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— Continue, Maumau…

— Il y a trois jours, Mme Favier est arrivée au bureau pour demander si on pouvait aller chercher son mobilier à Caducet. Elle m'a expliqué que sa situation n'était pas très brillante et m'a demandé si on pouvait lui faire des prix…

— C'est quel genre de femme, ta Mme Favier ?

L'ainé des Coursyvite détourne la tête.

— Oh ! fait-il…

— Mais encore ? insisté-je.

— Quarante-cinq ans environ. Une brune plutôt pas mal….

Je lui donne une chiquenaude à l'oreille.

— Regarde-moi voir, Maurice !..

C'est un régal de manœuvrer cette pomme à l'eau ! Je vous jure qu'un môme de sept berges se montrerait plus rétif.

Ses cils roux battent à toute allure, comme pour le protéger de mon regard intense. Mais les mirettes d'un San-A survolté, c'est pas des stores californiens qui suffiraient à vous en garantir.

— Tu veux que je continue pour toi, Fleur de Nave ? La gentille petite veuve t'a joué la grande scène du trois, hein ? Les yeux pleins de larmes et les pointes de seins qui te font : « Haut les mains ». Trois doigts de charme, un doigt de tristesse, un doigt de promesse, et le tout donne la main de ma sœur dans la jugeote d'un zouave comme toi ! Tu lui as goupillé un petit déménagement discret, aux frais de la maison…

— C'est-à-dire…

Il déglutit péniblement…

— J'ai demandé à deux de nos gars qui étaient de congé s'ils voulaient dépanner une amie. En échange elle leur donnait un beau billet à chacun…

— Et le camion ?

— On en a toujours en réparation. Je leur en ai fait prendre un qui venait d'être remis en état mais qu'on n'avait pas encore rentré.

Je ricane :

— Dis donc, si les autres fils Coursyvite sont aussi poires que toi, après la disparition de ton vieux, ça va devenir une succursale de l'Armée du Salut, chez vous ! Tu as revu tes déménageurs ?

— Oui.

— Ils ne t'ont parlé de rien ?

— Ils m'ont seulement dit que le travail était fait.

— Et Mme Favier ?

Il attend, le regard à la Stan Laurel. C'est vrai qu'il a un côté Pierrot affligé, Maurice.

— Tu l'as revue ? j'insiste.

— Elle m'a téléphoné pour me remercier. Elle m'a dit de passer lui dire bonjour, à l'occasion.

— Tu y as été ?

Il branle le chef.

— Non, je… heu !.. je n'ai pas osé. Et puis je suis amoureux d'Édith.

— Pourtant, un petit bonjour ça n'engage à rien… T'es vraiment une pièce rare dans ton genre, fiston. Tu coules la barque sans chercher à en tirer profit. Donne-moi son adresse, à elle aussi, et n'oublie pas de m'indiquer celles de tes deux apôtres.

Il griffonne, sans enthousiasme.

— Quand mon père va savoir ça, recommence-t-il.

— C'est un coriace, ton vieux ?

Maurice réprime un frisson.

— Il nous bat, avoue-t-il.

Je lui file une bourrade.

— Laisse tes glandes lacrymales tranquilles, gars. Je vais essayer de t'arranger ce sac d'embrouilles.

Cette fois, c'est des yeux d'épagneul qu'il lève sur moi.

— Vous croyez ?

— En tout cas, pour la môme Édith j'écrase. Mais laisse-la quimper, c'est pas ta longueur d'onde. Maintenant va roupiller sur tes deux oreilles, des fois que ça te les recollerait un peu…

Il se lève, danse d'un pied sur l'autre, puis m'adresse une courbette et s'éloigne, les mains au fond des poches.

Je mate ma tocante. Elle marque dix heures. Je me demande si je vais finir tout de suite la mignonne Édith qui doit se demander ce que je maquille avec son rouquin transi, ou bien si, malgré l'heure tardive, je me paie une visite à la veuve Favier.

Moi ; vous me connaissez ? Le boulot avant tout. Je présente mon carnet à la lumière morose d'un lampadaire et je lis :

Mme Favier, 30, quai Lenflure.

* * *

Une veuve récente, c'est presque aussi charmant qu'une jeune mariée.

Ça en a la timidité, la maladresse, les gestes incertaines et les minces confuses.

En somme, c'est une jeune démariée !

Elle parait effarouchée, Mme Favier, sur le pas de sa porte, dans sa robe de chambre rose praline. Une veuve en robe de chambre, on ne s'aperçoit plus qu'elle est veuve car il n'existe pas de robe de chambre de veuvage.

La maison est étroite, ancienne, bloquée entre deux constructions plus importantes. Un jardinet la précède. Un perron de quatre marches y donne accès.

A mon coup de sonnette, un judas s'est ouvert. Une voix feutrée, vaguement peureuse, a demandé « Qu'est-ce que c'est ? ». J'ai répondu que c'était moi. La voit m'a demandé d'attendre un instant. Et maintenant Mme Favier se tient dans l'encadrement de sa porte, curieuse et souriante. Elle est jolie, avec ce quelque chose d'un peu suranné qu'ont certaines provinciales. Quelque chose d'amusant et de romantique, d'infiniment charmant, de capiteux comme les petites bourgeoises adultères de Feydeau.

— Je suis navré de vous importuner à pareille heure, madame Favier…

Je lui présente ma carte.

Son sourire baisse d'intensité, sana toutefois disparaître.

— Oh ! je vois, anglicise-t-elle. C'est toujours au sujet de mon mari, n'est-ce pas ?

Je secoue la tête.

— Non, madame, il s'agit de tout autre-chose.

— Entrez, je vous prie.

La porte se referme sur moi. Un vestibule pique droit sur un escalier de bois verni. A gauche et à droite, des portes basses, en fer forgé, délimitent le salon et la salle à manger.

Elle pousse celle du salon. La pièce n'a pas été retapissée depuis les Cent jours. Son papier Empire semble avoir été énergiquement gommé sur presque toute sa surface.

Croyez-moi, ou allez vous faire décolorer les poils du bide à l'eau de Javel, mais le premier objet que j'aperçois en pénétrant chez Mme Favier, c'est le fameux coffre, objet de notre équipée. Je reconnais infailliblement ses motifs gothiques et son couvercle garni de velours rouge.

— Asseyez-vous, je vous prie !

— Vous étiez peut-être au lit ? m'enquiers-je.

— Non, je faisais des rangements. Je viens de m'installer dans ma maison de famille, et il y a tant à faire…

Elle est extrêmement séduisante, cette femme. Une sensuelle ! Son regard pudique vous donne envie de la choper par le menton pour lui regarder le fond de l'œil afin de voir si on s'y trouve.

Malgré le sex-appeal de la dame, c'est surtout le coffiot qui me fait loucher. Je donnerais trois ans du traitement de Pinaud pour pouvoir le charger sur mes épaules et me barrer avec.

— Voyez-vous, poursuit mon hôtesse d'une petite voix pitoyable, il est étrange de réemmenager dans la maison qui vous a vu naître. J'ai un peu l'impression de rentrer de voyage…

Elle soupire. Ses yeux ont une brillance qui rendrait dingue n'importe qui (et à plus forte raison un grand puceau attardé comme Maurice Coursyvite).

— Un voyage de vingt-deux ans, ajoute-t-elle.

— Vous vous étiez mariée au berceau ? galantise le Casanova des faubourgs.

— A vingt ans. dit-elle, pas tricheuse pour un fif, car elle sent bien, la mâtine, qu'elle a conservé son teint de jeune fille, avec la manière de s'en servir.

— J'ai quitté ce logis dans la joie, au bras de mon époux que j'adorais. Mes parents se tenaient sur le seuil et nous adressaient des signes d'adieu… Et voilà que j'y reviens seule.

— Vous n'avez pas d'enfant ?

— Un grand fils qui fait ses études à la Faculté de Médecine de Paris.

Elle s'assoit en face de moi, dans un fauteuil crapaud. Sa robe de chambre s'écarte, me découvrant brusquement des bas noirs (seul signe de deuil visible). Elle s'empresse de se redraper dans les plis du vêtement, ce que je déplore.