En 1822, elle se remaria, épousa un nommé Perrico, duquel elle eut douze enfants, dont trois sont morts.
En 1828, le beau-père de Fosse devint infirme et cessa de travailler. Il y avait déjà six enfants de ce second lit à nourrir.
Là commença le travail du petit Jacques. Il avait neuf ans. Il s'en alla sur les routes avec un panier et une pelle; ramassant du crottin.
Le pain n'était pas cher à cette époque. Le produit du travail d'un enfant de neuf ans suffit à nourrir toute la pauvre famille.
Certes, on ne vivait pas bien avec les douze ou quinze sous qu'il gagnait par jour; mais enfin on vivait.
Il fit ce métier pendant un an.
Mais, comme, à dix ans, il était aussi fort qu'un enfant de quinze, il entra comme manoeuvre chez un maçon.
Jusqu'à douze ans, il porta le mortier sur ses épaules.
En 1830, le 18 juin, il entend crier: «Au secours!» C'était le nommé Chaffin, un garçon de dix-huit ans, qui se noyait.
Fosse pique une tête du haut du quai, le ramène vers un radeau, manque de passer dessous, accroche une main qu'on lui tend, et, au lieu de passer sous le radeau, arrive à monter dessus.
Il avait onze ans. Ce fut son prospectus: courage et dévouement.
Jamais programme ne fut mieux suivi.
En 1832, à treize ans, il commença à travailler dans les carrières en qualité d'apprenti mineur.
Il y gagnait vingt-cinq sous par jour.
Deux ans il fit ce métier. Mais, comme le métier devenait mauvais, à quatorze ans il se fit portefaix sur le port.
À quatorze ans, Fosse portait sept cents.
Il y avait alors de grands mouvements à la foire de Beaucaire: elle durait deux mois, amenait cinquante mille personnes, et étalait un immense commerce de soie, de draperie et de cuir.
Pendant cette année 1834, Fosse sauva trois personnes qui se noyaient dans le Rhône: un marchand de planches,-puis un soldat,-puis le fils d'un charcutier nommé Cambon.
Le soldat se noyait au vu de toute la compagnie, qui se baignait en même temps que lui et n'osait lui porter secours. C'était au-dessus de Beaucaire, au milieu de ce qu'on appelle le tourbillon du Rhône; le danger était donc immense. Fosse ne s'y arrêta point.-Par bonheur, le soldat, qui avait déjà beaucoup bu, était à peu près évanoui.
Fosse le ramena au rivage au milieu des applaudissements de toute la compagnie.
Le jeune Cambon, que nous avons nommé le dernier, s'amusait, lui, en se balançant dans une nacelle; la nacelle chavire; il ne savait pas nager et allait tout simplement passer sous le bateau à vapeur, lorsque Fosse l'atteignit et le sauva.
Fosse, en prenant pied au fond du Rhône, avait touché un morceau de bouteille cassée et s'était blessé à un doigt. Depuis ce jour, ce doigt est inerte, le nerf en a été coupé.
En 1836, Fosse entra dans la compagnie des bateaux à vapeur, en qualité de pisteur. C'est le nom que l'on donne à ceux qui appellent et dirigent les voyageurs.
Dans le courant du mois de juillet, c'est-à-dire en pleine foire de Beaucaire, on vint appeler Fosse au moment où il était dans un café chantant.
Un ours et deux saltimbanques se noyaient.
Voici le fait:
Deux saltimbanques montraient un ours qu'ils faisaient danser.
Le menuet fini, les saltimbanques pensèrent que leur ours avait besoin de se rafraîchir. Ils le menèrent au Rhône.
Sollicité par la fraîcheur de l'eau, l'ours ne se contenta pas de boire, il se mit à la nage, entraînant celui des deux saltimbanques qui tenait la chaîne.
Le second saltimbanque voulut retenir son camarade, mais fut entraîné avec lui.
Quand le premier lâcha la chaîne, il était trop tard, il avait perdu pied. Ni l'un ni l'autre ne savaient nager.
Quant à l'ours, il nageait comme un de ses confrères du pôle.
Fosse courut d'abord aux saltimbanques.
Seulement, comme il craignait d'être saisi par quelque membre essentiel et paralysé dans ses mouvements en se jetant à l'eau, Fosse avait pris à tout hasard un cercle de tonneau; il présenta le cercle aux saltimbanques; un d'eux, en se débattant, s'y accrocha, et, comme le second n'avait pas lâché le premier, Fosse, en nageant vers le bord, les traîna tous deux après lui.
Malgré cette précaution, l'un d'eux parvint à le saisir par la jambe; mais, heureusement, le nageur avait pied.
Il poussa les deux hommes sur la berge, et s'élança à la poursuite de l'ours, qui se gaudissait au beau milieu du fleuve.
Il s'agissait non-seulement, cette fois, de sauver l'ours, mais encore de l'empêcher de s'enfuir.
Ce n'était pas chose facile. Tout muselé qu'il était, l'ours se sentait en liberté, et tenait bravement le milieu du fleuve. Fosse s'élança à sa poursuite.
Lorsque l'ours vit approcher le sauveteur, il se douta que c'était à lui qu'il en voulait, et se retourna contre lui.
Fosse plongea et s'en alla chercher la chaîne de fer de l'animal, qui, entraînée par son poids, pendait de cinq à six pieds sous l'eau.
Il prit l'extrémité de la chaîne et nagea vers le bord, entraînant l'ours, qui résistait, mais résistait inutilement, entraîné qu'il était par une force supérieure.
Cependant Fosse fut obligé de revenir à la surface de l'eau pour respirer.
C'était là que l'ours l'attendait.
Il allongea sa lourde patte, dont Fosse sentit le poids sur son épaule.
Par bonheur, il avait eu le temps de respirer; il replongea, reprit la chaîne qu'il avait abandonnée un instant, et refit une dizaine de brassées vers le bord, entraînant toujours l'animal après lui.
Le même manège se renouvela dix fois, quinze fois, vingt fois, peut-être, Fosse plongeant, esquivant, à son retour sur l'eau, le coup de patte de l'ours, replongeant et tirant de nouveau l'animal à terre.
Enfin, il reprit pied, remit la chaîne aux mains des saltimbanques, et se jeta hors de la portée de l'animal, furieux et rugissant.
Il va sans dire que tout Beaucaire était sur les ponts et les quais pour assister à cet étrange sauvetage.
En 1839, Fosse sauva la vie à cinq personnes; deux d'entre elles étaient tombées dans le Rhône en franchissant la planche qui conduisait au bateau à vapeur.
C'étaient deux hommes de Grenoble, des marchands de bras de charrette.
Fosse entend crier, fait écarter la foule qui se pressait sur le quai, et, tout habillé, saute de douze pieds de haut.
Il fallait remonter le fleuve et aller chercher sous les bateaux ceux qui s'y noyaient.
Les deux marchands s'étaient cramponnés l'un à l'autre.
En ouvrant les yeux, Fosse les vit au fond du fleuve, se roulant et se débattant.
Il nagea droit sur eux; mais l'un le saisit par la jambe, l'autre par les épaules.
Tout empêché qu'il est par eux, il les traîne du côté du quai, s'accroche aux pierres saillantes, finit par sortir la tête hors de l'eau, et crie qu'on lui envoie une corde.
À peine en a-t-il saisi l'extrémité, qu'il y attache celui qui le tient par les épaules, puis l'autre, et crie:
– Tire!
On les monta tous deux comme un colis. Celui qui lui tenait la jambe, étant resté le plus longtemps sous l'eau, était évanoui; l'autre avait conservé toute sa tête; aussi, à peine sur le quai, s'aperçut-il que son portemanteau était resté au fond du Rhône.
Ce portemanteau contenait quinze cents francs.
Fosse replonge, rattrape le portemanteau et reparaît avec lui.
Le marchand, pour ce double sauvetage, offrit cinquante francs à Fosse.
Il va sans dire que celui-ci refusa.
Le 28 septembre de la même année, madame de Sainte-Maure, belle-mère de M. de Montcalm, arrivait de Lyon avec son fils; elle allait chez son gendre à Montpellier.
En passant du bateau au quai, son pied glissa sur la planche humide et elle tomba dans le Rhône.
Fosse plonge tout habillé, passe avec elle sous le bateau, et reparaît de l'autre côté.
Mais le Rhône est gros et rapide, il entraîne le nageur et celle qu'il essaye de sauver.