Mélanie commence à sourire, ce qui est bon signe.
— C’est un rapide, l’Amerloque ? demandé-je en avançant la main jusqu’à son genou, et je ne sais plus de quelle main ni de quel genou il s’agit.
— Baby ! Il ne ferait que ça ! Il est monté sur boucle, un vrai phénomène. Dès qu’il a fini, il recommence !
— Chapeau, renfrogné-je, car un mâle est toujours affecté par les prouesses plumardières d’un autre, et ce depuis le fin fond des âges. Il vous a engagée pour combien de temps ?
— Indéterminé. Ça dépendra de la durée de son séjour à Paris.
— Et vous restez à disposition ici ?
— En quelque sorte, oui. Vu l’appétit du bonhomme…
— Que fait-il pendant la journée ?
— Pas grand-chose. Il reçoit des coups de fil, il arrive que quelqu’un le demande, alors il descend au bar. C’est un sacré picoleur également.
— Où est-il allé ?
— Si vous croyez qu’il me tient au courant de ses affaires… En tout cas il devrait être de retour depuis plus d’une heure.
— Il vous a dit ce qu’il bricolait à Paris ?
— Non, mais vous devriez le savoir si vous êtes en cheville avec lui.
— Votre idée, c’est quoi ?
— Aucune idée, je m’en fous, si vous saviez. Il paie bien, sans rechigner, je peux me faire monter ce que je veux. Il m’a même offert une montre. Oh ! pas en jonc, fantaisie, regardez : les chiffres sont écrits en toutes lettres, et en anglais, sympa comme gadget, non ?
— Au poil.
Elle profite de ce qu’elle tient le bijou pour regarder l’heure.
— Il va falloir que je me casse, il y a raout chez mes vieux, c’est…
— L’anniversaire de maman, je sais.
Elle déploie ses ravissantes jambes et je ne peux me retenir d’y porter la paluche.
— Si le père Kauf ne te gavait pas de paf, je te proposerais la botte, soupiré-je.
Elle a une œillade en coin.
— Tu sais, lui, c’est la quantité ; pour la qualité, j’ai déjà rencontré mieux.
Est-ce une invite ?
Histoire de m’en assurer, j’y vais d’une légère séance de gligli-glinglin. Elle participe. Une surdouée. Pas du chiqué.
— Tu sais, flic, murmure-t-elle, il y a un truc qui me porte aux sens et que tous ces connards sont infichus de faire la plupart du temps…
— Quoi donc, ma belle ? Le casse-noisettes, le limonaire en folie, l’enjambement cosaque ?
— Debout, tout simplement. C’est mon vice.
— Ça tombe bien, j’en raffole.
— Te dessape pas, surtout !
— Penses-tu, je sais vivre !
Et nous voilà comme deux petits drôles, elle adossée au mur, une piote levée, moi, arc-bouté, pas la peine de te faire un dessin, à lui jouer l’Introduction de Werther, au grand dam de la cloison fortement éprouvée par mes assauts vigoureux. Et la môme qui hurle sa joie de vivre. Et qui me mord, la petite sauvage, partout où ses dents peuvent m’atteindre : la bouche, le menton, même le blair, tu te rends compte d’à quoi je vais ressembler (Des moudus m’écrivent que les expressions telles « d’à quoi, l’à quel point », etc., ne sont pas françaises. Je les sais gré de me préviendre) en fin de journée, moi, entre les coups de boule de l’un et les morsures de l’autresse ?
Compte tenu qu’elle est professionnelle, je lui déploie le tout superbe grand jeu. C’est Apocalypse Zob de gala.
Une dame qui a sa licence licencieuse, si tu veux retenir son attention, faut pas s’économiser. J’y vais dans les grandes troussées mémorables. Elle est si légère, si souple, si coopérante qu’on peut pratiquer un boulot de classe. Je ne saurais donner une note à ma prestation, ne pouvant me montrer à la fois juge et partie, pourtant, si l’on me poussait, en mon âme et conscience, la main sur la braguette, j’admettrais qu’elle mériterait un 16/20 et, pourquoi pas, un 17. La fillette en est d’accord.
Pour ce genre de royale troussée, bien que je ne sois pas militariste, je trouverais opportun l’assistance d’une marche militaire. Des cuivres, des tambours, un air allègre et bien rythmé siéraient vachement à cet enfilage vertical. Mais les radios en diffusent de moins en moins, il faut donc se résigner à calcer sur du Sardou ou du groupe ricain.
Ayant conclu la séance avec autorité, je porte à bout de nœud la donzelle jusqu’à son lit, profitant d’un chant du cygne qui s’éternise, et la largue en souplesse. La chère Mélanie reprend souffle, me félicite que bravo, bravo, on ne trouve plus de tringleurs aussi fiables et performants. Ses abonnés sont de vieux vaniteux pour qui la simple éjaculation de rongeur constitue un exploit dont ils se vantent pitoyablement, poussant même l’outrecuidance jusqu’à demander à la partenaire « si c’était bien », certains de la réponse affirmative, qu’ils reçoivent d’ailleurs, ce qui les incite à davantage de générosité.
Kaufmann n’a toujours pas donné de ses nouvelles, ce qui n’est pas un mal, compte tenu de notre emploi du temps.
Mélanie se fringue et nous partons guillerettement, elle pour aller allumer les bougies d’un gâteau d’anniversaire, moi pour faire un peu d’enquête sur le pouce avant de regagner mon gîte.
Comme nous arpentons l’avenue George-Vé en direction des Champs-Zé, la gentille camarade d’embroque pousse une légère exclamation.
— La voiture de Baby Kaufmann ! m’annonce (du pape)-t-elle en me montrant une imposante Chevrolet bleue, à toit crème portant une plaque diplomatique. Le véhicule est remisé sous un arbre dépouillé par l’automne, comme l’écrit joliment Albert Sous-main dans une poétrie vachement chiée et que j’ai dû apprendre par cœur jadis.
— Donc il est dans les parages, conclut ma vertibaiseuse.
Pourquoi avons-nous le réflexe de nous approcher de la bagnole ? Tu saurais m’y dire, toi ?
Toujours soit-il qu’on vient à elle et qu’on mate, d’un commun accord, l’intérieur.
La vie est ainsi, et les romans policiers également. On obéit à des déclics mystérieux.
Je suis le premier à apercevoir un tas gris, sous le puissant tableau de bord. Cela ressemble à des fringues.
Je tente d’ouvrir la portière qui ne m’oppose aucune résistance. Il s’agit bien de vêtements en effets (je mets un « s » à effet pour que ça fasse jeu de mots, tu comprends ?). A l’intérieur desdits, se trouve un homme mort : Baby Kaufmann.
Une balle dans la nuque. Peut-être deux, mais tirées coup sur coup, car le trou est large.
On avise des taches brunes sur le dossier, côté conducteur. Quelqu’un se tenait derrière lui, qui l’aura praliné après qu’il eut garé sa chignole.
Je sais bien qu’il fait nuit de bonne heure en cette saison, mais tout de même : en pleine avenue George-Machin, faut oser, non ?
1 TER
M’man me regarde bricoler, intéressée. Mais c’est Antoine, notre mignon adopté qui m’interroge :
— Qu’est-ce t’fais, Tonio ?
— Occupe-toi de tes devoirs, lui réponds-je, importuné.
Ses devoirs consistent à chiader cinq lignes de voyelles (on lui a fait grâce de l’« Y », que j’ai toujours trouvé hybride, d’abord parce qu’il est étranger, et ensuite parce qu’il est à jambage, ce qui n’est pas catholique de la part d’une voyelle, ce genre de fantaisie étant l’apanage des consonnes).
Regrettant ma rebuffade, je corrige aussitôt :
— Je fabrique un jeu de cartes.
— Pour jouer à quoi ? demande le môme.
— A comprendre.
— A comprendre quoi ?
— Ce que je ne comprends pas.
— Et qu’est-ce tu comprends pas, Tonio ?