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Un bon vivant dans son genre. Il contourne la Range et vient ouvrir ma portière, ce qui lui permet de déguster mon panard en pleine poire. Il part à dame. Moi, je saute de la guimbarde et je termine son anesthésie d’un coup de saton dans le temporal.

— Dis donc, soupire Béru, y a réception chez la dusèche, on dirait. Tu crois qu’on peut s’hasarder de butin blanc ?

— Sûrement pas. Dis voir, espèce d’Espèce, il m’a semblé apercevoir un jerrican à l’arrière de notre guinde, veux-tu vérifier s’il est plein ou pas ?

La dame de mes pensées grommelle, s’active, et finit par répondre par l’affirmative.

— Très chouette, jubilé-je. Rico, mon bout d’homme, tu veux bien aller arroser toutes les bagnoles du parking ?

Rico rigole comme le petit bossu qu’il aurait pu être si le Seigneur ne s’était retenu au dernier moment, ayant été appelé sur une autre ligne.

Le voilà qui fonce à sa mission comme des ringards sur un buffet. Joyce en plein. En chemin, il croise une armoire aux épaules gothiques, échange avec elle des propos plaisants. Puis s’éloigne avec son beau bidon de couleur orange.

Haha ! un brouhaha s’échappe de la vaste demeure. Il y a cons s’il y a bulles, comme disent les poissons rouges. C’est la grande toute belle conférence au sommet ! Le sort du monde est en train de se jouer peut-être à cet instant. Il suffit de quoi ? D’un grain de sable ou d’un pavé dans la mare pour que l’affaire capote (comme le cher Truman (Avant, j’aurais ajouté « anglaise », mais je fais dans le littéraire, en homme de sang-froid. San-(froid)-Antonio)).

Le mignard Rico disparaît dans les pénombres, pourtant, grâce aux lumières rasantes provenant de la vaste maison, je le distingue à certains moments entre les bagnoles. Dis, c’est pas formide, cette drogue ? Trois petites giclettes dans les naseaux et tu transformes un spadassin en esclave turc.

Lorsqu’il revient, je présente une boîte d’aloufs à mon pote.

— Gros, prends un sac de plage garni. Va craquer une soufrante dans l’essence. Après quoi, tu files te poster du côté de la masure où se dresse l’antenne et tu y attends de mes nouvelles, je pense t’écrire incessamment. Pigé ?

— Yes, mon colonel, c’est tout ce dont y aurait pour vot’ service ?

Je regarde l’opulente marchande de frites s’éloigner en tortillant son gigantesque cul de pachyderme. Les deux méchants se sont endormis et ronflent comme des aérateurs branchés sur la force maximale. Ainsi travesti, le Gros ressemble à sa Berthe, la nuit aidant. Marrant, ce mimétisme qui constitue la véritable union de certains couples, et la seule. Toto et Tototte finissent par se ressembler à force de péter dans le même plumard, de bouffer les mêmes denrées surgelées, d’avoir les mêmes tracasseries et de se détester affectueusement. Ils sont alors inséparables, tu peux croire. On ne dépareille pas un serre-livres qui représente deux éléphants arc-boutés. Le destin les a sucrés suffisamment pour qu’ils se conservent ainsi pour leur chétive éternité.

La grosse armoire qui a interpellé Rico se pointe sur le Mastard.

Mais Alexandrine-Benoîte ne parle pas le dialecte de Cervantès, même pas comme une vache espagnole. Ne peut communiquer que par gestes. Donc, foudroie l’autre d’un féroce coup de chignon dans la margoule, schplotch ! Au tas, le caballero ! Ma grosse tantine qui termine toujours le boulot, quitte à remettre cent fois son ouvrage sur le métier, gratifie sa victime d’un formidable coup de latte dans les sœurs siamoises. Quand il sera remis de son k.-o., il va en avoir une very good surprise, le colosse ! Dis, des joyeuses grosses comme des noix de coco, c’est flatteur, même qu’elles soient violettes, non ? Il va concurrencer l’amant de Lady Chatte-à-l’air, comme l’appelle Bérurier.

Je ramasse le deuxième sac et m’assure que le pistolet-mitrailleur logé à l’intérieur est dûment apte à servir.

Une grande lueur rampante se manifeste tout à coup sur le parkinge. D’une rapidité folle, elle le traverse de bout en bout, puis paraît panteler. Va-t-elle s’éteindre ? Pétard mouillé ? Échec et zob ? Allons, allons, pas avec Santantonio ! Pas en fin de livre ou presque ! Chez nous autres, grands auteurs, on est astreints à du calibrage. Déconnage tant que tu veux, mystère, boules de gomme, massacres en tout genre, équipées sauvages, certes, soit, bravo ! Remettez-nous ça, la patronne. Mais quand t’as franchi le seuil de la page deux cents, Achtung, p’tit gars ! Faut commencer de sortir ton train d’atterrissage.

Donc, et pour la raison ci-dessus évoquée, le feu repart de plus superbe (ou de poubelle, si tu préfères).

Les tires se mettent à cramer vilain, en chaîne : une, deux, trois, quatre… Puis cinq, six, sept, huit, neuf… et dix, comme les Charles ! Ce brasier ! Feu de joie ! Des ricaines chromées s’illuminent, des Ferrari (pardon pour la beauté des lignes), des Rolls ! (sacrilège !). C’est géant. Et ça boumboume ! Pan ! Flaotch ! Zim ! Vlockkkk ! (Tiens, y avait une voiture polonaise ?)

En un instant, c’est gigantal, féral, dantal ! Beau, quoi ! Le feu, toujours. Je suis certain que Jeanne d’Arc, malgré l’horreur, ma pauvre Pucelle, ça devait bien « rendre » comme on dit puis dans mon pays natif.

Chose étrange, voire curieuse et même surprenante, l’alerte tarde à être donnée. Cela tient à ce que le parking est situé derrière un massif de glomifugiers géants et que les deux gardes sont out (bien que nous fussions en décembre).

Mais à force de se déployer et de faire du bruit, l’incendie finit par attirer l’attention. Et alors, bon, c’est l’effervescence (en l’occurrence l’efferve essence). Toute une compagnie de gens désorientés se pointent, se bousculent, s’interpellent, crient, questionnent, veulent agir, n’agissent pas, engueulent, tempêtent, réclament, dénoncent, fustigent, invectivent. Ça ne manque pas d’allure, cette foule d’invités, à nonante pour cent masculine, plutôt bien saboulés, sur fond de brasier. Ceux dont la bagnole crame énergument plus fort que les autres. Les gens, riches ou pauvres, honnêtes ou dans l’immobilier, de mœurs orthodoxes ou coiffeurs pour dames, tiennent à leur totomobile chérie. Elle est leur vrai logis, leur prolongement, l’affirmation de leur personnalité profonde.

Bon, ça va démener un bout.

Je quitte ma Range Rover et plonge dans ce qui subsiste d’obscurité.

Quelques lignes d’explications, ami lecteur, pour te faire piger la topographie. La maison a la forme d’un rectangle, il lui est adjoint un bâtiment en retrait dont le bas sert de garage et dont le haut a été aménagé pour le personnel. Jouxtant ce garage, plus en retrait encore, se dresse une construction en forme de tour carrée, surmontée de la fameuse antenne dont tu retrouveras mention quelques pages plus avant si je ne docteur Mabuse.

La tour possède une porte, évidemment, et puis une partie vitrée au ras du toit, si bien qu’elle s’apparente presque à un phare. Qui vient d’ajouter « aon » ? Merde, les gars, les calembours c’est moi ! Chacun son turbin, non ?

Je m’y dirige en contournant la compagnie très cosmopolite : il y a là des Arabes, des Jaunes, des autres, des Noirs, des roses, avec en prime la mère Kaufmann. Tous sont bien entendu très affairés et surexcités par l’incendie à grand spectacle. Ils s’interrogent sur ses causes. Attentat ? Accident ?

Tandis qu’ils débattent du sujet, je m’exprime avec mon sésame sur la porte de la tour Prends-Garde. Elle récalcitre passablement, étant d’un tempérament complexe ; mais force reste à la loi.

Bérurier qui est déjà à pied d’œuvre fait le pet en attendant les résultats de mes tripatouillages, comme dirait le Quotidien de Paris.