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Un silence suit.

— Ça vous fait mal quand j'appuie ici ? demande le docteur Bérurier.

— Non.

— Et quand je vous caresse à c't' endroit, mon enfant ?

— Non plus, coasse la dame.

— Si j'insiste ? insiste le praticien.

— Nnnon !

— Vous êtes sûre ?

— Oui, docteur.

— Bon, v'là déjà un point d'acquis, grommelle Sa Majesté d'une voie qui donne de la bande. Mettez-vous à genoux, maintenant ma poule, que je continuasse mon exact-main.

— C'est une honte ! tonne le pétomane.

— Il va m'entendre, promets-je.

Béru, continue sa séance :

— Quand je pose mes deux mains comme ça et que vous toussez, ça vous fait-il plus souffrir ?

Une petite toux en cascade retentit.

— Si je tousse, oui, renseigne la malade.

— Parfait Et si je les pose ici mes deux mains, sans que vous toussassiez ?

— Ça me fait moins mal…

— Conclusion, vous avez juste un mal de gorge de gorge, diagnostique Alexandre-Benoît.

— Vous croyez, docteur ?

— Comment si je crois !.. Dites voir, quand votre brigand vous joue son solo-voyou, est-ce-que, consécutivement, vous avez des étourdissements ?

— Je… je n'ai pas remarqué…

— C'est très Important que je susse. Bougez pas, on va se rendre compte tout de suite, rallongez-vous.

Un temps. Une voix plaintive que féminine proteste (pour la bonne et due forme) :

— Mais qu'est-ce que vous faites, docteur ?

— Mon travail ! bafouille le Mastar.

Mon voisin est déjà en train de composer le numéro de téléphone de notre vis-à-vis. C'est marrant parce qu'on entend la sonnerie. Elle retentit, une fois, deux fois…

— Téléphone ! râle la cliente du Gros.

— T'occupe pas, chérie, rétorque sobrement ce dernier.

— Et si c'est une urgence ? émet cette courageuse femme qui, dans les instants les plus délicats, conserve des réserves d'altruisme.

— Y a rien de plus urgent que ce qu'on fait ! riposte le noble animal-humain.

Longeant raccroche rageusement.

J'y vais ! dit-il en prenant son veston sur le dossier d'un siège.

Je le retiens :

— Non, laissez, nous interviendrons après !

Il tonitrue de la soupape et se' met, à tourner en rond autour de la baffe d'où s'échappent des gémissement, des ahanements, des grincements et des silences plus évocateurs que tout le reste.

— Ah ! le sombre dégueulasse ! vocifère le médecin (le vrai) ; abuser ainsi de la situation ! C'est une infamie !

— Bast, jurez-moi que ça ne vous est jamais arrivé, doc, coupé-je.

Il se tait.

Quelques minutes plus tard, l'organe clair et vibrant de Bérurier retentit :

— Mon lapin, vous êtes dans une forme éblouissante. Gargarisez-vous à l'eau salée et dans deux jours ce sera râpé.

— Vous ne regardez pas ma gorge ? bêle la pauvrette.

— A quoi bon, pour une simple angine ! Tapez-vous un bon grog ce soir, avant de vous pieuter, bébi. Ça fait cinquante francs.

Pendant que la donzelle se refringue, j'appelle le docteur. Cette fois, il se décide à décrocher.

— Docteur Bérurier, j'écoute ! déclare-t-il sentencieusement.

— Il est frais, le docteur Bérurier ! grondé-je.

— Oh ! c'est toi…

— Tu me fais honte, Gros. Je te jure que tu me le payeras.

Il ricane :

— A ma place, mec, t'en aurais fait autant, alors m'écrase pas les arpions avec tes vannes. Je suis perspicologue et je sais pertinemment ce dont je peux me permettre.

« Au revoir, ma gosse, lance-t-il à sa cliente. Si ça persistait, revenez me voir, je vous ferais des prix. »

Un claquement de porte. Il reprend, à mon intention :

— Maintenant, écoute-moi, San-Antonio ! C'était une luronne pétroleuse qui ne demandait que ça. Tu sais, c'est un beau métier toubib. On s'expédie en l'air et on se fait payer. C'est la première fois que j'ai une séance de tringle remboursée par la Sécurité sociable.

Il rigole et raccroche. Un nouveau temps mort. Cette fois il introduit un vieux bonhomme à béret. Je l'ai vu arriver tout à l'heure en seconde position.

— Alors, mon brave, l'attaque-t-il, c'est au sujet de quoi t'est-ce ?

— L'estomac, gémit le vieillard. L'estomac… Sitôt que je mange, il me prend des brûlures…

Longuant compose hâtivement le numéro et Béru décroche, maussade :

— Docteur Bérurier,j'écoute ?…

— Je suis votre « collègue » d'en face. Envoyez cet homme se faire une radio de l'estomac dans un laboratoire, vous m'entendez, espèce de goret !

Le Gros déteste foncièrement qu'on lui parle sur ce ton.

— Je connais mon métier, bougre de mal poli, éructe-t-il. Et peut-être mieux que vous !

Il coupe la communication et, pour avoir la paix, s'abstient de raccrocher, si bien que nous sommes désormais dans l'impossibilité de lui parler. D'un simple geste, Béru nous confine dans un rôle purement passif.

— Est-ce que vous bouffez beaucoup, pépère ? demande-t-il à son interlocuteur.

— Seulement des bouillons, des laitages, je peux rien garder !

— Depuis longtemps ?

— 5 années, docteur. Je suis très frugal.

— Ça viendrait de là que j'en serais pas autrement surpris, déclare le médecin.

— Vous croyez ?

— Je vais vous passer à la scopie, enlevez votre veste et suivez-moi.

Leurs pas se dirigent vers la salle de radio où le second micro les prend en relais.

— Mettez-vous là derrière, pépé, et bougez plus, on va s'assurer du pourquoi du comment.

Des déclics… Des raclements de gorge.

— Ah yaïe yaïe ! s'exclame le Gros.

— C'est grave ? demande le vieux.

— Y aurait comme du chou-fleur dans l'air que ça m'étonnerait pas, assure le radiologue.

— Qu'entendez-vous par là ? n'ose comprendre le pauvre homme.

— Je vous aperçois une de ces taches noire que c'est rien de le dire !

— Où ça, docteur ? blêmit le futur agonisant.

— A la hauteur de la poitrine. Sur la gauche… Ça cache une partie du cœur…

— Mais c'est à l'estomac que je souffre, docteur !

— Et après, pépère ? Moi, quand je m'enrhume, c'est aux pieds que j'ai eu froid, mais c'est de la tête que j'éternue. Respirez voir un grand coup…

On perçoit un sifflement amplifié par l'appareil, et qui évoque le vent aigre de l'hiver s'engouffrant dans la cheminée.

— La tache demeure fixe, déclare Béru. Je voudrais pas vous frapper, mon pauvre monsieur, mais il vous reste tout juste un bout de cœur gros comme une noix.

— C'est pas possible, gémit le vieillard, qui s'écroulerait probablement s'il n'était coincé entre le bloc radio et l'écran.

— On voit de ces choses, dans la médecine, je vous jure, continue Bérurier. Le cœur qui se dilue, dites, qu'est-ce qu'irait penser à ça ? Faut le voir pour le croire ! Je voudrais que vous puissiez mordre le spectacle par-dessus mon épaule !

— Mais c'est dû à quoi ?

Sa Majesté, ainsi questionnée, rassemble son savoir :

— Selon moi, vous faites une décalcification du muscle cardiaque à force de ne pas becqueter potablement. Tout doucettement, vot' cœur est parti en brioche, c'est fatal. De ce fait, pouvant plus remplir sa mission, il est remplacé par l'estomac vous me suivez ? Lequel estomac, dont c'est pas le boulot, fatigue ! Rapprochez-vous davantage de la vitre… C'est dommage, vos soufflets sont encore convenables…