Выбрать главу
*

Diogène roulait à toute allure. Il connaissait Paris comme sa poche et il n’avait pas besoin de gyrophare pour se frayer son chemin. Il n’avait jamais vu Vernois auparavant et l’autre n’avait fait aucune difficulté à parler, conscient que ça n’avait plus aucune espèce d’importance pour lui. La balle de .357 lui était entrée juste entre les yeux et l’arrière de son crâne avait crépi les photos épinglées au mur. Il s’était tout de suite détendu et effondré en tas, en glissant lentement le long du tuyau, jusqu’au moment où la menotte avait rencontré le raccord perpendiculaire qui menait l’eau au radiateur.

Il était resté un bras en l’air, la tête — ce qu’il en restait — renversée en arrière et la bouche grande ouverte.

L’Alfa glissait à toute allure.

Quoi de plus naturel, de moins inattendu, qu’une intervention de police pour qu’un flic ait un pépin? Et qui pourrait jamais dire qui avait bien pu ouvrir le feu le premier et sur qui il tirait?

Il parvint sur l’objectif beaucoup plus tôt qu’il l’avait prévu. La rue était étroite et déserte et rien n’indiquait qu’il allait s’y passer quelque chose. Diogène ne s’y engagea pas et laissa l’Alfa sur le trottoir, devant un magasin de literie où l’on faisait des soldes.

Il avait dévissé le silencieux de son Ruger et remplacé l’étui percuté par une balle expansive, dans le barillet. Il referma sa veste et se mit à progresser à défilement. Il repéra, à une dizaine de mètres, la courte antenne de la voiture. Se rencogna dans une entrée. La voiture était vide. Plus haut dans la rue, et mal rangée, il y avait une grosse bagnole avec un type au volant, le coude appuyé à la portière. De la fumée de cigarette s’élevait de temps à autre du pavillon.

Diogène se mit à respirer à fond, retenant son souffle quelques secondes avant de le laisser s’échapper entre ses lèvres.

Il se sentait parfaitement détendu.

*

Katz s’essuya la figure avec la main. Rodriguez le couvrait, enfoncé dans le siège du passager, les yeux au ras du tableau de bord et la nuque dissimulée par l’appuie-tête. Katz était accroupi entre deux voitures et il voyait les fenêtres allumées au quatrième. Un homme dans l’Ariane trafiquée, et qui n’avait pas du tout l’air de s’en faire puisqu’il grillait tranquillement sa cigarette en laissant pendre le bras avec négligence à la portière, de temps à autre. Les autres en haut? La fille, il ne savait pas. La sueur lui coulait le long des flancs. Il y avait peut-être une autre issue, par le jardin, derrière.

Trop tard, pensa Katz: il est trop tard. Pourvu qu’elle ne soit pas rentrée de son voyage. Pourtant, il faut toujours rentrer, un jour ou l’autre. Katz savait qu’il ne pouvait pas bouger. Il n’eut aucune peine à reconnaître la détonation dans la nuit, bien qu’elle lui parvînt étouffée. Presque aussitôt, la lumière de l’entrée éclaira le trottoir. Celui qui conduisait l’Ariane mit le contact…

Et tout se détraqua brusquement.

Katz embusqué les vit sortir, la fille se débattait et hurlait, ils allaient la charger dans la voiture, mais elle était encore vivante, le moteur grondait, l’homme au chapeau la frappait à coups redoublés sur la tête, mais elle s’accrochait au pavillon, il lui martela les phalanges avec son arme. Katz sentit la sueur lui couler dans les yeux, le long du nez: quatre hommes qui tabassaient une fille sous ses yeux, mais cette fois, ce n’était pas pour qu’elle craque et se mette à table, ou pour le faire craquer, lui, c’était pour l’emmener. Et ils n’y arrivaient pas. Et les flics n’arrivaient pas. Le Noir donna un coup de poing dans les reins de la fille. Le conducteur était sorti.

Elle hurlait un prénom, comme une folle, malgré les coups.

Il n’avait pas compris qu’elle hurlait un prénom.

Rodriguez vit alors la silhouette de Katz surgir et s’installer sur le trottoir, comme au stand. Il n’eut pas besoin d’enregistrer la remontée de l’arme tendue dans les deux poings.

— Joko! cria Katz.

Aussitôt après, il ouvrit le feu. La première balle fit éclater la tête du Noir, la seconde traversa la portière et frappa le conducteur qui pivota, jeta les bras au ciel et alla s’abattre le long du capot, la troisième, sans que le canon ait paru chercher la cible, toucha le maigrichon au bec-de-lièvre qui s’était retourné et dont les mains pendaient pourtant de chaque côté du corps. Un flot de sang jaillit à l’impact, sous le cou. Joko avait jeté la fille de côté, il n’était pas plus à couvert que le type qui avait tiré mais elle le gênait. Il braqua le .45 et tira en même temps que Katz. Les deux détonations se confondirent, mais ils n’avaient touché ni l’un ni l’autre. La fille gigotait à plat ventre. Il n’avait pas le temps de l’expédier.

— De la part de Farouk! cria Katz.

Il avait relevé le chien du revolver. Joko avait le doigt sur la queue de la détente. La fille se retourna et vit la silhouette du jeune homme au chapeau. Elle tenait le .22 de Baby — c’est comme ça qu’ils avaient appelé le Noir — entre les doigts, elle était sur le dos, et les yeux livides ne la regardaient pas, ils l’avaient oubliée, occupés à fixer le canon du revolver, à mesurer les chances et aucun des deux autres n’en avait la moindre, cette fois. Ils ne pouvaient plus se manquer.

Il se produisit deux choses en même temps: une silhouette avait surgi derrière Katz et il y avait eu une détonation qui l’avait projetée en avant, et en même temps, à la même seconde, Joko entendit les deux claquements du petit automatique et sentit les deux balles lui pénétrer dans le flanc. Il ne lâcha pas le .45, le moteur de la voiture tournait, il se rua dedans et l’arracha du trottoir. Une balle fit éclater la lunette arrière pendant qu’il remontait la rue en faisant hurler les pneus, une autre frappa le coffre.

Hébété, Rodriguez se retenait au pavillon de la voiture. Il avait encore son revolver entre les doigts. Il venait de coller une balle dans la nuque du type qui voulait nettoyer Katz. Il l’avait vu en une fraction de seconde lever le revolver à canon court et le braquer sur le dos du blouson, entre les épaules, tout en courant. Rodriguez avait tiré sans sommation, le poing appuyé au pavillon. Dans la nuque. La fille s’était remise debout toute seule. Elle aussi avait encore le pistolet entre les doigts, un ridicule .22 de rien du tout. Elle enjamba un corps et marcha au hasard. Puis elle laissa tomber le pistolet à ses pieds, dans le caniveau.

Katz la regarda en face.

Elle eut l’impression de reconnaître des traits familiers.

Ils n’auraient jamais dû sortir. Kenny n’aurait jamais dû essayer de prendre le pistolet de celui qui portait le chapeau. Elle n’aurait jamais dû vivre. Elle plongea le poing dans sa poche de jean, en sortit le caillou qu’elle tendit à l’homme aux traits familiers, et qu’il ne prit pas. Elle regarda l’autre homme qui s’approchait, et dont les pas ressemblaient à ceux d’un homme ivre. Il sortit de façon gauche un porte-cartes qu’il ouvrit et elle reconnut ce qu’il lui montrait sans un mot: une carte de police.

Katz avait fait quelques pas en arrière et retourné du bout de sa chaussure l’épaule du mort. Il ne restait pas grand-chose de sa face, rien que des lambeaux sanguinolents, un œil qui ne semblait plus tenir à rien. Rodriguez rangea sa carte, prit ce qu’elle lui tendait: un diamant. Une pierre. Katz avait encore reculé, il embrassa la scène d’un seul regard, les corps affalés, le sang noir encore luisant. Il laissa tomber le revolver vide. Rodriguez avait rangé le sien sous l’aisselle. Katz laissa tomber son propre porte-cartes. Sur le corps.

Rodriguez essaya de lui saisir le bras.

Les autres n’allaient pas tarder à arriver. Il faudrait expliquer beaucoup de choses, pourquoi ils n’avaient ni brassard de police ni fait de sommations. Ce que la fille avait fait… Katz reculait pas à pas. Il avait la figure inondée de sueur et les mâchoires contractées.