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Malgré sa mélancolie, je la devine très forte. Mme Favier est une combative qui ne déclare pas forfait devant les coups du sort.

— Je vous raconte ma pauvre vie, dit-elle, alors que vous avez certainement des choses importantes à régler.

Tu parles, Charles !

Je mate le coffre, monstrueux de tranquillité. Tout à son emménagement, Mme Favier ne l'a pas encore ouvert. Il faut dire que le couvercle, — j'en sais quelque chose — pèse au moins cinquante kilos. C'est pas le genre de meuble où une femme seule peut remiser son poudrier.

— En fait, dis-je c'est une question assez banale qui m'amène ici. Figurez-vous que les déménageurs de chez Coursyvite ont provoqué un accident en convoyant vos meubles depuis Caducet.

— Mon Dieu ! Grave ? ils ne m'ont rien dit !

Elle semble sincèrement effarée.

— Assez grave. Et ils l'ont singulièrement aggravé du délit de fuite.

— Serais-je responsable, civilement ? s'inquiète la gentille veuve.

— Absolument pas ! Je suis seulement venu éclaircir un petit point. Est-il vrai que ces deux hommes se soient chargés de votre déménagement en dehors de leurs activités normales ?

Elle rougit.

— Je crains bien que oui. Maurice Coursyvite m'a gentiment proposé le transport de mon mobilier à un prix très bas… C'est un jeune homme charmant, avec lequel mon fils jouait au tennis, l'été dernier et…

— Aïe, aïe, aïe, grommelé-je, voilà qui va lui valoir une fameuse admonestation de la part de son papa.

— Je suis désolée, fait la dame. Décidément, on a souvent tort de vouloir réaliser des économies. J'avais expliqué à ce garçon que rien ne pressait et que je souhaitais faire enlever mes meubles aux meilleures conditions…

Je hausse les épaules :

— Bast ! il est à un âge où l'on doit prendre ses responsabilités, chère madame.

Je devrais me lever, prendre congé. Officiellement nous n'avons plus rien à nous dire. Elle doit même penser que ma visite est intempestive pour une vérification aussi mineure. Mais je ne parviens pas à arracher mon prose du fauteuil. Le cadavre dans le coffre… Cette petite dame qui s'organise en ignorant qu'elle héberge un mort… Je la regarde, en bon mâle convoitant une proie intéressante.

Elle baisse les yeux. Sa voix a un léger fléchissement tandis qu'elle demande :

— Voulez-vous prendre quelque chose ?

— Trop aimable à vous, madame Favier, je pense que je vous ai suffisamment importunée comme ça, lâche l'hypocrite San-A.

— Oh ! vous savez, mes soirées sont bien désertes maintenant… Un peu de compagnie me change les idées…

Elle se lève et va ouvrir la porte d'une grosse horloge dont les aiguilles sont arrêtées sur six heures et demie.

L'intérieur de l'horloge est garni de rayons chargés de bouteilles, et l'on a cloué le disque doré du balancier contre la lucarne.

— Un peu de cognac, ou souhaitez-vous un alcool plus doux ?

— Un doigt de cognac, s'il vous plaît.

Saisi d'une idée subite, je m'empresse d'ajouter :

— Dans un grand verre, avec beaucoup d'eau et un peu de glace.

Mon idée est dingue. Je vous la livre pour ce qu'elle vaut. Je me dis rigoureusement ceci : « Elle va aller chercher de la flotte et de la glace dans sa cuisine. Le temps de démouler quelques glaçons du bas, cela va prendre deux petites minutes ou pour le moins cent dix-neuf grandes secondes. Il me faut à moi quatre secondes pour bondir à la fenêtre et l'ouvrir. Cinq secondes pour revenir au coffre et l'ouvrir. Quatre secondes pour arracher le cadavre de son sarcophage. Six pour le coltiner à la croisée. Deux pour le balancer à l'extérieur. Cinq pour refermer la fenêtre et venir rabattre le couvercle du coffre. Une pour me rasseoir dans mon fauteuil. Soit au total, si je ne me goure pas dans l'addition, vingt-sept secondes. Je mettrai le reste du temps à profit pour régulariser mon souffle malmené par la rapidité de ces efforts. Bravo, San-Antonio, ça c'est de l'esprit d'initiative !

La chère femme hoche la tête. Elle verse une rasade de gnole dans un grand verre. Puis, à ma profonde désillusion, elle s'approche d'un bahut Louis XV en bois bruitier, qui, une fois ouvert, se révèle être un réfrigérateur.

— Combien de glaçons ?

— Deux, grogné-je.

Raté ! Faut que je trouve autre chose. Mais quoi ? Les hanches de mon hôtesse me fournissent la réponse. Elle a un bath valseur, la dame Favier. « Allons, San-A., m'exhorté-je, déballe ta panoplie du parfait séducteur et montre ce que tu es capable de faire dans un minimum de temps avec un maximum d'audace. Pendant qu'elle démoule les cubes de glace, je démoule, moi, mon plan d'attaque. Faut y aller dans l'efficace, les gars. Pas se perdre en vain bla-bla. Soldats droit au c… mais épargnez le visage ! Bravo Ney ! Noble recommandation quand on va être flingué avec des cartouches à blanc.

Elle se redresse. A nouveau les pans de la robe de chambre s'entrouvrent. Un vrai petit rideau de théâtre. C'est bibi qu'a envie d'entrer en scène et de frapper les trois coups. Les bas noirs ! La peau est bistre ! La mignonne culotte blanche, avec de la dentelle ! J'imaginais pas ainsi les slips de veuve.

Elle me tend mon verre. Je m'en empare en lui emprisonnant les doigts. Elle a un sourcillement, mais marque un temps avant de se dégager. Est-ce le feu vert ? Si je précise, ne risqué-je pas une paire de tartes ? Après tout, qu'importe ?

Il en a reçu d'autres, San-A., et il en a flanqué plus encore !

Je me lève et dépose mon verre sur le coffre où le toubib pétomane dort de son ultime sommeil.

— Excusez-moi, coassé-je, je pense qu'il vaudrait mieux que… que je prenne congé.

Je joue puissamment l'homme du monde aux prises avec un désir impétueux, qui refuse de céder à ses sens. Elle s'aperçoit de mon trouble, le croit sincère.

— Vous ne buvez pas ? demande-t-elle d'un ton tranquille.

— Il m'arrive une chose insensée, je…

Et floc ! Je lui harponne la taille de mon bras en faucille. D'une détente je me la plaque au buffet.

Elle se tortille.

— Mais je vous en prie, regimbe-t-elle. Laissez-moi ! En voilà des manières !..

Je lui bouffe ses protestations à la source et la pétris frénétiquement.

— C'est fou ! râle-t-elle en rassemblant sa surface contre la mienne.

— Je sais, je sais, mais c'est plus fort que moi, réponds-je sur le même ton.

Voilà qui scelle nos accords. Me reste plus qu'à lui pâmer des petits trucs classiques à bout portant : « Tu es trop belle… Je te veux toute…Tu m'affoles…. » etc. (la suite à l'étage au-dessus, en vente dans tous les bons feuilletons du XIXe siècle).

Vous ne pouvez pas, vous figurer ce que j'ai les paluches prestes dans ces cas-là. Elle doit se croire enlacée par Bouddha, la chérie. Mes doigts ubiquitent à tout va. Je lui ai pas plutôt largué le grand pectoral que je lui trifouille déjà le moyen adducteur. Mon index gauche lui délimite l'omo-hyoïdien tandis que mon médius droit lui met en évidence la symphise pubienne. Je suis le Paganini de l'anatomie féminine.

En quarante secondes elle est au point de fusion. Je n'ai plus qu'à la prendre dans mes robustes bras. Je cherche sa piaule. Elle me drive, le front enfoui contre ma poitrine. Pilotage sans visibilité. « C'est fou, c'est fou, chéri ! bêle-t-elle. La première porte à gauche en haut de l'escalier, qu'elle ajoute ! »

Je la grimperais au sommet de l'Arc de Triomphe, dans ma frénésie. J'escalade les marches quatre à quatre (non, je me vante : trois à trois). D'un coup de coude, je déloquette la porte indiquée. La chambre est douillette. Allons, tant mieux. Un grand plumard capitonné, pareil à une nacelle. Y a même un ciel de lit en voile. Des tapis qui nous effacent le bruit…