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FIN

1 BIS

Et de terminer un misérable chapitre I par le mot fin, n’est-ce pas la preuve par 9, ou par 69 dont je raffole, de cette incohérence démesurée que cause M. Boviatsi, lequel compte parmi les mal et bienveillants qui s’ensoucient du pauvre de moi que je m’efforce d’être bien mal que tant ? Non mais qu’a-t-il dans le cerveau, ce pauvre Santonio pour se permettre de telles privautés avec des lecteurs éligibles pour la plupart ?

N’est-ce point cela, faire fi ? Prendre pour des ? S’en torcher ? Peut-on considérer qu’il y a déséquilibre ? Certes, mais où est l’équilibre ? Je voudrais qu’on me prouve ; j’ai besoin, je suis en manque. Je pose une cuiller sur mon doigt. Après quelques tâtonnements que je qualifierais d’infructueux, l’objet cesse son balancement et demeure immobile. IL EST EN ÉQUILIBRE ! A partir de quel critère puis-je estimer que ma pensée est en équilibre sur mon cerveau, mon doigt, ma langue, ma bite ou tout autre support à ta convenance ? A compter du fait où elle se trouvera à peu près alignée sur celle d’une majorité de cons ? Oui, hein ?

Donc, en commettant comme je commets, je suis en recherche de déséquilibre permanent, uniquement pour fuir la conformité toulemondesque. Cette prise de position rigoureuse ne constitue-t-elle pas un danger ? Sans doute. Seulement voilà : C’EST QUOI, LE DANGER ? Y a-t-il danger à se vouloir marginal ? Non ! Il n’y a qu’orgueil.

Qui vient de crier : « Tu nous fais chier avec tes blabla » ?

Personne n’ose se dénoncer ? Bande de couards ! Vous avez de la chance que je sois seul !

Et alors, puisqu’il faut bien, je te poursuis ce surprenant récit qui n’est pas au bout de ses peines, ça mon vieux, crois-moi z’en ! Non plus que des tiennes.

Lesté de la mangeotte à Sliffer, je retourne au pavillon. Bérurier arque à mon côté, en rêverie de calva. Des feuilles mortes qui seraient à ramasser à la pelle pommadent la route. L’air devient de plus en plus vif. J’ai idée que Noël tombera le 25 décembre, cette année, si ça continue de pincer cornac.

A peine qu’arrivés, je pressens, hume, flaire, subodore, détecte une tuile. Une bathouze, bien fignolée. Mon haltère mégot aussi, qui se met à presser le pas.

Faut dire que la porte de la grille est ouverte, de même que celle de l’entrée et qu’une écharpe de soie gît sur le sol boueux. Nous pénétrons en trombe dans le médiocre logis. La volée de marches me passe pratiquement inaperçue, tellement que je la quatre à quatre rapidos.

Sliffer est sur le plancher, inanimé. Sa grande fifille a disparu.

Je tombe à genoux devant mon prisonnier. Son visage est bleui. Ma main sur sa poitrine part aux renseignements. Le cœur bat. La manière dont ses lèvres sont retroussées et l’odeur de caramel, de foin brûlé, d’onguent gris, de lotion capillaire, de peinture acrylique et d’escargot à la pharisienne flottant encore dans la taule me renseignent : on lui a flanqué à bout portant dans les naseaux une giclée de fluctanganate aznavourien de télébenzène hydropique. Je ne suis pas chimiste, mais j’ai lu Balzac. Il est dans le sirop de coaltar pour un brin de moment, mister Antony. Au moins une plombe. Peut-être davantage, tu le penses aussi ? Alors on est deux.

Bérurier fourrage son intimité, là que le morpion se transforme en G.M. dans cette espèce de Club Méditerranée pour parasites intimes.

— Ça se gâte, pronostique-t-il, avec la certitude d’un médecin qui, penché sur le cadavre d’un de ses patients, annonce que « c’est grave ».

Je fais yes de la tronche.

Ils sont venus ; ils sont repartis, emmenant Emily avec eux.

Je vais zieuter par la fenêtre : la Renault 5 Le Car est toujours stationnée à proximité, preuve que la demoiselle a quitté le patelin à bord d’un autre véhicule.

Ce qu’ils ont bien tiré les ficelles, ces mystérieux ! Seulement, j’ai beau prendre une pelle à tarte et me creuser la cervelle, je n’arrive pas à piger leur démarche. Dans un premier temps, ils révèlent à la môme le lieu où son père est détenu. Dans un second, ils viennent l’y chercher. Alors qu’ils pouvaient, s’ils le désiraient, s’assurer de sa personne avant que la jeune Emily ne soit entrée en contact avec les poulets. Étrange manœuvre qui me perplexe vachement, je préfère te l’avouer tout de suite avant que tu me files un coup de lampe à souder sur les sœurs Brontë pour me faire parler.

Béru renifle puissamment, et ça ressemble à une porcherie au moment où l’on vient de garnir les auges.

— Tu trouves pas que ça pue l’oxyde de cambronne ? demande le Monumental.

— Va tuber à Mathias pour lui ordonner de revenir dare-dare, Gros. Qu’il amène son petit nécessaire de réanimation d’urgence.

Sa Majesté ne demande pas mieux que de retourner à l’auberge. Et me voici seul, comme un noyau dans sa pêche, en compagnie de Sliffer, certes, mais le pauvre est si mal présent.

Je me mets à inspecter le sol, kif un chien de chasse relevant une trace. Sanglier, lièvre, faisan ?

Écoute, je ne veux pas me pousser du col, mais franchement, je suis bon flic. J’ai le sens de « ça », comprends-tu ? Mon petit doigt qui pige et m’appelle sur la ligne intérieure. Alors je retourne à la porte d’entrée, en chaussettes, mes godasses à la main, et puis je remonte au premier. Et je me paie le luxe de sortir ma petite loupe de gousset, manière de faire davantage Chère-loque-homme-laisse, comme dit Béru Ier, roi des rois. En plus, je monte agenouillé, tel un pénitent allant se faire flageller dans le boxif à Mme Lapipe.

Lorsque je rejoins le malheureux Sliffer, mes genoux sont usés, mais mon siège est fait.

Qu’a-t-il découvert, le vaillant Tantonio ? Oh ! je pourrais tirer à la ligne, chiquer les cachottiers, te mettre ça au frais, sur ordinateur, histoire de te le resservir plus tard. Deo gratias, c’est pas le genre de ma crêperie. Avec moi, l’aminche, c’est crédit gratuit (il est inclus dans le prix de vente au comptant). Je livre au fur et à mesure des arrivages. On consomme frais, chez l’Antonio. Littérature-fruits-de-mer !

Que je t’explique : dehors, c’est l’automne et ses duretés, je te l’ai mentionné par ailleurs, plus haut et à gauche. Dans cette médiocre banlieue, presque campagnarde, le, sol est boueux ; on patauge. Le jardin du pavillon en friche fait penser à un terrain extrêmement vague, miniaturisé. Bref, on se salope les targettes en marchant. Et t’as beau te racler les pinceaux sur le misérable paillasson de caoutchouc confectionné à l’aide de vieux pneus coupés en lanières, t’en ramènes at home, comme disent les Savoyards. Les semelles s’impriment sur le plancher. Or, magine-toi, petit nœud, qu’il n’existe pas d’empreintes toutes fraîches céans, en dehors des nôtres, à Béru et ma pomme. Tu crois que les ravisseurs de la gosse (car ils étaient au moins deux pour réduire le père et la fille) se sont déchaussés avant d’entrer ? Par excès de prudence ? Afin de ne pas faire de bruit, en escaliant ? Si oui, les traces que je ne vois pas à l’intérieur devraient figurer sur le perron, non ?

Or, non ! Voilà qui est Caucase, comme on dit en Asie Mineure (on se demande quand elle atteindra sa majorité, celle-là !).

Je bassine les tempes du papa Sliffer. Mais le gaz dont je ne me rappelle déjà plus le nom est coriace. Le bonhomme continue d’explorer le néant avec une lampe électrique éteinte. Pour le rappeler à notre bon souvenir, va falloir la science du Rouquemoute.

On s’est assis sur le lit, Béru et moi, dos à la cloison, tandis que notre pensionnaire continue de gésir sur le plancher. On l’a tout de même garanti des froidures préhivernales à l’aide d’une couverture. Le Gravos a le hoquet. Au troisième top, c’est l’ail du gigot qui vient errer dans la pièce. Bouffée légère, subtile, dissipée à peine que respirée.