La Japonouille se met à regarder ailleurs, nonobstant les regrets qu’elle en conçoit, et Bibi, je mate en moi pour vérifier si je m’y trouve encore, because les choses se déroulent de manière un tantisoit anarchique, me semble-t-il, et je commence par ne plus savoir du tout pour quelle maison d’import-export je voyage.
Dès lors, je décide d’attendre Kaufmann. D’aimables clochettes champêtres continuent de tintinnabuler sous ma coiffe, consécutivement au coup de tronche imparable de mon copain Bob. Il a dû jouer au foot pour réussir des têtes de cette qualité. Je me masse le front avec deux doigts, longuement, comme un judoman m’a appris à le faire dans les cas de migraines tenaces, et, magiquement, ma douleur s’atténue.
Une somnolence me gagne ; elle a de la chance : c’est moi le gros lot.
Les allées et venues ouatées de l’hôtel me bercent. Je décide de remettre mes préoccupations à plus tard et de laisser tous ces vilains points d’interrogation accrochés à leur tringle.
A quoi bon se mettre la rate au court-bouillon, hein ? La suite va me prouver que j’ai raison.
D’ailleurs, je l’ai remarqué, « avoir raison » n’est jamais occasionnel. On « a raison » ou l’on « a tort » une fois pour toutes.
Je suis extirpé de ma torpeur par l’arrivée de deux clients qui n’ont rien de très particulier à vrai dire, si ce n’est que l’un d’eux porte à son index une cage à oiseaux vide. Il la tient avec onction, ce qui accroît l’aspect ubuesque de la scène. Il est peu fréquent qu’un malabar à mine grincheuse déboule dans un palace porteur d’un tel objet. De plus, le fait qu’il n’y ait pas d’oiseau dans la cage accentue son côté saugrenu.
Les deux gonziers vont à la réception pour s’annoncer. Intrigué, je m’en rapproche, mine de rien. Je constate que le fond de la cage est tapissé de menus graviers parsemés de fientes récentes, ce qui donne à penser qu’un pensionnaire occupait la cage naguère.
Un jeune employé de la réception s’en va réclamer deux clés au concierge et escorte ces messieurs à leur appartement. Il a un geste pour proposer de se charger de la cage, mais celui qui en est lesté dénègue avec brusquerie, et bon, ça va bien, merci : le trio s’engouffre dans l’ascenseur. Je suis leur grimpette du regard sur le cadran lumineux. Quatrième étage, stop.
Pourquoi ai-je éprouvé un sentiment étrange, une sorte de pincement dans la poitrine, à la vue de ces deux types ? La cage vide prête seulement à sourire, et cependant elle ne m’a pas amusé un instant. Elle m’a comme inquiété au contraire, oui, c’est le mot, un peu comme si je la croyais piégée et propre à exploser à tout moment.
Manière de me désendolorir l’angoisse, je file au bar écluser une vodka-orange, avec beaucoup de poivre. Ça réveille. Un bon coup de chalumeau dans la tuyauterie, voilà qui t’énergise.
Et puis Kaufmann se pointera peut-être pendant que je me décape les amygdales.
L’attente, ça se conjure comme le mauvais sort. J’en bois deux. Voilà qui dissipe les séquelles du coup de tronche de Bob. Extérieurement, elles subsistent cependant et un large bleu évoquant les contours de la Suisse s’étale sur mon front de grand penseur qui dépense beaucoup trop. Faudra que je porte un bonnet de laine si ça devient trop moche.
Le gargouillet sonne, discrètement. Le barman qui préparait un Pim’s au champagne achève d’enquiller un rameau de menthe fraîche entre des quartiers d’orange et de citron, pique une cerise confite sur l’édifice et se décide à répondre.
— Le bar, fait-il à mi-voix, pas déranger l’honorable clille venu s’apéritiver céans.
Il écoute et murmure :
— Un instant, je vous prie…
Il dépose le combiné sur une serviette empesée, pliée en quatre, que tu croirais, ce pauvre combiné, qu’on va l’opérer de l’appendicite.
Le loufiat me regarde :
— Je vous demande pardon, vous êtes monsieur Kaufmann ? il me questionne.
— En effet, m’empressé-je.
— On vous demande au téléphone, monsieur Kaufmann, voulez-vous prendre la communication en cabine ?
— Pas la peine.
Je tends la main, il va récupérer l’appareil, me l’offre et va livrer son Pim’s royal.
J’essaie de me rappeler l’accent de Kaufmann pour lancer dans l’appareil un « Hello » lent et claironnant.
Une voix de femme, gentiment triviale, me télescope le tympan :
— Eh ben ! qu’est-ce que tu fous, Baby ? Ça fait plus d’une heure que je t’attends et que je vais carillonner à ta chambre. Heureusement que j’ai eu l’idée d’appeler le bar, bougre de bois-sans-soif !
— Descends ! lui dis-je.
— T’es louf, Baby, je suis en tenue légère. C’est toi qui vas monter.
— O.K., mais je me rappelle plus ton numéro.
— Hé, dis, t’as éclusé combien de bourbons ? Tu parles d’un père-la-liche, tézigue ! Je suis au 414, grouille-toi, ce soir je dîne chez mes parents, c’est l’annif’ de maman.
Et, de la sorte, quelques minutes plus tard, je presse, sur un rythme qu’on dit convenu car tout un chacun emploie le même : « ta tagadagada tsoin tsoin », le timbre de la chambre 414. Je n’ai pas achevé mon solo que la porte s’ouvre et qu’une superbe pouliche apparaît dans toute la gloire de son cul et de ses nichons hors classe.
Pas nue. Mieux que ça : elle porte une sorte de chasuble vaporeuse et fendue de partout. Nuage ocré à travers lequel tu la constates, admirablement foutue, avec deux seins, pas un de plus mais pas un de moins, altiers, couronnés de brun. Des hanches mieux équilibrées que celles d’un violoncelle ; et alors, le fin des fins : sa chagatte fauve et le fessier du siècle. Pour la frimousse, « elle est à lavement », dirait Béru : rieuse, agréable, joliment troussée et pleine de beaux yeux noisette.
M’avisant, alors qu’elle attendait Grouchy, la ravissante employée d’une nouvelle Mme Claude (la chose est évidente, voire évidée) laisse aller sa surprise :
— Qui êtes-vous ?
— Un pauvre malheureux commissaire qui en a marre de faire la manche sous le porche d’une église et qui a décidé de venir bavarder au coin de l’âtre avec une personne aimable, réponds-je en lui produisant ma jolie carte barrée de tricolore.
La gosse renfrogne.
— Qu’est-ce que j’ai fait ?
Je lui souris rassuramment :
— Si nous ne rendions visite qu’aux gens qui ont « fait quelque chose », notre existence deviendrait un calvaire.
Vaguement rassurée, elle soupire :
— Bon, entrez.
Ce que j’empresse.
La môme va s’asseoir en tailleur sur le lit, disposant pudiquement un haillon de sa chasuble devant son trésor, manière de sauvegarder les convenances.
Moi, pas bégueule, au lieu d’aller encombrer un fauteuil qui ne me demande rien, je m’installe au pied du même plumard.
Et nous voici donc à soixante-deux centimètres l’un de l’autre, à nous contempler. Moi, me disant qu’une commère de ce gabarit doit te décapsuler le lutin folâtre superbement, elle continuant sans doute de se demander ce que lui veut un fringant poulet.
— Non, franchement, finit-elle par murmurer, c’est à quel propos ?
— A propos de rien. Je suis en affaires avec Kaufmann ; je l’attends et je vois que je ne suis pas le seul. Alors je me suis dit que nous pourrions l’attendre ensemble ; l’idée est mauvaise ?
— Ben, ça dépend, rétorque la môme.
— C’est quoi, votre prénom de travail ?
— Mélanie.
— Impec ! Toujours les cuisinières du répertoire à se prénommer ainsi, ça commençait à bien faire ! Moi, c’est Antoine. Vous savez, le petit cochon ?