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Une vraie petite championne de l’amour ! Une collectionneuse de prouesses !

Elle est pas faite pour l’intégral veuvage, Mathilde (elle s’appelle Mathilde). Le régime ermite, voire même le régime de bananes, elle en a rien à branler. La reconnaissance lui sort du système glandulaire. Elle me crie qui je suis, ce que je crois être, ce qu’il n’y a pas de raison que je ne sois pas, ce que je pourrais devenir avec un peu d’entraînement et ce qu’on pensera de moi plus tard ! Les fornifications à la Vauban, elle organise ! Sacré Mathilde ! Les entrechats à l’horizontale, elle les exécute en véritable maîtresse de ballet. Quelle sarabandeuse, ma doué ! Aussi je lui exhibe tout, c’est normal, avec une connaisseuse. Je lui montre à quel point les techniques ont évolué depuis qu’Adam hait Eve et que Caïn cahat.

Elle ne revient pas de ce progrès réalisé au fil des siècles pour aboutir à la furia san-antoniaise.

Pendant que je m’escrime, que je m’abîme et me distribue, je pense à cette gentille petite Édith qui se désaccorde la mandoline en m’attendant. C’est guère correct le tour que je lui ai joué. Elle va avoir droit à une kermesse de bienfaisance, la doucette enfant, pour compenser.

Ne jamais oublier son prochain dans les moments d’exaltation. Toujours cultiver ses bonnes résolutions.

Après le final, Mathilde gît, les bras en croix.

— Oh ! chéri, elle me gazouille, la figure dans l’oreiller.

Je lui caresse la nuque (toujours redevenir très pudique après une séance intensive).

— C’était merveilleux, ajoute-t-elle.

Je m’assois sur le lit, relaxe et gaillard. Je suis pas de ces gus que les prouesses radadières mettent sur le flanc.

— Si tu permets, je vais aller chercher mon verre, lui dis-je.

L’homme a préparé le terrain.

Au flic de jouer, maintenant.

Je dévale l’escalier et bombe au salon. J’ouvre la fenêtre. Le quai est noir, désert, silencieux. On entend tout juste le chuchotement de la Maine.

Par mesure de prudence j’éteins la loupiote avant de déménager le cadavre. Je transfère mon cognac du coffre à la cheminée et soulève le couvercle.

Malgré la pénombre, je réalise immediately la situation, mes amis.

Le coffre est vide !

CHAPITRE XI

Dans lequel je continue ma ronde de nuit

Les déménageurs se nomment respectivement Valoche et Le Bossu et, chose admirable, ils crèchent tous deux dans la même H.L.M, en bordure de la ville.

Leurs blases vigoureux s’étalent, en caractères tremblés, sur les boîtes à lettres de l’entrée. Je fais du slalom parmi des amoncellements de voitures d’enfants, poucettes et autres vélos et je gravis deux étages de ciment brut. La minuterie ne fonctionnant plus, j’utilise ma propre électricité de poche afin d’éviter les détritus jonchant l’escadrin. De temps à autre, le maigre faisceau de ma loupiote me révèle les juvéniles graffiti décorant les murs. Tous les mômes de l’immeuble ont gravé leurs noms dans le plâtre et les littéraires se sont même permis des « merde à çui qui l’ lira » pleins d’invention.

Charles Valoche !

C’est écrit à même la lourde, au crayon bille bleu.

Je sonne, déclenchant des ondes d’inquiétude de l’autre côté de l’huis. Je perçois des murmures, des raclements de pantoufles, des bruits de sièges bousculés.

Enfin une voix de femme, tout ce qu’il y a de peu cordial, demande :

— Ce que c’est ?

— Je voudrais parler à m’sieur Valoche, réponds-je.

— Au sujet de quoi ?

— De la part de son patron.

On actionne la clé. Une dame de quarante ans, mais qui fait le triple de son âge, m’apparaît. Elle est en chemise de nuit bleu sale, elle a les pieds nus sur le lino de l’entrée. Ses seins ont tendance à se débiner et ils tomberaient bien bas si son gros bide ne les retenait. Cette personne pue le rance et le sommeil. Son visage bouffi s’encadre de cheveux huileux qui sentent la friture. D’ailleurs, tout l’appartement renifle la pomme frite froide.

— Y a quèque chose de cassé ? demande-t-elle après m’avoir étudié d’un œil cloaqueux.

— Sait-on jamais ! lui dis-je. Votre mari est ici ?

— Y se lève. On venait juste de s’endormir, après la fin des émissions, reproche-t-elle.

Du menton elle me montre un magistral poste de T.V. encore fumant.

Quelque part, venant d’une pièce voisine, j’entends crier merde par un monsieur qui, vraisemblablement, vient de se cogner le gros orteil contre un pied de son lit. En écho, un moutard se met à sangloter.

— Allons, bon, Géger est réveillé, maintenant, continue la fée du logis en dardant sur moi des éclats vénéneux. C’t’ un gamin que les vers l’empêchent de faire ses nuits. Pour un coup qu’il roupillait convenablement.

À la cantonade, elle lance :

— Eh ben, t’arrives, Charlot, quoi, merde !

— Oh, merde, y a pas le feu, quoi, merde ! rétorque l’interpellé.

D’où je conclus que chez les Valoche, le mot de Cambronne tient une place prépondérante, et qu’il facilite les échanges culturels entre époux.

Apparition du surnommé Charlot. Au premier coup d’œil, je suis déçu, et au deuxième, navré. Jamais le gars Valoche n’a été ni ne sera un malfrat. C’est la bonne bouille de manard, un peu soufflée et colorée par le vin rouge et les calvas. Mettre dans sa fouille les truites non-réglementaires qu’il attrape, constitue sans doute pour lui le plus noir des délits.

— Salut, m’sieur Charlot, lui lancé-je d’une voix engageante.

Sa chemise ouverte jusqu’au nombril passe par-dessus son pantalon tire-bouchonnant. Derrière, ses bretelles pendent comme une queue époilée. Valoche caresse son cou râpeux, renifle et murmure, avec une certaine inquiétude :

— Qu’est-ce qui se passe ? C’est vrai que vous venez de la part de m’sieur Coursyvite ?

Je sors ma carte professionnelle. Il recule pour la lire, vu qu’il est un brin presbyte.

— Quoi donc ? bredouille-t-il. Quoi donc ?

— On peut discuter en tête à tête ?

— Si je vous gêne faut le dire ! ronchonne la dame Valoche.

— Je ne me permettrais pas, riposté-je.

Les cris du moutard réveillé lui fournissent un argument pour sauver la face. Elle s’évacue en grommelant des désagréments.

J’aime bien cueillir les gens au débotté, la noye, alors qu’ils dégustaient leur premier sommeil. Vous ne sauriez croire combien ils sont vulnérables, à merci. Leurs idées font la colle et leurs gestes sont mous. Ils subissent l’effroi de la nuit. L’homme est fait pour la lumière du jour ; seuls les tourmentés, les refoulés, les anormaux s’épanouissent dans l’obscurité.

— Charlot, je voudrais que vous me racontiez votre voyage à Caducet, en compagnie de votre voisin et ami Le Bossu !

Il cligne des yeux.

— Le patron est au courant ? demande-t-il en réprimant mal une grimace.

— Pas encore, mais ça pourrait venir assez vite.