Выбрать главу

Égalité de la peine, bien entendu.

J'ai été lié avec le vieux docteur Larrey, celui que Napoléon, à son lit de mort, appelait le plus honnête homme de France, aussi lié qu'un jeune homme peut l'être avec un vieillard; eh bien, je comparerai l'inégalité de la punition morale à ce qu'il m'a dit de l'inégalité de la douleur physique.

Larrey était peut-être, depuis Esculape jusqu'à nous, l'homme qui avait coupé le plus de bras et le plus de jambes. Napoléon l'avait promené sur tous les champs de bataille de l'Europe, de Valladolid à Vienne, du Caire à Moscou, et Dieu sait la besogne qu'il lui avait donnée! Il avait amputé des Arabes, des Espagnols, des Français, des Prussiens, des Autrichiens, des Russes, des Cosaques.

Eh bien, il prétendait que la douleur n'était qu'une question de nerfs; que l'opération qui faisait jeter des cris aigus à l'homme irritable du Midi tirait parfois un soupir à l'organisation apathique de l'homme du Nord; que, couchés l'un à côté de l'autre sur leur lit de douleur, l'un mettait en morceaux, entre ses mâchoires crispées, un mouchoir ou une serviette, tandis que l'autre, fumant tranquillement, ne brisait pas même le tuyau de sa pipe.

À notre avis, il en est de même de la punition morale.

Ce qui est une simple punition pour une femme vulgaire, pour une organisation commune, devient une torture atroce, un supplice insoutenable pour une femme du monde, pour une organisation distinguée.

Remarquez que le crime chez madame Lafarge,-et, vous le voyez, je continue de me mettre au point de vue de la loi, qui a décidé que le crime existait,-remarquez, dis-je, que le crime a été commis par l'exaspération d'une extrême délicatesse, d'un aristocratie exquise.

Une jeune fille qui, comme les Monmouth et les Berwick, compte des princes, des rois même parmi ses aïeux, une jeune fille qui a été élevée dans la soie, la batiste et le velours, dont les petits pieds ont foulé, dès qu'ils ont pu marcher, les tapis ouatés d'Aubusson, et les tapis autrement doux d'un gazon anglais dont un jardinier prévoyant a enlevé d'avance jusqu'au moindre caillou, jusqu'à la plus petite ortie, qui a toujours vu l'avenir comme un paysage d'Orient encadré dans les rayons d'or du soleil; figurez-vous cette jeune fille, jetée tout à coup dans une condition inférieure, en face d'un homme sale, squalide, grossier, dans une habitation qui n'est qu'une ruine, et quelle ruine! non pas la ruine pittoresque des bords du Rhin, des montagnes de la Souabe ou des plaines de l'Italie, mais la ruine plate, humide et vulgaire de la fabrique; obligée de disputer aux rats, qui la visitent la nuit, les pantoufles brodées d'or, les cornettes garnies de dentelle qui se sont égarées avec elle dans cette espèce de désert sauvage, inculte, inhospitalier, où la pousse un des mauvais vents de la vie. Eh bien, ce milieu dans lequel grouille, respirant, parlant, agissant à son aise la famille Lafarge, il lui faut, à elle, un effort surhumain pour y vivre. C'est une lutte de tous les jours, c'est une déception de toutes les heures. Là où l'autre nature, la nature vulgaire, basse, commune, trouve le bien-être, l'amélioration relative, sa nature à elle trouve le désespoir. Puis un jour arrive où la vertu de la, femme est éteinte, où la force de la chrétienne est épuisée, où la colombe devient vautour, la gazelle tigresse; où l'on se dit: «Tout, tout, tout! la prison, l'exil, la mort, tout, plutôt que cette vie impossible, où la main de la fatalité a mis, non pas un mur de fer, de bronze ou d'airain, mais un lac, une mer, un océan de boue entre moi et l'avenir!»

Et un sombre matin, un soir lugubre, le crime se trouve avoir été commis, inexcusable aux yeux des hommes, mais peut-être excusable aux yeux de Dieu.

Je demandais à un juré:

– Croyez-vous Marie Capelle coupable?

– Oui.

– Et vous avez voté pour la prison?

– Non.

– Expliquez-moi cela.

– Eh! monsieur, la malheureuse n'avait fait que se venger!

Le mot est terrible. Mais, en supposant Marie Capelle coupable, il résume bien, ce nous semble, les circonstances atténuantes au milieu desquelles il a été commis.

Eh bien, voyez: la même peine, la peine de la détention à perpétuité, est imposée à cette femme d'une organisation supérieure, dont le crime même est le fils de cette organisation; la même peine est imposée à cette femme qui serait imposée à une vachère, à une balayeuse des rues ou à une revendeuse à la toilette.

C'est juste, puisque le Code porte: «Égalité devant la loi.»

Mais est-ce équitable? Là est la question.

Marie Capelle sort de Tulle; Marie Capelle arrive à Montpellier, au milieu des populations qui se pressent autour d'elle, qui s'amassent autour de sa voiture, qui brisent ses glaces, qui lui montrent le poing, qui l'appellent voleuse, empoisonneuse, homicide. En arrivant à Montpellier, en entendant gronder la grille de la prison sur ses gonds, grincer dans les tenons les verrous des portes, elle s'évanouit, et cela pour se réveiller dans une cellule à la fenêtre grillée, aux carreaux de pierre, au plafond de lattes, tremblant la fièvre dans un lit de fer, entre des draps grossiers et humides, sous une couverture de laine grise qui a déjà usé deux ou trois prisonniers sans que les prisonniers soient parvenus à l'user. Eh bien, cette chambre aux murs blancs, à la fenêtre grillée, au pavé de pierre, au plafond de lattes, c'est un palais pour beaucoup de pauvres gens; c'est un cachot pour elle. Cette couche de fer, ces draps grossiers et humides, cette couverture grise, usée, trouée, dans le tissu de laquelle le froid tue la vermine, c'est un lit pour la mère Lecouffe; c'est un grabat immonde pour Marie Capelle.

Ce n'est pas le tout. Cette femme, qui a autour d'elle la dégradation, la misère, le froid, a au moins sur elle un peu de chaleur, du linge fin, des habits comme tout le monde? Elle peut croire qu'elle est là par hasard, qu'un jour cette porte massive s'ouvrira pour la laisser passer, qu'un jour les barreaux de cette fenêtre s'ouvriront, sinon pour son corps, du moins pour son âme, qui aspire au ciel? Non, cette dernière illusion qu'elle doit à une chemise de batiste, à une robe de soie noire, à une collerette de linge blanc, à un ruban de velours mis dans ses cheveux, le règlement de la prison vient la lui ôter.

Une soeur lui arrache son bonnet; deux autres veulent la revêtir de la robe de bure, de la robe pénitentiaire, de la robe de la prison.

Alors, comme Charles XII à Bender, elle se couche; elle déclare qu'elle restera dans son lit, dans ce lit misérable où elle a tant hésité d'abord à s'étendre; qu'elle vivra dans son lit, qu'elle mourra dans son lit, plutôt que de revêtir la robe infâme.

Veut-on voir la lettre qu'elle écrivait à cette occasion à son oncle, M. Collard, au père de M. Eugène Collard, mon hôte en Afrique? Tenez, la voici:

«Mon cher oncle, si c'est folie de résister à la force quand on est renversé, de combattre encore quand on est vaincu, de protester contre l'injustice quand nul ne l'entendra; si c'est folie que de vouloir mourir debout, quand, pour mesure d'une vie, il ne reste, hélas! que la longueur d'une chaîne, plaignez-moi, mon oncle, je suis folle!

» J'ai passé toute la soirée d'hier et toute cette nuit à familiariser mon coeur et ma concience avec le joug nouveau qu'on leur impose. Il est trop lourd; mon coeur et ma conscience se révoltent. J'accepterai de la loi des rigueurs qui peuvent me tuer plus vite, je n'en accepterai pas les humiliations, qui n'ont qu'un but, me dégrader et m'avilir.

» Écoutez-moi, mon bon oncle, et, croyez-le, ce n'est pas devant la douleur que je recule.

» De mon lit à la cheminée, il y a seize de mes pas; de la porte à la fenêtre, il y en a neuf, je les ai comptés. Ma cellule est vide; entre ses quatre murs froids et nus, entre son pavé de grès et son plafond de lattes, il reste un lit de fer et un tabouret de bois.