Выбрать главу

Tandis qu’en province, malgré les nouvelles zones bleues, on prend le temps de se faire reluire. Ça émoustille encore, l’adultère. La petite maâme Machin, avec le marchand de meubles ! Le garagiste et la crémière ! La fleuriste et l’adjoint au maire ! Le pharmago-président du pénis-club avec un peu toutes ces dames. On vit à l’heure du slip dans nos sous-préfectures. Le jour de congé du docteur Faribol fait partie de la vie communale. Les tenancières de petits hôtels, généralement situés hors du bourg, accueillent des personnages importants qui bousculent à leur guise les arrêtés préfectoraux.

M’est avis pourtant, que, dans le cas présent, la serviette-nid d’abeille de la dame Favier revêt une autre signification. Je vous parie le tome premier de mes œuvres complètes contre une tome de Savoie que la veuvette attendait une visite qui maintenant l’effraie. Elle n’a pas d’autres moyens de prévenir son futur visiteur, sans doute, parce qu’elle croit sa ligne surveillée ?

J’allume une pipe pour me tenir éveillé. Ça aide à réfléchir, la pipe. La preuve en est qu’à la troisième bouffée je vais ouvrir la malle de ma charrette où se trouve ma canne à lancer. N’en concluez pas que je sois un pêcheur acharné, mais bien que pêchant, généralement en eaux troubles, j’ai l’amour des ruisseaux. Je sors ma canne de son étui, débloque le moulinet et traverse la chaussée. Deux petits coups de poignet, et hop ! L’hameçon à trois branches de ma cuiller va accrocher la serviette.

J’enroule doucement, après avoir libéré le cran du bobineur pour ne pas faire de bruit. Un jeu d’enfant. Le linge glisse de la barre d’appui et me choit sur la tête. Je le dépique, le roule en boule et vais le jeter un peu plus loin. Après quoi je range ma canne et rallume ma Pall Mall. Rien de plus difficile à garder allumé que l’Early Morning.

Cette fois c’est bonnard pour une nuit blanche, mon San-A. J’évoque le divan d’Édith où il ferait si bon roupiller en serrant la gosse contre moi.

* * *

Malgré mes bonnes résolutions je me suis endormi. Le passage d’un Solex me réveille. L’aube blafarde et pâteuse tire le quai Lenflure de son mystère. Je me fourbis les carreaux en claquant des dents, because le froid sournois des petits matins. Un vieil ouvrier lesté d’un sac tyrolien passe avec un pet-à-traîne accroché au dargeot. Il est six plombes.

Je frotte mes jambes ankylosées. De l’autre côté de la Maine, j’aperçois, çà et là, des lumières. Sur la gauche, à une trentaine de mètres, la demeure de Mme Favier est toujours silencieuse.

Mon petit somme m’a regaillardi. Malgré mes joues râpeuses et mes membres engourdis, malgré le matin frisquet, inexplicablement, je suis de bonne humeur. Il me semble qu’après une douche et un café, je serai en mesure de décrocher une médaille d’or aux jeux Olympiques de l’optimisme.

Cependant, je n’ai aucune raison particulière d’être joyce ; au contraire. Rien ne s’est produit. Ou si ça s’est produit, je ne m’en suis pas rendu compte. D’ailleurs, à la réalité diurne, je me dis que ce linge n’avait probablement aucune signification. Seulement moi, vous me connaissez ? Toujours un film enclenché dans mon petit projecteur. Il est commak, San A. ; vous le changerez pas. Paré pour se monter le chou. Aussi généreux en inverti qu’en amour (où il est chaque fois déclaré vainqueur par jet de l’éponge !).

Une fourgonnette verte survient, face à moi, ralentit et grimpe sur le terre-plein où je me trouve. Je n’ai que le temps de me jeter de coté, sur la banquette. La portière claque… Je vois passer tout contre ma vitre la silhouette d’un homme en imperméable bleu-marin, coiffé d’une casquette de même métal. Je compte jusqu’à six avant de me redresser. L’homme marche droit sur la porte de Mme Favier. Il carillonne…

Moins fort que mon cœur !

Ah ! quel hymne d’allégresse retentit dans ma poitrine valeureuse. Valeureusement je n’ai pas le temps de l’écouter. Le temps presse… Je baisse subrepticement ma vitre embuée. Comme j’ai bien fait de me planquer sous les arbres ! La fenêtre du premier s’entrouvre. Le beau visage ensommeillé paraît. De mon point d’observation, je constate que la gentille veuve paraît très effrayée.

— J’avais mis le linge ! fait-elle.

C’est fou le nombre de gens qui disent des secrets à haute voix. Il suffit de tendre l’oreille. Le véritable espion est un monsieur, qui cesse de s’écouter penser pour écouter parler les autres.

— Il est tombé ! ajoute Mathilde en montrant la serviette sur le trottoir où je l’ai jeté en boule.

Son visiteur regarde autour de lui ; pressentant sa réaction, je me suis planqué à nouveau.

— Ça ne fait rien, ouvrez ! fait-il.

Un moment passe. La clé grommelle dans la serrure.

— Vous voulez bien ramasser le linge ?

Une femme pratique, cette Mme Favier. Je la soupçonne d’aimer l’artiche ; sa scène de séduction au fils Coursyvite, en vue d’obtenir tout rabais, le prouve.

La lourde se referme.

Mon petit lutin, complètement réveillé, me tire par la manche.

— Et maintenant, m’sieur le commichose, me demande-t-il, quels sont vos projets ?

— Tu vas voir, môme !

San-A. descend de sa tire de satyre. Il exécute quelques flexions de jambes pour se désankyloser et traverse la chaussée[22]. Parvenu à la porte, il esgourde.

Mathilde et son matinal visiteur, sont montés au premier.

Re-à-toi de jouer, Cézame.

J’entre.

Sans m’essuyer les pieds.

* * *

On dit que les clébards jouissent d’une ouïe fabuleuse ! À côté de San-A., ce sont dès clients de chez Sonotone, mes amis.

J’ai une manière de mobiliser tous mes sens au service d’un seul qui me permettrait de mystifier n’importe quel radar.

Le type à l’imperméable bleu et Mathilde piétinent dans la chambre voisine de celle où j’ai eu droit au régime de ses faveurs (qui ne sont pas des faveurs de régime).

— Je me demande comment vous avez pu faire ! déclare l’arrivant.

— Ne m’en parlez pas, répond ma conquête.

Elle ajoute, explicative :

— Je me suis servie d’une corde.

Pour lors, ma curiosité est piquée au vif, comme disent les pêcheurs de brochets.

Elle s’est servie d’une corde pour faire quoi ?

— Et ainsi, reprend la voix masculine, en pleine nuit ils vous ont conduit au commissariat afin de téléphoner à Caducet ?

— En voyant ces agents j’ai eu très peur. Je leur ai proposé d’appeler Caducet depuis ici, mais ils m’ont dit que je devais les accompagner…

— Et que vous a demandé le policier ?

— Si je connaissais Berthoux. Il venait de découvrir son existence… Il semblait d’ailleurs savoir pas mal de choses.

— Qu’avez-vous répondu ?

— Que je n’avais jamais entendu parler de cet homme, bien entendu. Mais le policier s’est obstiné. Il m’en a fait une description très précise. À mon avis, il sait que Berthoux a séjourné chez nous quelque temps.

Elle s’interrompt pour demander :

— Comment allez-vous faire ?

— Ne vous occupez pas de ça.

Le zig à l’imper m’a l’air d’être un pas-commode de première grandeur.

— Il fait jour, maintenant ! remarque Mathilde.

— Merci, je l’avais remarqué.

— Supposez que ma maison soit surveillée ? Je suis certaine que la police a des doutes.

— Raison de plus pour agir vite !

Je décide qu’une interruption de ma part serait opportune, aussi dégainé-je l’ami Tu-tues et ôté-je son cran de sûreté.

вернуться

22

Toutes les fois que vous en avez l’occasion, parlez de vous à la troisième personne, ça vous donnera de la consistance.

Général des Geôles.