– Éteignez tout et allez-vous-en; il est mort.
Pour plus grande sûreté, un des assistants donna encore un coup de masse au pauvre duc; mais celui-ci ne fit aucun mouvement.
Seulement, près de lui, un enfant, tout ensanglanté, se souleva, et, sans penser à lui-même;
– Ah! monseigneur mon maître!… dit-il.
Un coup de pommeau d'épée le recoucha mort à côté du mort.
C'était le page, un blond enfant d'Allemagne donné au prince par Isabeau.
L'homme au chaperon rouge avait eu raison de dire qu'on pouvait éteindre les torches et s'en aller.
Louis d'Orléans était mort en effet, et bien mort.
Le bras droit était coupé à deux endroits, au poignet et au-dessous du coude. La main gauche était détachée et avait volé à dix pas de là; la tête était fendue de l'oeil à l'oreille en avant, et, derrière, d'une oreille à l'autre.
La cervelle en sortait.
Au milieu de la consternation et de la terreur générales, ces pauvres restes furent portés, le lendemain, à l'église des Blancs-Manteaux.
Et maintenant, pourquoi la France a-t-elle tant aimé et tant regretté ce beau prince? Qu'avait-il fait, le débauché, l'amoureux, le prodigue, pour mériter une pareille affection? Vivant, il avait terriblement vexé le peuple et avait été bien souvent maudit par lui.
Mort, tout le monde le pleura.
La France la première.
«Si l'on me presse d'expliquer pourquoi je l'aimais, dit Montaigne, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en répondant: «Parce que c'était lui; parce que c'était moi.»
Interrogeons la France à l'endroit de son deuil, eile répondra comme Montaigne:
– Je l'aimais.
La France, si souvent marâtre, fut pour lui tendre mère. Elle aima celui-ci, mêlé de bien et de mal qu'il était, et quoique ses défauts et ses vices l'emportassent sur ses vertus.
Il faut dire que ses défauts étaient charmants et ses vices aimables. L'esprit était léger, mais gracieux et doux; derrière l'esprit était le coeur, un coeur bon et humain.
Puis ce fut le père de Charles d'Orléans, le prince poète, le prisonnier d'Azincourt; ce fut le père de Dunois, cet illustre bâtard qui, avec Jeanne d'Arc, chassa l'Anglais de la France; ce fut l'aïeul de Louis XII, qu'on appela le Père du peuple.
Puis les larmes de sa femme, à qui il avait tant fait verser de larmes, firent beaucoup pour lui; quand on la vit, vêtue de deuil, tenant d'une main son fils, de l'autre Dunois, demander justice au roi, à la France, à Dieu, tous les assistants éclatèrent en sanglots.
Les pleurs appellent les pleurs.
Et moi-même, après cinq siècles, ce n'est point sans une certaine tristesse que je regarde les ruines de ce château, mutilé comme celui qui l'a bâti; ces tours sont ouvertes comme l'était son front; ces murailles sont trouées comme l'était sa poitrine; ces débris sont dispersés comme cette main, ce morceau de bras et cette cervelle qu'on ne rejoignit que le lendemain au pauvre corps auquel ils avaient appartenu.
C'est que celui qui a renversé ce château, qui a éventré ces tours était un rude lutteur.
Lui aussi, avec sa robe rouge, s'est penché sur le cadavre de la féodalité qu'il avait égorgée, et, comme Jean de Bourgogne, il a dit:
– Éteignez tout, et allez-vous-en; elle est morte.
Ce lutteur, c'était le cardinal de Richelieu.
À l'époque où, tout enfant, je venais de Villers-Cotterets à Pierrefonds pour jouer deux heures dans les ruines, je ne savais pas ce que c'était que Louis d'Orléans qui les avait bâties,-ce que c'était que de Rieux qui les avait tenues au nom de la Ligue,-ce que c'était que le comte d'Auvergne qui les avait prises,-ce que c'était, enfin, que le cardinal de Richelieu qui les avait faites.
Mais ces ruines ne m'en paraissaient pas moins splendides.
Elles appartenaient alors à M. Radix de Sainte-Foix, qui les avait achetées quinze cents francs à M. Canis, qui, lui, les avait achetées de M. Longuet, lequel les avait achetées de la Nation, laquelle les avait confisquées à la maison d'Orléans.
Ce n'est qu'en 1813 qu'elles firent retour à l'État, achetées par l'empereur à M. Heu, qui les tenait de M. Arnould, gendre et héritier de M. de Sainte-Foix.
L'empereur les paya deux mille sept cent cinquante francs.
Elles étaient alors à peu près inconnues, et le chemin n'était pas meilleur pour y venir de Compiègne que pour y aller de Villers-Cotterets.
Arrivé à Pierrefonds par un chemin à peu près impraticable, il fallait monter aux ruines par un sentier à peu près impossible.
À cette époque, il n'y avait pas d'escalier pratiqué au sommet des tours, pas de harpe éolienne vibrant au faîte des donjons.
Les chemins n'en étaient pas ratissés, les murs époussetés, les cours esherbées.
C'était quelque chose de sauvage et de rude comme le spectre du moyen âge.
Les premiers qui découvrirent Pierrefonds, après moi, bien entendu, furent des paysagistes: mon vieil ami Régnier, Jadin, Decamps, Flers.
On se montrait les uns aux autres les études faites, on se renseignait, on s'orientait, et, la boussole d'une main, la palette de l'autre, on arrivait à doubler le cap de Prélaville ou le promontoire de Rhétheuil, et l'on se trouvait en face des ruines.
Il y avait alors à Pierrefonds une seule auberge: _Au Grand Saint-Laurent_. Le saint y était représenté sur son gril au moment où il prie qu'on le retourne sur le côté gauche, se trouvant assez cuit sur le côté droit;-ce qui était l'emblème du sort réservé aux voyageurs.
Un jour, vint un artiste qui, trouvant sans doute un peu trop vif ce feu de l'hôtel, acheta un terrain et se fit bâtir une maison.
À partir de ce moment, Pierrefonds fut un pays découvert.
Cet artiste, c'était M. de Flubé.
Comme tous les artistes, il avait dit: «Je vais poser là ma tente pour un mois ou deux mois, et y dépenser cinq cents francs.»
Il y est depuis trente ans et y a dépensé cinq cent mille francs.
Vers ce temps, un second hôtel s'établit, faisant concurrence à celui du _Grand Saint-Laurent_, aujourd'hui disparu, de telle façon, que, moins heureux que l'ancien château, il n'a pas même sa ruine.
Ce second hôtel existe encore; aujourd'hui comme alors, il s'appelle l'_hôtel des Ruines_.
Il était signalé par un drapeau blanc, qui devint tricolore en 1830.
Le drapeau surmontait cette inscription:
CONNÉTABLE-TERJUS _Montre les ruines Aux amateurs._
Vous le voyez, dès 1828, la civilisation avait pénétré à Pierrefonds.-On montrait les ruines!
Bienheureux temps où j'allais les voir et où personne n'était là pour me les montrer!
Peu à peu la lumière et la vie pénétrèrent à Pierrefonds. Pierrefonds n'était qu'un village, il devint un bourg.
Ce village avait un étang, cet étang devint un lac.
Bien plus, sur ce lac, M. de Flubé fit construire un brick de cinq ou six tonneaux.
Ce brick s'appela _l'Artiste_.
Alors s'éleva un troisième hôtel, destiné à faire concurrence à l'_hôtel des Ruines_, comme l'_hôtel des Ruines_ avait été destiné à faire concurrence à l'_hôtel du Grand Saint-Laurent_.
Il fut inauguré sous la dénomination expressive d'_hôtel des Étrangers_.
Donc, les étrangers commençaient à affluer à Pierrefonds, puisqu'un spéculateur hardi n'hésitait pas à écrire sur le fronton du nouvel édifice:
HÔTEL DES ÉTRANGERS.
Sur ces entrefaites, M. de Flubé, dans un des voyages d'exploration qu'il fit aux environs de sa propriété, découvrit une source d'eau sulfureuse.
Dès lors, Pierrefonds était complet:
Historique par ses ruines,
Pittoresque par sa position,
Sanitaire par sa Source.
Plusieurs flacons bouchés avec soin furent envoyés au ministre de l'agriculture, dans le département duquel se trouvent les eaux minérales.
Ces eaux furent décomposées par M. O. Henry, le fameux décompositeur d'eaux; il déclara que la source de Pierrefonds, comme celles d'Enghien, d'Uriage, de Chamouni, etc., etc., devaient leur sulfuration à la réaction de matières organiques sur les sulfates, et devaient être rangées parmi les eaux hydrosulfatées-hydrosulfuriques-calcaires.