Выбрать главу

Il fut un temps, je causais que le français, mal d’ailleurs, mais ça présentait des difficultés. Alors j’ai décidé de parler cent vingt-huit langues et dialectes pour faciliter les contacts z’humains, plus perdre de temps en oisives traductions répétitives. On vit le siècle de la promptitude, n’oublie pas.

Le groume répond affirmativement. Je ramasse le télégramme sur le plateau et lui vote un bifton de cent pesetas qui n’ôte rien à sa gravité de futur torero. L’Espago se marre peu. Toujours soucieux, t’auras observé. De là qu’on dit grand d’Espagne. A cause de la constipation qui continuellement les crispe. C’est purement intestinal, leur tristesse, les Espingos, parole ! Pas plus grands que toi et moi ; beaucoup plus petits au contraire. Mais ça n’a aucune importance ; à quoi sert d’être long ? Comme dit Scut qui a tout dit : « On ne peut plus se mettre les mains sur la tête. »

J’enfouille le message tandis que le gamin retourne à la réception.

Alors que je regagne ma place, je surprends un curieux manège : le copain noir verse quelque chose dans le godet de la chère Daisy. Boulot d’artiste, espère. Il a eu un geste pour caresser le petit brimborion de cador. Et, en exécutant ce mouvement, il a vidé le contenu d’une capsule dans le dry martini. Faut réellement posséder mon œil de lynx pour apercevoir la manœuvre d’illusionniste, tant tellement elle fut exécutée divinement. Tu parles d’un manipulateur, ce mec ! Je voudrais le voir avec un pacsif de cinquante-deux brèmes en pognes, ce boulot !

Heureusement, je vais le biter en renversant le glass de la Daronne au moment de m’asseoir. Fastoche, il est précisément au bord de la table basse.

Mais le sort en décide différemment. A l’instant précis où je rejoins le groupe, Daisy rafle son verre et te le gloupe à la russe, descendez on vous demande ! J’en suis tout bêta. Santonio se convoque pour une conférence intime. Deux attitudes sont envisageables. Ou bien je marque le coup, saute sur l’ami Walter, gueule qu’on mande un toubib, rameute, déclenche, bref, joue les terre-neuve, ou bien je m’écrase et je laisse venir.

Le temps de peser le pour et le contre, j’ai déjà opté en faveur de la seconde solution. Ce serait bien le diable s’il avait empoisonné la bonne dame ! P’t-être lui enquille-t-il un aphrodisiaque, qu’elle démène un peu des miches, Mémère, non ?

— Vous avez l’air tout songeur, Tony ? note la brave Daisy. Pas de mauvaises nouvelles, j’espère ?

— Au contraire, réponds-je : une grosse affaire m’est proposée.

Le Noir me demande si dans ma partie on « sent » la crise, je lui rétroque que nous sommes surmenés et qu’on embauche à tout-va.

Nous discutons encore de conneries plus ou moins mondaines, et puis nous nous séparons avec promesse de nous revoir après le dîner pour un petit coup de champ’ vacancier. Walti part le premier.

— Charmant homme, dis-je à la gravosse ; vous le connaissiez avant Marbella ?

— Non, nous nous sommes liés d’amitié au bord de la piscine. N’est-il pas beau comme un dieu ?

— Le dieu qui afficherait cette tête-là ferait le plein !

— Je le trouve follement excitant, renchérit Mémère que ses glandes tarabustent.

Elle soupire, ce qui me donne à penser que j’ai devancé l’événement et que ce magnifique spécimen de la race noire n’a pas encore fait de la maîtresse d’Apple la sienne, ainsi que l’écrivait Sainte-Beuve, la patronne des hugoliens.

La nuit est tiède, avec des chiées d’étoiles. Le ruisseau glougloute et d’habiles spots écrivent dans les branchages persistants des rêves de lumière (Ah ! si San-Antonio décidait un jour d’écrire sérieusement ! Jean D’Ormesson (Non, mais dites donc, de quoi je me mêle ? L’Éditeur)).

M’approchant d’un lampadaire, je décachette le message adressé à Poupette Kaufmann.

Je m’attendais à une annonce mortuaire, je lis :

Complication m’oblige différer retour, te donnerai nouvelles fin de semaine. Tendrement, Baby.

Le télégramme est daté de cet après-midi. Cela fait un jour que Baby Kaufmann est défunté.

Tu crois au miracle, toi ?

Moi, non.

Je rafistole le pli et demande à Véra où se trouve l’appartement de la Daronne afin de l’aller glisser sous sa porte.

M’est avis que nous avons un point de commun, les « gens » de Pantruche et moi : nous ne sommes pas pressés de faire de la peine à Daisy.

1 VIRGULE 3

La table est exquise au Fuente, l’ambiance agréable, le service empaquetable, je veux dire impeccable et en porcelaine limogée. Achille au pied léger en fait visiblement à l’exquise Véra qui va finir par s’asseoir en tailleur s’il continue. Il la couve de son regard extrapolateur, couleur de banquise au soleil. Le vieux bougre s’enflamme comme un C.E.S., débite moult madrigaux qui tous sont répertoriés dans le glossaire de la duchesse de Lévy de Saint-Bloch intitulé « Gold Gotha », en vente dans toutes les pharmacies ; si bien que la pauvre harcelée n’a d’autres ressources thermales que de chercher mes yeux à moi et de s’y complaire, vu qu’ils sont chargés jusqu’à la gueule de très jolis sentiments, bougrement romantiques et poilus.

Notre récent camarade, l’ami Walter clape tout seulâbre à l’autre extrémité du restau, en bouquinant une revue technique dont le numéro est consacré au rhume des foins du mouflon, avec des planches en couleurs bien équarries.

J’ai beau me détroncher, je ne vois pas survenir la brave Daisy et l’anxiété me biche. Le produit qui lui fut administré serait-il nocif, voire mortel ?

Quand nous parvenons au dessert, je prie mes compagnons de table de m’excuser, leur promettant de les retrouver au bar, plus tard, et je dévale le ravissant sentier bordé de plantes luxurieuses et riantes qui suit le ruisseau.

Est-il utile de te répéter que l’air est doux pour la saison et qu’il embaume ? Oui ? Alors voilà qui est fait, mais n’y reviens plus.

Daisy Kaufmann crèche au « L 2 ». Je gravis l’escalier extérieur donnant accès à son appartement. Un rai de lumière au beurre noir filtre sous sa porte. Elle a, l’insouciante, laissé la clé à l’extérieur. Je sonne. Personne ne répond ; resonne en vain, compte posément jusqu’à cent vingt-trois mille huit cent quarante-quatre et actionne la carouble. Tout brille dans la suite (au prochain numéro) de l’Américaine. Je m’avance jusqu’à la porte du salon. Daisy s’y trouve, loquée d’une robe du soir en strass, dans les bleus interplanétaires. La télévision marche, en espagnol, certes, mais à l’impossible nul n’est tenu, qui retransmet un match de foot entre le Real Madrid et l’Hiver-poule. Daisy est endormie dans un fauteuil, face au poste, son délicieux roquet sur les genoux, un verre de bourbon à portée de main. Je m’approche d’elle.

— Hello, Daisy !

Mais elle ne répond pas.

Je pose ma dextre, sans lubricité aucune, entre les deux flotteurs de Zodiac auxquels un même soutien-gorge sert de housses, afin de vérifier si son gentil cœur bat encore. Qu’à cet instant, son dog déshydraté me mord la main cruellement, cette salopiote bestiole. Rageur, je la biche par son ruban jaune et l’envoie valser sur le grand canapé, au fond de la pièce. Illico dompté, comprenant qu’un homme d’un mètre quatre-vingts imposera toujours son point de vue à un roquet de quinze centimètres, le clébard s’y blottit en pissotant de frousse et en me coulant des œillades contrites.

Je reviens à mon examen de la Ricaine et je suis vite rassuré : elle roupille. Bien calmement. Je tente de la secouer, mais la marchandise à Walti est excellente et je crois qu’elle en a pour un fameux paquet d’heures à pioncer. Elle paraît, cela dit, en grande béatitude.