» Puis c'était vous, Adèle, qu'elle appelait, qu'elle recommandait à tous. Puis c'était une prière, et toujours la résignation la plus grande.
» Ai-je bien tout recueilli? Je n'oserais en répondre; je souffrais tant de la voir souffrir! j'étais si malheureuse de mon impuissance à la soulager! Et puis je sentais si bien tout ce que je perdais; j'étais si fière de cette affection qu'elle me témoignait; je lui étais si reconnaissante de ce qu'elle avait su lire en moi ce qu'avec mon naturel timide je n'aurais jamais osé lui dire, à elle si supérieure.
» Que vous êtes bonne de m'avoir envoyé ce précieux souvenir! Vous m'écrirez quelquefois, n'est-ce pas? Nous parlerons d'elle. Vous me parlerez aussi beaucoup de vous, comme à l'amie la plus vraie.
» Je vous prie d'offrir à votre bonne famille mes sentiments les plus respectueux.
» Ma soeur et ma mère me chargent de vous dire combien vous leur êtes sympathique! C'est que je leur ai dit quel ange vous êtes.
» À bientôt, n'est-ce pas, ma bonne amie? Je vous embrasse de tout mon coeur.
» CLÉMENCE.
» Lundi 27.»
Un an après, c'est-à-dire le 20 septembre 1853, M. Collard recevait cette seconde lettre du brave curé d'Ussat.
Nous la citons entièrement; elle est caractéristique dans sa naïve bonté:
«Mon cher monsieur,
» La confusion que j'éprouve du long silence que j'ai gardé à votre égard ne saurait être égalée que par la contrariété qu'il vous aura causée à vous-même. Vous devez m'avoir trouvé bien peu honnête de ne pas avoir répondu plus tôt à votre bonne lettre du 22 juillet. J'avoue que jamais accusation n'a été mieux fondée que celle-là. Cependant, quand vous aurez connu les raisons qui m'ont forcé à ce silence, vous conviendrez que je n'ai été que malheureux, mais pas coupable.
» À peine eus-je connu vos intentions, relativement aux objets que vous désirez placer sur le tombeau de la pauvre madame Marie, que je m'empressai de traiter avec Blazy pour la confection et le prix de la grille. Il voulut absolument cent vingt francs: je consentis à les lui donner. Il la fit pour le temps indiqué, et bien conformément au plan; elle fût aussi mise en place avant la fin de juillet.
» Le travail de cet ouvrier m'aurait parfaitement convenu, s'il n'avait usé de ruse en refusant de peindre la grille, alléguant qu'il n'avait été tenu de faire que ce qui avait été convenu; et parce que j'avais oublié de faire la réserve que le fer serait peint, afin qu'il ne s'oxydât point, il n'a point voulu mettre cette dernière main à son oeuvre. Mais que cela ne vous tourmente pas; je la ferai peindre, et ce ne sera qu'une petite dépense de plus. Toujours est-il que je suis très-fâché contre Blazy, qui a manqué de délicatesse en ce point.
» Quant à la croix, voilà l'objet qui a causé toute ma douleur, et m'a empêché de vous donner plus tôt de mes nouvelles.
» Pour qu'elle fût bien confectionnée, j'eus le malheur de m'adresser à un très-habile ouvrier de Pamiers qui se trouvait à Ussat, vers la dernière quinzaine de juillet. Il fut convenu que je la lui payerais douze francs, à la condition qu'il la soignerait beaucoup, et qu'il me l'enverrait vers la fin de la semaine. Nous traitâmes le mardi; loin de la recevoir au temps indiqué, deux semaines après, elle ne m'était pas encore, arrivée. Contrarié de ce retard, je lui écrivis par la poste pour la lui réclamer. Il me répondit qu'elle arriverait le samedi suivant, et que je la fisse prendre au bout du pont des Bains. Elle n'arriva pas plus cette fois-là que l'autre. Fâché fortement de ce nouveau délai, je lui écrivis une autre lettre, dans laquelle je lui exprimais toute mon indignation sur son manque de parole. Enfin, après m'avoir fait enrager plus d'un mois et demi, il a fini par me l'apporter lui-même, et, certes, celui-là n'a pas été comme Blazy; il a fini son travail en tout point, et je puis vous assurer qu'il a fait une jolie pièce. Elle est maintenant en place et produit un bel effet par l'originalité de la pose et par la confection de l'objet.
» À toutes ces contrariétés, je vais en ajouter encore une autre, ou plusieurs autres, desquelles vous allez prendre part. Je vous avais annoncé que le saule planté par moi sur la tombe avait bien réussi, et qu'il était très-beau. Eh bien, il a fallu qu'il entrât pour sa part dans le chagrin que j'ai éprouvé. Chaque étranger qui est venu visiter le tombeau, et tout le monde y est venu, le chemin d'Ornolac est constamment encombré, chaque personne, dis-je, a voulu avoir, son morceau du malheureux saule, et l'on a fini par le faire sécher. J'ai eu beau adresser des prières, j'ai eu beau me fâcher pour qu'on le respectât, menaces et prières, tout a été inutile. Les fleurs également ont été enlevées; chacun a voulu emporter une relique. Mais que ceci ne vous afflige pas; au contraire, vous devez être flatté de la vénération dont les dépouilles de la pauvre défunte sont honorées. Le mal fait à l'arbre et aux fleurs est facile à réparer.
» Je planterai un nouveau saule et de nouvelles fleurs, et tout sera fini.»
Qu'ajouter à cela?
Les dernières lignes écrites par le digne M. Collard, par ce vieillard qui proteste, au nom de ses soixante-quinze années et de ses cheveux blancs, contre le jugement qui a frappé sa nièce.
«Et maintenant, veut-on savoir si j'ai cru cette femme coupable?
» Je réponds:
» Retenue prisonnière, je lui avais donné pour compagne ma fille.
» Devenue libre, je lui aurais donné pour mari mon fils.
» Ma conviction est là.
» COLLARD,
» Montpellier, 17 juin 1853.»
Marie Capelle est morte à l'âge de trente-six ans après douze ans de captivité.
JACQUES FOSSE
Il y a quelque chose comme trois ou quatre mois qu'ayant dû prendre ma place à un grand dîner que donnait la Société de sauvetage, je fus empêché de m'y rendre par je ne sais quelle affaire.
Le lendemain matin, je vis entrer dans mon cabinet un homme de trente-quatre à trente-cinq ans, aux cheveux courts, aux traits vigoureusement accentués, aux membres musculeux.
– Monsieur Dumas, me dit-il, je devais dîner hier avec vous; vous n'êtes pas venu au dîner. Je repars aujourd'hui, et je n'ai pas voulu repartir sans vous voir.
– À qui ai-je l'honneur de parler? lui demandai-je.
– Je suis Jacques Fosse, me dit-il, marchand de grains à Beaucaire, et sauveteur dans mes moments perdus.
En disant ces mots, il ouvrit son paletot et me montra sa poitrine, couverte de médailles d'or et d'argent qui lui faisaient comme une éclatante cuirasse, sur laquelle, suspendue à son ruban rouge, éclatait comme une étoile la croix de la Légion d'honneur.
Je suis peu sensible à l'entraînement des médailles, des croix et des plaques, quand je les vois sur certaines poitrines; mais j'avoue que, lorsque c'est sur la poitrine d'un homme du peuple qu'elles brillent, j'éprouve un certain respect, convaincu que je suis qu'il faut que celui-là les ait gagnées pour les avoir obtenues.
Je me levai donc comme je n'eusse certainement point fait devant un ministre, et j'invitai mon visiteur à s'asseoir.
Ce que j'appris de cet homme dans la conversation qui suivit, laissez-moi vous le dire, chers lecteurs. J'ai plaisir à vous raconter cette vie de luttes, de travail et surtout de dévouement.
Jacques Fosse naquit à Saint-Gilles;-à ce seul nom, vous vous rappelez Raymond de Toulouse et la belle église de Saint-Trophime.-Il naquit le 14 juin 1819; ce qui lui constitue aujourd'hui quarante ans, ou à peu près.
Il était fils de Jean Fosse et de Geneviève Duplessis.
Il perdit son père en 1820. Il avait un an.
La veuve, sans fortune, quitta aussitôt Saint-Gilles, pour aller habiter chez sa mère, à Beaucaire.