soirées soi-disant « décontractées », puisque chacun surveillait ses paroles et son comportement, en même temps que les faits et gestes de ceux qui l’entouraient.

Garadun s’arrêta devant Rogero en souriant jusqu’aux oreilles. « C’est donc vrai ! Vous êtes venus nous chercher ! Pour une fois, les forces terrestres ont évincé les forces mobiles !

— Nous sommes du CB-77D, au cas où vous l’auriez oublié, ajouta Ito en s’arrêtant à son tour devant lui. Beaucoup de nos matelots ont réussi à l’évacuer quand il a été détruit, et ils sont encore avec nous maintenant. » Son sourire était presque aussi large que celui de Garadun. « C’est vrai, alors ? Le gouvernement syndic a disparu ?

— Pas exactement, rectifia Rogero. Il règne encore sur Prime. Mais nous l’avons chassé de Midway.

— Les serpents… ?

— Morts. On les a abattus. » Le colonel lui-même sentit la fierté percer dans sa voix. Et pourquoi pas ? C’était la stricte vérité.

Garadun et Ito échangèrent un regard. « Il crève les yeux que vous disposez de forces terrestres. Mais avez-vous des forces mobiles ? s’enquit le premier.

— Pourquoi sommes-nous là, d’après vous ? Nous avons besoin de spatiaux entraînés.

— Comment avez-vous su que vous deviez venir les chercher ici ? demanda Ito. Qu’il restait des survivants ? »

Rogero se gratta la gorge pour gagner quelques secondes. « Que savez-vous exactement ? De ce qui s’est passé après…

— Après notre capture ? le coupa Garadun. Pas grand-chose. Les gardes de l’Alliance affirmaient que la guerre était finie, qu’ils l’avaient gagnée. Peut-être était-ce vrai. Nous n’y avons pas cru, mais comment savoir ? Puisque vous êtes venus nous chercher, c’est peut-être nous qui avons gagné.

— C’est l’Alliance qui l’a emporté. Black Jack. »

Ito secoua la tête, le regard noir. « Il n’est pas humain. C’est un démon. Forcément.

— Il nous a sauvés ! » cracha Rogero. Il lut la stupéfaction sur leur visage. « Après avoir brisé le gouvernement syndic et mis un terme à la guerre par la force, il a conduit sa flotte à Midway et repoussé une attaque des Énigmas qui cherchaient à s’emparer du système.

— Il a vaincu les Énigmas ? » Garadun le dévisagea fixement.

« Un démon », répéta Ito.

Le moment est sans doute mal choisi pour relater les événements complexes qui ont conduit l’infâme Black Jack à se faire le sauveur de Midway, songea Rogero. « Quoi qu’il en soit, le gouvernement syndic a failli, comme les méthodes qu’il employait. Tout cela a échoué. La présidente Iceni et le général Drakon tiennent à présent les commandes à Midway. Nous sommes libres. » Il vit leur réaction à ce dernier mot et sourit. « Une escorte nous attend à Atalia. Des croiseurs et des destroyers qui nous sont loyaux, sous les ordres de la kommodore Marphissa…

— La kommodore ? » Au tour de Garadun de secouer la tête. « Je ne connais pas de Marphissa.

— Elle était cadre exécutif sur un croiseur lourd. L’élimination des loyalistes syndics a laissé d’énormes brèches dans la chaîne de commandement et offert de nombreuses opportunités d’avancement. Écoutez, nous ne disposons que d’un matériel restreint pour vous passer au crible. Que pouvez-vous me dire de l’état de santé de chacun ? La plupart de ceux que nous avons déjà recueillis ont l’air en assez bonne forme. Je ne constate aucune vieille blessure mal soignée. » Il était vain d’expliquer pourquoi il s’était précisément mis en quête de telles lésions. Au sortir d’un camp de travail syndic, c’eût été de la routine.

Garadun détourna le regard. Il fulminait.

Ito lui lança un regard empreint de commisération puis adressa un signe de tête à Rogero. « Autant nous avons un certain mal à le reconnaître, autant ces raclures de l’Alliance nous ont bien traités. Pas le grand luxe, certes. L’ordinaire était insipide mais suffisant. Nous devions nous appuyer quelques corvées de nettoyage dans le camp où nous étions détenus, mais pas de travaux forcés. On nous administrait des soins médicaux si besoin, mais pas davantage. Un régime de prisonniers de guerre, mais aucune maltraitance.

— Typique de Black Jack, gronda Garadun. Les gardes n’arrêtaient pas d’en parler. Il a écrasé notre flottille et tué beaucoup de nos amis, mais nous lui devons au moins ces bons traitements. Nous allons bien, Donal. Vous ne devriez pas tomber sur des problèmes sanitaires bien graves. » Il fixa Rogero d’un œil sceptique. « Aucun CECH ? Vous disiez qu’Iceni et Drakon avaient pris les gouvernes.

— Pas en tant que CECH. » D’un coup de tête, Rogero indiqua le flot de gens qui passaient devant eux. « Ils nous ont envoyés vous chercher. C’était très dangereux et très coûteux, mais ils l’ont quand même fait. »

L’argument porta. On tenait tout bonnement pour acquise la désinvolte indifférence dont faisaient preuve les dirigeants syndics envers leurs travailleurs et cadres subalternes. « S’ils l’ont fait, j’imagine qu’effectivement ils ne sont plus des CECH, et ce à plus d’un titre, fit remarquer Garadun.

— Qu’attendez-vous de nous ? demanda Ito.

— Que vous nous aidiez à garder le contrôle de la situation. À faire circuler vos gens. Nous devons faire entrer dix kilos de travailleurs dans un cabas d’une contenance de cinq. Ensuite, il restera un très long trajet de retour. Tâchez de faire le tri et de repérer qui compte rester loyal au Syndicat. Nous larguerons ces gens-là sur une planète qu’il contrôle encore. Y a-t-il des serpents dans vos rangs ?

— Très bizarrement, aucun de ceux qui accompagnaient notre flottille n’a survécu, laissa tomber Ito avec un doux sourire parfaitement assorti à sa voix atone.

— Parfait. » Rogero se tut brusquement : un silence mortel venait de se faire autour de lui. Il se rendit compte que Garadun et Ito fixaient quelque chose dans son dos, se retourna et aperçut Bradamont. Jusque-là, elle avait patienté dans le compartiment des trans, hors de vue. Seule une affaire urgente avait pu l’en faire sortir.