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Les yeux plissés, il fixa un instant les branches où commençaient à éclater les bourgeons vert tendre dans le vent frais, puis il grimaça et se leva. Le sac toujours contre le flanc, il entreprit de chercher une cabine publique, alors qu’il se trouvait à cinq minutes du bureau, puis lorsqu’il l’eut remarquée, quelques pièces dans ses poches de pantalon en soulevant l’étui du revolver.

CHAPITRE XIII

Malek regarda l’heure à la montre de bord de la voiture: il était midi moins dix. Quarante minutes pour se rendre boulevard des Allongés, cinquante minutes pour revenir, ensuite il avait fait pas mal de détours avant de se rendre à la consigne, récupérer le sac, un bagage en cuir élégant et qui pesait finalement plus lourd qu’il le pensait. Il avait quitté la gare, le poing droit enfoncé dans la poche de l’imperméable, et tout à fait déterminé à tirer à travers le tissu s’il le fallait. De temps à autre, Pastor lui confiait ce genre de tâche: apporter quelque chose ou aller le chercher. Ou passer un coup de téléphone depuis un bar-tabac, dans un autre bar-tabac. Le message était toujours à peu près identique à un ou deux mots près et n’avait jamais grand sens. Quant au contenu du sac, il n’avait aucune espèce d’envie de savoir: un homme qui ne sait pas ne peut pas parler, même si on le tabasse à mort.

Malek devinait que Pastor ne le payait pas seulement pour servir de chauffeur de maître, et pour se trimbaler avec un automatique .45 dans la ceinture, en père peinard, mais Pastor n’était pas un individu très loquace et il n’y avait jamais eu le moindre accroc.

Malek avait deux ambitions: ne pas retourner au trou et finir d’élever sa belle-fille.

Il roulait donc en changeant fréquemment de file, en accélérant parfois dans un trou de circulation et sans omettre d’utiliser les couloirs d’autobus, il avait un œil sur le rétro central et le Colt sur le siège, à portée de la main, sous un Paris-Turf qu’il ne parcourrait probablement pas, ou en ralentissant à certains moments de la même façon que s’il avait cherché à se garer. Les trottoirs grouillaient de monde, et même le petit cimetière avait eu des allures pimpantes, sous le soleil, avec son gazon foncé, criblé de pâquerettes et de fleurs de pissenlits. Malek n’éprouvait aucune tendresse particulière pour ce genre de lieu, mais l’endroit avait au moins l’avantage d’être très paisible, presque au sommet d’une colline amollie, avec ses ifs et ses buis très sombres. Louise Boucher épouse Villedieu, 1830–1896, partie avec le siècle. Une autre fois, mais ailleurs bien entendu, il y avait eu une Clémentine Dornier, qui n’avait pas autant duré puisqu’elle était née en 1860 et morte en 1870, et dont on ne distinguait plus les traits sur le médaillon ovale, au bas de la croix. Auparavant… Malek tourna sec dans une ruelle embouteillée, roula au pas.

Il avait le sentiment de faire son boulot, sans plus.

Et la certitude de ne pas être suivi, pas même par une de ces satanées motos qu’il redoutait plus qu’un char d’assaut. Surtout lorsque deux types avaient pris place sur l’engin, revêtus de casques intégraux, et le plus venimeux était toujours le passager. Finie, l’époque des D.S. et des hurlements de pneus. Les tueurs étaient devenus des silhouettes impassibles, des machines à cracher de la balle expansive. Malek n’était pas un tueur. Il avait appris à se défendre, parce qu’il l’avait fallu, et on le respectait comme un homme tout à fait capable de se défendre avec ses poings et ses pieds, ou un Modèle 1911.

Il prit le pont du Trocadéro.

À midi douze, il présentait la calandre carrée de la voiture en haut de la rampe d’accès au parking souterrain; il braqua le boîtier de télécommande et la porte commença à basculer pour se rabattre contre le plafond. Malek laissa descendre la voiture, braqua pour prendre la rampe d’accès au second sous-sol. Il y avait encore une grille métallique qui barrait l’accès au parking et il attendit sans hâte qu’elle eût fini de glisser sur ses rails bien huilés. La voiture entra dans le champ de la caméra de télévision intérieure. Il alla la ranger à son emplacement habituel, entre une Pontiac noire et un cabriolet Coccinelle. Il ne glissa pas le .45 dans son étui mais le fourra devant, sous la ceinture de pantalon. Puis il saisit le sac à deux mains, le souleva et le posa par terre pendant qu’il verrouillait la portière. Son image fut prise en charge par la seconde caméra de contrôle, qui couvrait l’étroit couloir menant aux ascenseurs.

Il ne pouvait pas savoir que ni l’une ni l’autre ne fonctionnait plus.

Le dos tourné au placard E.D.F., il appuya sur la large touche basculante qui commandait la cabine d’ascenseur. Charge utile maximum: 350 kg.

Il ignorait que trois hommes l’occupaient déjà: Joko avec son doulos rabattu sur les yeux, un grand Noir rasé avec une tresse au milieu du crâne et que tout le monde appelait Baby, bien qu’il pesât deux cent trente livres, et un type maigrichon pourvu d’une espèce de bec-de-lièvre mal recousu et de grosses mains qui tremblaient tout le temps. La touche d’appel clignotait. Malek posa la main sur la crosse du .45, machinalement.

Il n’eut pas le temps de le sortir.

D’un geste souple et tranquille, avec un balayage précis du bras à demi tendu qui accompagna le glissement chuintant de la porte, Joko lui braqua un automatique .22 Walther à canon long entre les yeux et tira presque aussitôt. Deux balles le frappèrent à la pommette gauche, la troisième dans l’œil et la quatrième au milieu du front, presque à la racine des cheveux. Baby s’empara du sac qu’il souleva sans effort. La cabine ne tarda pas à se refermer. Joko remit le pistolet dans sa poche de manteau.

Le trio sortit dans le hall aux murs couverts de marbre.

Ils ne couraient pas, mais gagnèrent rapidement la porte et le maigrichon appuya sur le bouton de la gâche électrique. Dehors, il faisait frais. Joko passa le pouce et l’index sur le bord du chapeau. Deux gendarmes mobiles les croisèrent, en tenue bleu sombre, le mousqueton à l’épaule et un poste portable agrafé à la bretelle. Le quartier était pourri de métèques et d’excentriques, pour la plupart couverts par l’immunité diplomatique, et les gendarmes patrouillaient pour couvrir une quelconque ambassade ou les portes d’un ministère.

Joko sortit un paquet de blondes.

Il prit le temps, arrêté sur le bord du trottoir, d’en allumer une derrière ses paumes, avant de traverser. L’Ariane rutilait dans le soleil, trop belle pour être vraie et trop clinquante pour attirer l’œil. Le maigrichon se glissa au volant, Baby s’affala sur la banquette à côté de lui en soufflant fort et Joko prit tout naturellement place derrière, à droite, avec le sac.

*

La longue limousine sombre passa le portail au ralenti, remonta l’allée bordée de rosiers. Une autre limousine noire se trouvait rangée le long du perron, et il n’y avait personne au volant. Moretti l’examina puis reporta les yeux sur Farouk, qui se contenta de secouer les épaules. Il savait qu’ils viendraient, qu’il faudrait encore discuter, tchatcher comme on disait dans le temps, et que, pas plus que les flics, ils ne le croiraient.

— Tu veux que je descende? proposa Moretti.

— D’accord, fit Farouk.

Moretti tapa contre la vitre et le chauffeur finit de ranger la voiture derrière l’autre. Tous trois sortirent dans le soleil et Farouk s’emmitoufla dans le loden. Le conducteur s’adossa à la portière.