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— Renverse pas la tête, ricana Katz, ça sert à rien… Où est Joko?

— Farouk n’aimerait pas qu’on lui fasse des misères. Surtout en ce moment.

Katz le regarda de très loin.

— Il va falloir que tu choisisses ton côté, Vic, dit-il d’un ton vague.

Vernois acquiesça. Il n’avait pas très mal, ça viendrait plus tard, si on lui en laissait le temps. Il ne manquait pas de cartes dans son jeu, mais Katz n’avait pas tout à fait l’air d’être dans un état normal, et l’autre type ne lui disait rien de bon. Il n’avait même pas entendu le son de sa voix. Katz n’avait pas fait allusion au coffre, ni à ce qui se trouvait dedans. S’il tombait, le flic tomberait aussi, il ne pouvait pas l’avoir oublié; et personne n’avait envie de tomber et de tirer des années de centrale. Surtout pas Katz. Vernois regarda son mouchoir, qu’il pliait avec soin avant de se le remettre sous le nez, puis le visage de Katz.

Farouk ou Tora. Il murmura doucement:

— Et merde, Katz. C’est devenu trop compliqué pour moi. Farouk a passé le mot qu’il fallait pas toucher à Joko, vers midi. Joko est passé ici, y a un moment. Il voulait savoir où la fille pouvait se planquer, si j’avais une idée…

— Tu avais une idée?

Vernois fit non de la tête.

— Pourquoi?

— Elle était avec Ségura. (Vernois enleva le mouchoir.) Tu sais comment c’est, Katz… Peut-être qu’elle est au courant, peut-être pas… Écoute, Katz, j’étais pas d’accord pour qu’ils t’envoient une torpille, mais je crois pas que je compte beaucoup. Théo n’était pas chaud non plus, remarque.

— Il est complètement froid, maintenant, ricana Katz.

— Farouk a essayé de tout garder. Il était pourtant au courant qu’il fallait pas jouer au petit soldat avec les ritals, depuis le temps… (Il haussa les épaules. Katz bouffait à tous les râteliers, mais au moins il savait sentir d’où venait le vent.) Y a des types qui sont arrivés de Milan, cette nuit… Ils avaient déjà tâté le terrain.

— Où est Joko?

— Aucune idée. Peut-être chez la fille.

— Quelle fille?

Vernois secoua les épaules et se dirigea vers un classeur métallique. Le revolver que tenait le type le suivit, plaqué au flanc droit. Il sortit des photos en vrac que Katz examina rapidement et lui rendit.

— Elle bosse pour toi?

— C’est une soliste, fit Vernois. (Il rangea les photos.) Paraît qu’elle est super, mais elle a failli piquer un mec, dans une soirée.

— Piquer?

Vernois referma le classeur, fit un geste explicite de la main, celui d’enfoncer une lame à hauteur du nombril.

— Il a fallu du monde pour l’empêcher de le planter… C’était une soirée… un peu spéciale, si tu veux. Seulement personne s’attendait qu’elle aille chercher un couteau dans la cuisine. C’était spécial, mais cool. Tu comprends?

— Je comprends, rétorqua Katz.

Vernois se tamponna encore un peu sous le nez, ça ne coulait presque plus, mais ça commençait à lui gronder sérieusement dans le crâne et il avait l’impression que sa tête avait doublé de volume.

— Le type s’en est tiré avec une dizaine de points de suture…

— Quand même!

— Ouais.

— Joko la connaissait?

— Ouais. Il était déjà passé chez elle, mais elle n’y était pas. (Vernois fit bouger son menton.) Si ça se trouve, elle s’est déjà tirée au diable. Katz, Farouk aurait jamais dû…

— Quoi?

— Il a pris un coup de vieux.

— Ça se pourrait bien.

Vernois hésita encore un instant. L’immeuble était vide et silencieux. C’est pour ça qu’il avait loué les locaux. Il choisit son côté, balança en vrac:

— Katz, Joko attend la gonzesse chez elle. Il risque d’attendre jusqu’à perpète, remarque! Y a d’autres mecs avec lui. Ils ont une grosse bagnole, genre américaine, j’peux pas te dire la marque, avec une roue de secours derrière le coffre.

Katz sortit les pinces qu’il portait à la ceinture, saisit le poignet de l’homme et l’attacha à un tuyau de chauffage central. Il n’avait pas besoin de le palper, puisque le .32 se trouvait sous le bureau renversé. Il prit la précaution d’arracher les fils du téléphone. Rodriguez avait remis le revolver à l’étui. Katz allait quitter la pièce et considéra sa capture avec ironie.

— Vic, toi aussi tu as pris un coup de vieux: je te présente l’inspecteur Jean-Michel Rodriguez… (Vernois faillit s’arracher la main en tirant sur les menottes.) Te fais pas de souci, on va t’envoyer du monde pour que tu te sentes moins seul.

Vernois tira de nouveau et le tuyau résonna de manière lugubre.

En descendant les marches, les deux flics l’entendirent jusqu’en bas, bong, bong, bong, à chaque fois que l’autre essayait d’ébranler la fonte de toutes ses forces. Il finirait peut-être par y arriver, ou alors il se fatiguerait.

Tapi dans l’ombre, Diogène aussi entendit le bruit, qui semblait issu de nulle part. Il se trouvait un étage plus haut. Plus question cette fois de filer les flics. Il sortit son Ruger et vissa le silencieux au bout du canon. Lorsque le portail se fut refermé, il se mit à descendre et le bruit creux parut scander ses pas. Mornes, creux, réguliers. Monotones.

*

Lantier allait partir dormir un moment. Dans la pénombre, la pendule de bureau marquait vingt-trois heures. L’office central avait pris Pastor en filature, mais le policier ne se faisait pas beaucoup d’illusions. Il demanderait peut-être une construction sur ses lignes téléphoniques. Il fallait pour cela des raisons précises et il n’en avait pas beaucoup, simplement la conviction intime que Pastor avait la taille de se livrer à ce genre de manipulation, même si les raisons devaient lui rester encore un moment passablement obscures. Allez savoir pourquoi la banquise bouge et craque, parfois…

Lantier pensa avec ironie que le crime revêtait parfois un aspect géologique. Le dernier grand affrontement avait fait trente morts sur une dizaine d’années, avant que l’Honorable Société vienne y mettre le holà. Pas la police, ni la magistrature. De respectables hommes d’affaires. Des morts sans confession.

Un téléphone sonna et il décrocha d’un geste mécanique.

Ligne directe.

Katz l’appelait, alors qu’il disposait d’une radio dans sa voiture.

Lantier alluma aussitôt sa lampe de bureau et attira un bloc de sténo.

La voix de Katz était calme et précise, presque détachée.

Lantier prit rapidement.

— Il te faut du monde?

— Ils sont trois ou quatre…

— D’accord. J’envoie du personnel chez l’autre connard. Comment il est?

— Hors d’état de nuire…

— Vivant?

— Évidemment… À quoi ça servirait, autrement?

— Katz…

— Oui?

— Fais gaffe à toi. N’essaie pas de monter. J’arrive dans un quart d’heure tout au plus. Comment c’est?

— Un immeuble, à côté de la tour Montparnasse. Un jardin derrière. Quatrième étage droite en montant.

— La fille est dedans?

— Aucune idée.

— Il va falloir investir en douce. Tu as quelqu’un, avec toi?

— … driguez.

— Ne bougez pas! Je prends l’écoute radio. Ne bouge pas, Katz!

Ce dernier avait raccroché. Lantier alluma sa console radio. Personne ne trafiquait. Il appela la voiture. Personne ne répondit. Il glissa le .357 dans son étui, appuya sur la touche de son interphone. Appela l’état-major. Il sentait que c’était une question de minutes.