Выбрать главу

— De quoi s'agit-il ?

Alexandre-Benoît observe quinze secondes d'un silence savant avant de répondre :

— Ce serait rapport au premier médecin. Quéque temps avant sa mort il aurait reçu la visite d'un étrange bonhomme. Un gars blessé au volant d'une voiture sport. Paraîtrait que la bagnole aurait stationné trois jours devant chez mon pré des censeurs, ce qui indiquerait que le type que je te cause serait resté cloquemuré chez le toubib, vu qu'on ne l'aurait aperçu nulle part dans le village.

Mon petit lutin intime soubresaute dans ma pensarde. Il m'avertit que le Gros vient de lever un lièvre important.

— Je vais de plus te filer une précision qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui me semble intéressante, San-A.

— Envoie la came, mon Gros !

— Les meubles qu'on est venu chercher… Ce ne sont pas ceux du DERNIER médecin bousillé, mais ceux du PREMIER. Je ne sais pas si ce détail t'intéresse, toujours est-il…

— Toujours est-il que tu es un crack, Alexandre-Benoît, lancé-je joyeusement. Continue, tu tiens le bon bout. Le visiteur blessé, à quoi ressemblait-il ?

— Bouge pas, je vais me rancarder auprès de mon petit trésor…

Pendant qu'il va aux informations, Édith radine, en grande tenue de voyage. Elle porte une extrêmement minijupe, à côté de laquelle sa jupette de tennis ressemblait à une robe à traîne, et une veste en ciré noire.

— Je suis à vous ! me dit-elle, ce qui me donne envie de la prendre au mot.

— Tu as des éléments intéressants ? demande Pinaud d'un air contrit, car une sourde rivalité l'oppose parfois à son acolyte.

— Mon petit doigt me dit que oui.

— T'es toujours là ? reprend Gras-du-Bide.

— Avec l'oreille béante, réponds-je.

— Paraîtrait que l'individu pouvait avoir une cinquantaine d'années. Il était large, trapu. Il portait un pull à col roulé, une casquette, des lunettes noires et il traînait la jambe. De plus il avait un sérieux pansement à une main que Mariette se rappelle plus laquelle était-ce. Un pansement rouge de sang. Ça t'excite ?

— Terriblement. Je pense rentrer demain à Caducet. Continue de réunir un maximum de renseignements.

Je raccroche, le cœur enrubanné.

— En route ! décidé-je.

Je serre la loube pantelante de Pinuche, celle du vigoureux Narcisse, et je m'empare de la petite valoche de la môme.

Je vous ai précisé qu'elle porte des bas noirs ?

Moi, je ne peux pas résister aux bas noirs.

Lorsqu'une gamine dont le tour de flotteurs dépasse cent centimètres se hasarde dans mon espace vital avec des bas noirs, y a pas, faut que je lui dépose à la chambre la motion de confiance dans l'heure qui suit.

C'est à prendre ou à lécher.

CHAPITRE IX

J'AI UNE PETITE SURPRISE POUR VOUS

Ce voyage jusqu'à Angers, mes frères : une bénédiction ! Elle a de la conversation, la môme Édith. Elle m'explique pour commencer que son père est un vieux con (ce que j'avais cru remarquer) et qu'il y a belle lurette qu'elle le chambre avec le coup de l'Institution. Voilà trois mois qu'elle a dit bye-bye aux bonnes frangines qui lui accordaient le gîte et la tortore pour se louer une petite carrée meublée, rue de l'Amiral-Coulapique. Il lui a suffi d'envoyer à l'amère supérieure du nouvent de connes, pardon, du couvent de nonnes, une lettre à en-tête de la gendarmerie et signée brigadier Narcisse Piépoilu, pour se faire télécommunier chez Plumeau. Désormais, elle travaille pour un notaire et vit à sa guise, comme disait Henri III à son cousin. Elle a son franc-parler, cette fille. Affranchie de bas en haut. Elle m'explique qu'excepté son patron, elle ne branle rien chez le tabellion. Elle a un petit burlingue pour elle toute seule, où le vieux rat vient se faire pelucher l'injecteur, chaque matin, histoire de se libérer le survolteur. Le reste du temps, la gosse ligote des San-Antonio ou fait des mots croisés. Elle me raconte tout ça comme une bonne blague fraîche et joyeuse, Édith. C'est une libertaire farouche dans son genre. Dix minutes de corvée avec Me Tumlastique et elle est peinarde. Il lui en demande pas plus, l'homme à la minutes et au nœud papillon. Une marotte qui lui est restée de la sixième !

Avec son méchant rhumatisme au poignet il est obligé de faire appel à la manœuvre étrangère. Dans un sens, Édith qui est une forcenée du tennis, ça lui fait travailler son lob ! Tout le monde y trouve son compte. Narcisse, lui, il coince la bulle sur ses deux manettes pendant ce temps. Il la croit bien préservée, fifille, à l'ombre des encornettes. Bourrée de messes basses jusqu'aux sourcils, en train de broder des napperons et de réciter des je croasse en Dieu. Il s'imagine, le chéri, que pendant qu'il prépare sa retraite, elle fait la sienne à l'Institution de l'Immatriculé Contraception, sa grande. Elle lui ramène des tableaux d'honneur en veux-tu là voilà, qu'elle achète dix francs la douzaine à la librairie du Curé d'As, ou du Carré d'Ars. C'est le notaire qui les lui remplit, en belle ronde-comme-on-n'en-fait-plus, agrémentée de petits poils occultes. Narcisse les fait encadrer. Paraît qu'il en a plein sa chambre. C'est sa fierté, sa gloire, son doping. On lui analyserait la lancequine les soirs qu'elle en ramène un, il serait déclaré nul et non avenu, Narcisse. On lui dénierait recta l'existence.

Tout en bavassant, je lui caresse le compas. Elle me rend l'appareil. Y a rien qui fertilise les relations comme une gentille partie de montre-un-peu-comme-y-fait-chaud-chez-toi. Ça n'empêche ni de conduire ni de converser et ça vous entretient dans un état euphorique.

De confidences en caresses on arrive à Angers et elle me drive droit chez elle. La rue de l'Amiral-Coulapique est cette voie étroite qui va du boulevard Sépamoicélautre[16] à la place du Trouillomètre[17].

Quelle n'est pas ma surprise teintée de stupeur, et même de stupéfaction, d'apercevoir à l'angle de la place et de la rue de l'Amiral-Coulapique un vaste bâtiment peint en jaune coco, sur le fronton duquel d'énormes caractères noirs cernés de blanc et soulignés de rouge proclament :

Établissements A. COURSYVITE et ses Fils.
Déménagements toutes directions.

C'est dantesque, le hasard, vous ne me prétendrez pas le contraire, bande de petites effrontées ! Voyons : je vole au secours de Pinaud, et la fille du brigadier qui le tortionnait habite Angers. Je raccompagne la gosseline chez elle pour lui faire admirer mes pendeloques japonaises et v'là qu'elle crèche à quarante-trois mètres vingt six de la boîte qui m'intéresse.

Je vous ai avoué, un peu plus haut, que j'étais surpris ? Erreur : je suis abasourdi. Car, depuis que je connais les agissements des déménageurs, je ne doutais pas un instant qu'ils circulassent sous une raison sociale bidon. La chose me paraissait à ce point certaine que j'ai même négligé de vérifier sur l'annuaire s'il y avait à Angers une maison de transport Coursyvite.

Donc, cette taule existe. Alors je ne vois plus qu'une hypothèse valable : un camion de la firme a été volé par des malfrats.

— Garez-vous sur la place, parce que ma rue est trop étroite, recommande Édith.

Je colle ma tire sous des platanes déguisés en marronniers et je la suis pensivement.

La chambrette, de ma conquête est du style Mimi Pensum. Il ne manque pas une photo d'idoles aux murs. Sur le divan-lit (ô divin lit), elle a étalé une couverture de voyage dont le motif représente des tacots début de siècle. La nappe de la table est en papier journal pelliculé et le déshabillé accroché à la porte ouverte du cabinet de toilette ferait prendre une moustiquaire pour une robe de bure.

вернуться

16

Célèbre magistrat angevin qui inventa l'alibi.

вернуться

17

Appareil servant à mesurer les émissions d'adrénaline dans le corps humain consécutives à une forte émotion. Il existe deux sortes de trouillomètres : le simple, et le trouillomètre Azéraux, du nom du fameux physicien angevin, Hector Azéraux.