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Allons, allons, commissaire, réfléchis… Mme Favier est seule. Elle procède à son emménagement… Quelqu’un a dû l’aider. Elle n’a pu coltiner seule au salon le coffre gothique qui pèse trois cents livres (non dévaluées). J’aurais dû demander à Charlot s’ils ont donné un coup de main à leur cliente… C’est probable… Admettons. Mme Favier fait un brin de ménage, elle ouvre le coffiot…

O ! Pardon docteur !

Sa surprise surmontée elle décide de planquer le mort. Comment s’y prend-elle ? C’était pas un mannequin d’osier, Longuant, comme dirait mon regretté camarade Anatole. Une faible femme n’aurait pu se le trimballer. Donc ! nécessité d’un complice !

Je reviens dans la maison dont j’explore la cave sans rien dénicher de suce-pet.

Marron, San-A.

Qu’en conclure ?

Je me mets à califourchon sur le coffre, espérant que les marres du ci-devant locataire viendront à mon secours. Je connais des artistes qui travaillent avec les instruments d’illustres devanciers, comme si un peu de leur génie leur était ainsi transmis. Des compositeurs composent sur le piano de Debussy où de Ravel, tandis que des peintres barbouillent sur le chevalet de Corot ou de Delacroix. Moi, j’ai essayé d’écrire sur l’Underwood de Rabelais et avec la pointe Bic de Voltaire, mais ça n’a pas été concluant ; les vaches avaient embarqué leur talent dans la poche intérieure de leur linceul.

Après un temps de méditation, je vais refermer la porte à clé, j’éteins toutes les lumières et je file me planquer derrière les doubles rideaux de la fenêtre, côté salle à manger.

Pourquoi ? Parce que le téléphone se trouve dans cette pièce et que si Mathilde a un complice, elle ne manquera pas de l’alerter au retour du commissariat.

Supérieurement pensé, hein !

Merci de me le dire.

CHAPITRE XIII

Faut que ça pète ou que ça dise pourquoi !

Je mijote une vingtaine de minutes avant de percevoir un ronflement de voiture suivi d’un bruit de freins. La clé de Mme Favier fourrage dans la serrure. J’entends confusément des : « Bonne nuit, madame ! — Au revoir, messieurs. » Le vestibule s’éclaire, la porte se referme. Au dehors, la chignole des bourdilles redémarre.

Figé derrière ma tenture, je fais comme dans les bons romans policiers : je retiens mon souffle. Dans tous les romans policiers, à un moment donné, le héros retient son souffle ; vous n’aller pas prétendre le contraire, non ! Alors laissez-moi retenir le mien et foutez-moi la paix !

Embusqué pour mon safari des nuits angevines, je guette les agissements de la friponne. Elle est entrée au salon. Un tintement de verre, un glouglou : la v’là qui se remonte le moral. Drôle de ciné, n’est-ce pas, Mme Favier ? Ah ! c’est pas rose toutes les nuits d’être la veuve d’un monsieur assassiné !

J’attends, certain qu’elle va venir tubophoner à un zig. Je le sens. Tout mon être le prédit. Je prends les paris à quatre contre un.

La lumière du vestibule s’éteint. Le pas souple de mon hôtesse fait craquer les marches. Ma parole ! Elle monte se pieuter ! Oh ! dis, San-A., tu l’aurais-t’y pas dans l’œuf une fois de plus, mon petit gars ? Le moment n’aurait pas sonné d’acheter un petit fond de bonneterie que tu tiendrais avec Félicie ?

C’est à étudier, ça, mon gamin. Car enfin, ou tu yoyotes de la dynamo, ou tu as la cerise. Dans un cas comme dans l’autre, vaut mieux changer de métier.

Là-haut, pile au-dessus de ma tronche, Mathilde procède à son énième décarpillage. Elle va dans sa salle de bains se rafraîchir la bouzigue et se torchonne.

Un bon moment je l’entends remuer dans son plumard. Je reconnais la musiquette du sommier, sur lequel, une plombe plus tôt, j’ai donné mon récital. Enfin les grincements s’espacent.

Ils cessent. Mme Favier n’a pas téléphoné.

Mme Favier s’est endormie…

Comme quelqu’un qui a la conscience en repos.

J’ôte mes mocassins, les fourre chacun dans une poche de ma veste et, silencieux comme une ombre (toujours d’après le langage de mes grands confrères), je retourne bricoler la serrure afin de pouvoir vider les lieux proprement.

* * *

C’est un pauvre petit San-A. fort marri qui regrimpe dans sa chignole. Un San-A. qui, moralement, a la queue entre les jambes, mes amis. Un San-A. aux prises avec le doute. S’il existait une gueule capable de faire exploser les miroirs, comme un caillou pulvérise le verre sécurit, ce serait bien la mienne. C’est pas le moment de m’asseoir sur le bidet du culte suprême, façon Robespierre (dans mon jardin). Mon caberlot se refroidit plus vite que le soleil. Et pourtant, rien de plus incandescent (et indécent) qu’un crâne d’homme. Des fois, au restaurant, je mate des tablées de gus. Il me semble qu’une vapeur légère flotte au-dessus d’eux. En regardant attentivement, on constate que leurs têtes fument, tel le fumier épandu dans les labours.

Tout est si précaire, si faillible, que ça vous fout la nausée d’y songer. À quoi se raccrocher ? On dérive en pleine misère, petits icebergs en train de fondre ! Foutriquets à la houpe ! Tous plus ou moins self-merde-men… De temps à autre un petit coup de ce bel amour qui court les ruts, et puis finit la comédie ! Ces considérations considérables pour cons sidérés vous donnent la température de mon moral.

Je mets le moulin en route et je m’apprête à passer la première lorsque quelque chose bloque mon attention. Je fais un magnifique arrêt de volée. Ou, pour être plus précis, un magnifique arrêt de volet, car en coulant un dernier regard à la maisonnette de la veuve, j’ai aperçu un linge blanc accroché à l’appui de fenêtre de sa chambre. Rien de bouleversant au demeurant, si ce n’est que ce linge ne se trouvait pas là lorsque les quatre poulagas sont venus quérir la charmante femme.

Conclusion, elle vient de l’y suspendre.

Vous me direz qu’il arrive à tout le monde de mettre un linge à sécher sur une barre d’appui. Je vous répondrai que oui, à condition que la température extérieure s’y prêtât. Or, il bruinasse sur Angers, depuis mon arrivée. C’est pas exactement de la pluie, plutôt une pulvérisation automnale.

L’étoffe blême évoque le drapeau blanc d’une reddition. Je ne puis m’empêcher d’y voir un signal. D’un geste brusque, je coupe le contact. Le ronron de ma tire meurt et un bon silence réconfortant enveloppe ma pensée.

Un signal !

Le linge se découpe sur la façade grise comme le rectangle blanc des censeurs de la téloche. Ceux qui n’ont pas fatalement leur conscience pour eux, mais qui l’ont en tout cas pour nous ! Il semble crier : « achtung ».

Alors, San-Antonio, mon canard, ce flair, pas si perturbé que tu le craignais, on dirait ?

Ça se fait beaucoup, le linge-signal à la croisée. Il signifie, généralement : « Impossible aujourd’hui : mon cocu est là. » Y a plus qu’en province que le cocufiage reste un sport. À Paris, on s’encorne à la va vite. On b… façon snack. Le côté : « Garde ton soutien-gorge, je suis en double file. » Des fois, on est tellement pressé qu’on se goure de partenaire dans la bousculade des saint-cassettes. « Oh ! excusez-moi, madame, à cause de votre panthère, je vous ai confondue avec ma maîtresse ! — Y a pas de mal, mon père, tout le plaisir a été pour moi ! »