Il ramasse sa cigarette mutilée, en sectionne la partie gangrenée, transformant ainsi en mégot une sèche neuve, et soupire en se le vissant dans la commissure (de police).
— Ve n'y fuis four rien ! Ma feule fonnerie f'est de n'afoir fas fris mes fafiers, Fan-A.
Et il me bonnit tant mal que bien l'anecdote suivante.
Obéissant à mes directives, il s'est élancé en direction d'Angers au volant de la voiture du pauvre Longuant. Le hasard (ou son flair de flic) a voulu qu'il retrouve le camion de déménagement quelques heures plus tard, sur la route. Illico, il a dressé un plan d'action : suivre les déménageurs en attendant qu'ils fassent halte chez un routier quelconque et profiter de la nuit tombante pour essayer de récupérer le mort. Au bout d'un certain temps, les camionneurs ont accéléré, comme s'ils s'étaient aperçus de la filature. Pinaud les collant toujours, ils se sont arrêtés en rase campagne. La Vieillasse les a alors doublés et a stoppé un peu plus loin. Lors, les déménageurs sont repartis ; il s'est laissé redoubler et la poursuite a continué un moment. L'allure augmentait. Je laisse maintenant la parole au Débris ; malgré son défaut de prononciation :
— Le fompteur marfait fent dix. La nuit fombait. Il y a eu un firage fans fisibilité. Brufquement, f'ai aperfu le camion, tous feux éteints à la fortie de fe firage. Impossible de freiner. F'ai donné un coup de folant à gauche et f'ai emplâtré une famionnette qui arrifait en fenf inverfe. Le foc m'a feulement étourdi. Mais le bonhomme de la camionnette, fardon : de la famionnette, a eu une fracture du frâne. Fans je me fuis eu forti des débris, les déménageurs afaient disfarus. Des fens fe font arrêtés, fuis les gendarmes font fenus. Pas de témoins. L'autre automobiliste fans le coma, f'était normal qu'ils m'arrêtaffent.
Houf !
Avec trois « f ».
Un large sourire, format tranche de pastèque, divise mon physique de théâtre en deux parties inégales, mais cependant aussi harmonieuses l'une que l'autre.
— Enfin une piste ! soupirai-je.
CHAPITRE VIII
À PRENDRE OU À LÉCHER
— C'est bien « ça », n'est-ce pas ? demande le brigadier Narcisse en présentant à Pinuche une pauvre chose tordue, terreuse et grimaçante.
Pinaud sourit à ce rictus infâme lové au creux de la monstrueuse poigne.
— Merci, Narcisse, vous avez eu toute la peine, dit-il en fourbissant la chose avec sa jupe avant de se la tant bien que mal rajuster in the clapoir.
Le gendarme-chef remarque mon visage détendu. L'estimant de bonne-augure, il s'enhardit :
— Vous accepteriez de dîner avec nous, monsieur le commissaire ?
— Sans façon, refusé-je. J'aimerais téléphoner.
— Comment donc ! La ligne est à vous !
Il me filerait même sa mégère en supplément, plus sa belle-doche, son canari et ses brodequins de cérémonie.
Je demande le 69 à Caducet et je l'obtiens si rapidement que, pendant une pincée de secondes, j'ai l'impression de ne pas être en France.
Une voix féminine, pas désagréable du tout, répond à mon appel.
— Allô ! J'écoute…
Le « ô » est traînant comme une robe de mariée.
— Qui est à l'appareil ? m'enquiers-je, surpris, croyant à un faux numéro.
— La gouvernante du docteur Bérurier, rétorque la voix.
En v'là un qui n'a pas perdu de temps pour remplacer la mère Pinuche. Je vous parie ce que vous savez contre n'importe quoi plié dans du papier de soie, que Sa Majesté a embauché une luronne du pays.
— Je voudrais parler au docteur.
— Il n'est pas revenu de ses visites, y a une commission ?
— Dites-lui que son cousin Antonio lui demande de l'appeler sitôt qu'il rentrera au numéro que je vais vous donner…
Je place ma main chevaleresque sur le turlu :
— C'est le combien, ici ?
Narcisse me file son tube et j'annonce la couleur à la camériste du Gravos.
— J'ai idée que le Mastar t'a trouvé une remplaçante, dis-je à Pinuchard, après avoir raccroché.
Puis, sèchement, au brigadier.
— Laissez-nous, je vous prie !
Il a beau se sentir en faute, il n'en revient pas, le brigadinche. C'est la première fois qu'on le vire de son propre bureau. Il m'interprète un moment la première figure de « Miarka-la-fille-à-l'Ourse » avant de s'emmener promener.
— Tu l'as vexé, déplore l'Attendri.
— M'en fous. Écoute, raclure, j'ai l'impression que nous tenons le bon bout, il s'agit de ne pas le lâcher.
— Je te suis mal, avoue le Frêle.
— Aussi mal que tu as suivi hier tes déménageurs, hein ?
Mon ami hausse ses maigres et fatalistes épaules.
— J'ai fait de mon mieux.
— Une fracture du crâne et un passage à tabac, plus deux bagnoles embouties, c'est déjà un résultat, reconnais-je. En tout cas, le comportement de tes déménageurs me donne à penser que ces messieurs trempent jusqu'aux moustaches dans cette ténébreuse affaire, aussi vais-je sans plus tarder me lancer à leurs trousses.
— Je t'accompagnerai car j'ai deux mots à leur dire !
— Je les leur dirai de ta part. Toi, tu retournes à Caducet…
— J'ai plus de bagnole !
— Je vais dire à Narcisse qu'il t'y fasse reconduire. Une fois là-bas, tu remonteras la nationale en direction de Paris sur une quinzaine de kilomètres. Il y a des panneaux signalant des arrêts d'autobus le long de la route. Sur une distance variant de huit à quinze bornes. César, tu te rendras dans les localités correspondant à ces poteaux indicateurs et tu chercheras à savoir si une jeune femme blonde, d'environ vingt-cinq berges, ayant les yeux bleus et une petite cicatrice en étoile à la tempe gauche y habite. Dans l'affirmative, je veux son identité et un rapport détaillé sur ses fréquentations, compris ?
Docile, le Redenté répète mes instructions :
— Blonde, les yeux bleus, vingt-cinq ans, une cicatrice en étoile…
— J'ai idée que ce petit lot a une liaison avec un monsieur possédant une D.S. bicolore dans les tons gris.
— Je te promets une enquête approfondie sur le personnage, assure la Relique.
La porte du bureau gendarmier s'ouvre à la volée. La poignée de cuivre va creuser d'un nouveau centimètre le trou qu'à force de le percuter, elle a foré dans le mur. Une môme d'une vingtaine d'années, belle comme le jour où il faisait soleil, entre dans la pièce, habillée en tennis-woman, une raquette sous le bras, les cheveux collés par la sueur. Elle est brune-à-reflets-roux, elle a le regard presque vert et un ovale pareil à un rectangle dont on aurait arrondi les coins. Sa jupette blanche découvre une paire de cuisses fantastiques, elles-mêmes annonciatrices d'un popotin qui flanquerait des idées salaces au patriarche d'Antioche. Elle nous considère, bouche bée, fronce ses sourcils soigneusement épilés et demande :
— Mon père n'est pas là ?
Moi, vous me connaissez ? Je lui décerne de toute urgence un sourire qui ferait sécréter les mannequins aux gestes suffisants qu'on peut admirer dans les vitrines des grands magasins.
Mais ça n'a pas l'air de la toucher.
— Voudriez-vous parler du brigadier ? roucoulé-je.
— Évidemment.
Elle hausse les épaules et appelle à pleine et intelligible voix :
— Narcisse !
Ce qui indiquerait qu'elle a un sens très personnel du respect filial.
Le gros pandore surgit.
— Voyons, Édith, laisse ces messieurs ! sermonne-t-il.
— Mademoiselle ne nous dérange pas, nous en avions terminé, m'empressé-je.