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— Officiellement, proféra Katz, on allait sauter un dealer du côté de Barbès… Pas la peine de parler de notre copain. Ça ne ferait qu’embrouiller les choses.

Rodriguez avala sa salive avec difficulté, hocha la tête. Une seule balle, à six mètres, dans la pénombre. Si Katz ne l’avait pas envoyé valdinguer par terre, il aurait effacé les deux projectiles de plein fouet. Il acquiesça:

— Jamais entendu parler de Théo…

Katz ricana.

— Never rear, Rodriguez… (Il traduisit) Ne tournez jamais le dos…

Il regarda la cabine immobile, allumée, les deux impacts bien groupés. Ils signifiaient que Théo était égal à sa réputation. Que la planque de Katz était grillée. Elle avait tout de même tenu presque deux mois. Ils signifiaient enfin et surtout que les dominos avaient commencé à tomber.

Un quart d’heure plus tard, le niveau du parking regorgeait de flics.

L’interview de Katz avait commencé, et ce dernier savait qu’elle durerait un bon moment, qu’elle se poursuivrait sans doute à l’inspection générale des services et que les flics ne trouveraient rien, parce qu’il ne leur dirait rien, sauf qu’il avait entrevu un vague mouvement dans la pénombre et juste eu le temps de plaquer son collègue au sol et d’ouvrir le feu, et parce qu’ils n’avaient rien à trouver. Il était rodé par des centaines d’heures d’interrogatoire, des jours et des nuits entières. À distance, le commissaire principal Lantier discutait avec les gens de l’identité judiciaire.

Katz sourit vaguement.

L’inspecteur qui l’interrogeait leva les sourcils, se méprenant sans doute sur le sens du sourire. Katz le rassura:

— Laissez aller, vieux: c’est une valse…

— Une valse? (Il hésita.) Il va falloir nous remettre votre arme, pour l’expertise balistique…

— Bien sûr, murmura Katz. Au cas où j’aurais tiré après dans l’ascenseur.

Il sortit son .357. L’autre avait l’air profondément malheureux lorsqu’il le prit; il allait sans doute s’excuser. Katz eut un geste désinvolte.

— Nous allons aussi examiner celle de votre collègue…

— Bien sûr, répéta Katz. Des fois qu’on aurait piégé la victime…

— Je fais mon boulot, c’est tout, dit l’inspecteur avec raideur.

Katz referma sa veste. Il restait une inconnue, une seule: il ignorait si Rodriguez tiendrait le coup ou non. S’il ne tenait pas la distance, tout serait foutu. Katz ne croyait pas plus à la reconnaissance qu’à l’endurance physique et nerveuse. La roulette avait commencé à tourner. Savoir si la bille sortirait le rouge ou le noir… Il carra les épaules. Dans sa poche de veste, le petit pistolet ne pesait presque rien.

CHAPITRE VI

Le crime commis sur la personne de Charles Ségura fut découvert à neuf heures dix par une patrouille de gendarmerie, signalé immédiatement à la brigade qui dépêcha des enquêteurs sur les lieux, puis l’information suivit sans délai la filière qui la fit aboutir au parquet et au Service Régional de Police Judiciaire, peu avant dix heures. À dix heures cinq, Ségura n’était plus un inconnu pour les gendarmes. Outre les renseignements d’état civil, correspondant aux divers papiers d’identité trouvés sur le corps, ces derniers savaient que l’homme avait fait l’objet de plusieurs condamnations pour un certain nombre de délits, qui allaient, fort éclectiquement, de la tentative d’extorsion de fonds au proxénétisme hôtelier, en passant par diverses escroqueries, aux coups et blessures volontaires et au port d’arme de première catégorie, ce qui en faisait, aux yeux des enquêteurs, un «client sérieux».

La fiche la plus récente le concernant mentionnait, qu’en cas de contrôle, il convenait de signaler le passage du client à l’Office Central de Répression du Banditisme, de procéder à un contrôle approfondi, mais ne pas l’interpeller. Suivait un numéro de poste à aviser d’urgence, ce qui fut fait.

À onze heures, le commissaire principal Lantier avait le télex sur son bureau. Il appela le directeur central, rameuta cinq de ses principaux collaborateurs, en chargea deux de récupérer des voitures rapides. Ségura avait été abattu d’une seule balle dans la tête, il était mort «comme un grand», ce qui ne correspondait guère à sa stature. Lantier parcourut des couloirs, frappa à une porte et entra. Katz se trouvait de dos, et les deux inspecteurs levèrent le front, même celui qui était occupé à taper à la machine. Katz ne se retourna pas. Il avait les jambes étendues, les chevilles croisées, et fumait nonchalamment une cigarette. Lantier lui remit le télex, qu’il parcourut sans émotion, puis Katz dit:

— 357…

— Théo, murmura Lantier, Théo aussi avait un .357…

Katz tourna vaguement la tête, balaya son visage. Lantier commençait vraiment à se déplumer, il avait de vilaines dents grises et larges, qu’il ne découvrait guère que pour s’affliger d’un rictus contrarié dont il n’avait certainement même pas conscience. Katz dit:

— Il n’y a pas qu’un seul âne qui s’appelle Martin.

Il rendit le télex.

— Je n’aime pas les coïncidences, grogna Lantier. Ségura était sous surveillance, on avait placé sa ligne sur écoute, et c’est à croire qu’il s’en servait seulement pour commander des montagnes de victuailles aux traiteurs les plus en vue de la place, il avait du monde aux fesses et n’aurait même pas dû quitter Paris sans que tous les téléphones de l’Office hurlent à la mort.

Katz remua les épaules. Les deux inspecteurs attendaient, déférents et vaguement interloqués. Lantier n’avait rien d’un tendre, quant à Katz… Katz était pire que le pire des lascars qu’ils avaient eu à cuisiner. Il avait eu une espèce «d’intuition», comme si un «sixième sens» l’avait averti du péril, puis il avait aperçu un «vague mouvement» dans la pénombre. Les flics ne croyaient ni à l’intuition ni à l’existence d’un sixième sens, mais les premiers examens de l’identité judiciaire confirmaient les dires de Katz. Rodriguez persistait dans ses déclarations, ils avaient le procès-verbal sous les yeux, tout s’était passé très vite et dans sa chute, Rodriguez s’était déchiré la manche de veste, au coude gauche, et qui allait payer le stoppage, si stoppage il pouvait y avoir? Et sinon, qui allait lui rembourser une veste, qui avait coûté onze cents francs, le mois dernier, dans une boutique de la rue du Faubourg-Saint-Honoré?

Lantier alluma une cigarette à son tour, poursuivit:

— Au lieu de ça, il s’est tiré.

— Ça lui a pas porté chance, on dirait, rétorqua Katz impavide.

Lantier s’adressa aux enquêteurs:

— Voulez-vous nous laisser seuls un instant?

Les deux policiers quittèrent la pièce. Lantier s’approcha de la fenêtre, prit le temps d’examiner la Seine, dont les eaux étaient grises et le cours livide, puis il se retourna.

— Charlie savait qu’il était sous écoute. Il a promené les flics tant qu’il a voulu, avec sa grosse Mercedes. Quand il en a eu besoin, il a utilisé une BMW de location pour leur chier du poivre, une BMW conduite par une poule, en instance d’identification. La perquisition à son domicile n’a rien donné, en revanche, les pandores ont découvert deux billets d’avion dans la tire, un M.A.C. 50 sous le siège du conducteur. L’automatique était vide, un chargeur vide à côté. Une cartouche de neuf millimètres non percutée entre les sièges avant. Charlie avait un chargeur plein dans sa poche…