— Mais c’est à l’estomac que je souffre, docteur !
— Et après, pépère ? Moi, quand je m’enrhume, c’est aux pieds que j’ai eu froid, mais c’est de la tête que j’éternue. Respirez voir un grand coup…
On perçoit un sifflement amplifié par l’appareil, et qui évoque le vent aigre de l’hiver s’engouffrant dans la cheminée.
— La tache demeure fixe, déclare Béru. Je voudrais pas vous frapper, mon pauvre monsieur, mais il vous reste tout juste un bout de cœur gros comme une noix.
— C’est pas possible, gémit le vieillard, qui s’écroulerait probablement s’il n’était coincé entre le bloc radio et l’écran.
— On voit de ces choses, dans la médecine, je vous jure, continue Bérurier. Le cœur qui se dilue, dites, qu’est-ce qu’irait penser à ça ? Faut le voir pour le croire ! Je voudrais que vous puissiez mordre le spectacle par-dessus mon épaule !
— Mais c’est dû à quoi ?
Sa Majesté, ainsi questionnée, rassemble son savoir :
— Selon moi, vous faites une décalcification du muscle cardiaque à force de ne pas becqueter potablement. Tout doucettement, vot’ cœur est parti en brioche, c’est fatal. De ce fait, pouvant plus remplir sa mission, il est remplacé par l’estomac vous me suivez ? Lequel estomac, dont c’est pas le boulot, fatigue ! Rapprochez-vous davantage de la vitre… C’est dommage, vos soufflets sont encore convenables…
« Tel quel, vous étiez parti pour en prendre cent piges facile ! »
— Vous croyez que je suis condamné ? flageole le malheureux.
Un silence, au cours duquel le pseudo ex-interne des Hôpitaux de Pantruche se concentre.
— Je voudrais pas avancer une date à l’improviste, se retranche-t-il.
— Mais enfin, selon vous, docteur, ce serait imminent ?
— On va faire ce qu’on peut, mon brave. L’essentiel, c’est de se préserver le moral. Ce qui me chiffonne, aussi, pour rien vous cacher, c’est ces quatre z’autres taches qu’on vous aperçoit sur la cage. Ça forme chapelet, pour ainsi dire, vu qu’elles sont à des intervaux réguliers. Des taches bien rondes comme des trous de balles. Mon avis c’est que vous avez dû effacer une rafale de mitraillette pendant la dernière guerre, non ?
— Jamais de la vie !
— Si la mitraillette avait un silencieux, vous vous en êtes p’t’être pas rendu compte. Pour peu qu’en plus, les balles fussent été indolores. Ces Chleuhs, si vous vous rappelez, ils pratiquaient toutes les ruses…
On entend pleurnicher.
— Allons, voyons, pépère ! sermonne le Gros. Vous allez pas vous démanteler l’optimisme, hein ! Moi qui vous vois avec un bout de cœur gros comme mon pouce et l’advitamsternum tout charançonné, est-ce que je pleurniche ?
Brusquement, la Gonfle se tait :
— Qu’est-ce que vous regardez, docteur ? demande l’Incurable.
— Je crois qu’a maldonne, les quatre trous, ça doit être les boutons de votre limace, et la grosse tache noire votre étui à lunettes que vous avez gardé dans la poche de votre gilet. Déloquez-vous en plein, qu’on recommence…
Nouvelles manipulations. Puis, joyeuse exclamation de Bérurier, qui redonne vie à son client.
— J’ai vu juste, grand-père… Votre intérieur est correct. Vous possédez un beau battant drôlement gaillard pour son âge et un vitam-æternam impec.
— Et mon estomac ? espère le ressuscité.
— On va y faire sa fête, bougez pas. Maintenant refringuez-vous, je voudrais pas que vous prissiez froid. Quel âge vous avez ?
— Septante-huit, docteur.
— Tiens, l’âge de mon père !
— Et monsieur votre père se porte bien ? enquête le client.
— Oh, lui, il est mort depuis belle lurette.
— Ah ! fait le vieillard, douché.
Béru le cornaque à son cabinet.
— Dites-moi, pépère, confidentiellement, en ce qui concerne l’asperge folâtre, ça marche toujours ?
— Je suis veuf, élude le patient (oh ! combien patient).
— Raison de plus pour que popaul fasse sa petite gymnastique, décrète Sa Majesté. À votre place j’essaierais de me farcir une bonne gaillarde de quarante piges, bien dodue et bien salingue. J’ai idée que votre pauvre scoubidou en a marre de toujours regarder vos godasses, faut lui organiser d’urgence une soirée de bienfaisance. Vous verrez comment qu’il vous fichera la paix, l’estomac, quand vous aurez bien rassasié le voisin d’en dessous. Le régime jockey pour la boîte à ragout, le régime chartreux pour les bijoux de famille ! Ça vous mène droit à la tombe !
— Vous croyez, docteur ?
— Aussi, décrète l’étrange de Caducet-sur-Parbrise, voilà ce que je vais vous prescrire ; à partir de dès ce soir vous allez vous cogner une choucroute garnie mémorable et tout de suite après, vous filez chez les filles, y a sûrement des dames radasses dans la contrée ?
— Oui, il y en a.
— Je vais en profiter pour noter leur adresse, à toutes fins utiles.
— 3, rue des Enfants de Mutins, révèle le vieillard.
— Merci. J’espère qu’y a des lots intéressants ? Allez-y et tâchez moyen de rappeler vos souvenirs.
— Mais, vous n’avez pas peur que ce régime me fatigue, à mon âge, docteur ? s’inquiète le miraculé.
— Écoutez, décrète ce prince de la thérapeutique moderne, si c’est de la choucroute qui vous fatigue, prenez du bicarbonate de soude, si c’est la dame, buvez un bol de vin sucré, ca remet en jambes.
Dans notre chambre du Plat d’Etain, Longeant ressemble à un ours en chaleur. Il tourne autour du haut-parleur en donnant des coups de poing dans les meubles de bois blanc véritable.
— Je ne laisserai pas perpétrer plus longtemps de tels crimes contre la médecine, dit-il. Maintenant, ce ne sont plus les docteurs, mais les malades qu’on trucide dans ce bled !
Il part en faisant claquer si fort la lourde que celle-ci se lézarde comme le maquillage d’une douairière visionnant un film de de Funès.
Un obscur accablement me point.
Quelle idée saugrenue ai-je eue là !
J’ai voulu faire de Béru un piège à assassin, mais ce piège n’est, en définitive, qu’une tarte à la crème. Et cette tarte, c’est moi qui la prends en pleine poire ! Mon plan fait dérisoirement faillite, il se retourne contre votre aimable serviteur, mes toutes tendres. On fonce à tombeau ouvert dans le plus sinistre des fiascos.
Le dos rond, je regarde la baffe.
— Merci bien, docteur, que fait le vieux.
Je guette l’intrusion en force du pétomane. C’est un colérique et Béru est un coléreux. Deux pôles positifs, mes gredins ! Ça va barder. On va recueillir des bruits de voix, des bris de clôture, des débris de verre, des débits de soissons (je parle pour Longuant), des dépits à foison, des épris de boisson et des prix de boisson.
Comme dans les missions minutieuses, je compte les secondes. Je chapelète le temps, le saucissonne, le tronçonne, l’emperle. Mon sub, qui va plus vite que ma parole, se dit qu’à vingt le bigntz éclatera. Mais à vingt-cinq il n’a pas éclaté.
À vingt-huit, la voix paisible et déjà professionnelle de Bérurier retentit.
— Assistez-vous, je vous prie. Alors, chère maâme, quel bovin vous amène ?
— Eh bien, voilà, docteur, je me suis piquée la semaine dernière avec une arête de poisson et ma main s’est infectée…
— C’était quoi t’est-ce comme poisson ?
— De la morue, docteur.
Rire béruréen :
— Pas étonnant qu’une morue vous file la chatouille, chère maâme.