Est-ce une rose nouvelle, cher Alphonse, que tu aurais obtenue en l'arrosant avec du vin de Champagne MOUSSEUX Aï-Moët ou Clicot?
C'est possible, après tout.
En ce cas, si ce n'est point par trop indiscret de te demander une pareille faveur, à la séve d'août, c'est-à-dire à l'époque où ta rosé mousseuse MOUSSERA, envoie-m'en quelques greffes pour un jardin que je suis en train de faire sur ma fenêtre.
_Réplique d'Alphonse Karr_.
Tu m'as bien l'air, mon cher Dumas, de vouloir t'échapper de mon jardin des romanciers.
Tu n'as pas espéré que je te laisserais ainsi partir sans faire quelques efforts pour te retenir;-comme j'ai fait, il y a quelques années, dans ce petit jardin au bord de la mer, où nous avons passé ensemble quelques bonnes heures étendus sur l'herbe.
Tu prétends avoir prouvé que tu n'as pas inventé de «lotus à pétales transparents, blancs comme les neiges de l'Himalaya.»
Voyons ta preuve.
C'est une preuve par champions comme l'ancien jugement de Dieu.-Voyons donc les champions:
_Pour le lotus blanc._ _Contre le lotus blanc._
Théophraste. Hérodote…. Athénée.
Porret. Belfield-Lefebvre… Barthélemy. Savigny.
Lemaout, p. 319… Lemaout, p. 322.
Alexandre Dumas… Alphonse Karr.
Je ne veux pas abuser de l'avantage du nombre; je ne compterai pas les champions;-je les pèserai: d'abord, tu produis un ancien, c'est-à-dire une de ces opinions quasi religieusement respectées, dès notre enfance, sous peine de pensums.
Je sais qu'Hérodote a une grande réputation de véracité.
Aussi je lui oppose deux anciens,-Théophraste, qui a fait une histoire des plantes, et un peu notre Labruyère, et Athénée, un grammairien, et ensuite un savant moderne et vivant;-je mets trois savants dont un est mort, ce qui lui donne un éminent avantage,-les morts ne gênent personne, et on se sert d'eux contre les vivants qui vous gênent.
– Mes deux anciens valent-ils ton ancien? Mes trois savants, dont un vivant, valent-ils ton savant vivant?
À M. Lemaout, p. 319, j'oppose M. Lemaout, p. 322;-il y a équilibre.
L'équilibre est plus difficile à établir entre A. Dumas et A. Karr.
Mais je vais diminuer deux de tes champions et m'augmenter de ce que je leur ôterai.
D'abord, Hérodote, malgré une véracité reconnue, commet une erreur dans le passage que tu cites de lui; il affirme que le lotus descend sous l'eau au coucher du soleil.-C'est une chose que l'on dit généralement de tous les nymphaeas;-mais il y a vingt ans que je les regarde, et j'affirme qu'ils ne redescendent sous l'eau que lorsqu'ils ont perdu leur fraîcheur, et vont s'occuper de mûrir leurs graines; un soir, en effet, le nymphaea, qui comme le dit Hérodote, renferme chaque soir sa corolle, redescend sous l'eau, c'est vrai, mais il ne remonte pas le lendemain.-La fleur pense, comme la marquise de Lambert, qu'il faut quitter les salons quand on ne peut plus les orner; elle va, loin des yeux, s'occuper dans la retraite de sa future famille.
Or, un témoin qui commet une erreur sur un point connu, rend très-suspect son témoignage sur un point en litige.
D'autre part, je t'ai compté comme nul le témoignage de M. Lamaout; mais il ne t'appuie qu'à moitié; son lotus de la page 319 est blanc et rose;-il ne ressemble donc pas «aux neiges de l'Himalaya,» -mais à une glace de chez Tortoni,-crème et framboise.
Et je ne parle pas des Chinois, qui sont de mon avis;-les Chinois, ce grand peuple de faïence qui est en train de se casser.
Elle est belle, ta preuve!
Supposons cependant que tu aies prouvé que le lotus «est blanc comme la neige de l'Himalaya.»
Tu resterais encore avoir inventé lotus à pétales transparents,-car tous les autres ont la feuille épaisse et mate:-ça serait déjà bien gentil!
Remarque que, plus généreux que toi, je ne te reproche pas d'avoir dit pétales transparen_tes_; toi qui me tances si rudement pour une rose mousseuse, que dirais-tu, si je répondais: «Mousseuse? Faute d'impression comme transparentes.»
Mais non, j'ai écrit mousseuse, et je vais me défendre sur ce point, maintenant que je t'ai un peu replanté dans mon jardin,-me réservant de t'y planter définitivement tout à l'heure.
Et, d'abord, je n'ai pas inventé la rose mousseuse;
– Mille, jardinier anglais, a inventé la _rosa muscosa_; mais madame de Genlis, qui l'a apportée en France, à cause de quoi il lui sera beaucoup pardonné, la produisit sous le nom de rosé mousseuse,-voir dans ses Mémoires;-lis-les, pendant que je relirai les tiens, je serai vengé.
À cheval donné, on ne regarde pas à la bride; on ne chicana pas madame de Genlis sur le nom qu'elle donnait à cette belle fleur, et ce nom fut accepté; pas plus qu'on ne la chicana sur le nom de Paméla,-qu'elle a bien donné à cette belle lady Fitz-Gérald, qu'elle avait également rapportée d'Angleterre, en même temps que la rose… moussue.
Tu partages l'opinion des Arabes, qui poussent si loin l'hospitalité et la générosité, qu'ils disent qu'on peut voler pour donner. Tu dépouilles cette pauvre vieille pour orner ton ami.
Je suis bien de ton avis, moussue serait mieux que mousseuse,-mousseuse est une faute de français; aussi, désormais, je dirai rose moussue; c'est par lâcheté que je prononçais mousseuse. Je me disais: «Il faut hurler avec les loups.» Ces jardiniers, et quels jardiniers!-tu vas le voir tout à l'heure,-disent rose mousseuse.
Tu me rirais au nez si je te disais: le dictionnaire de l'Académie accepte rose mousseuse, en protestant, il est vrai, mais il l'accepte;-mais écoute un peu si ceux qui disent rose mousseuse ont le droit d'avoir voix au chapitre.
M. Hardy, qui a créé trois roses au moins, la _rose Hardy, le triomphe du Luxembourg, et madame Hardy_,-la plus belle des roses blanches,- dit rose mousseuse.
De même que:
M. Vibert, auquel on doit _Cristata, Adèle Mauzé, Jacques Laffitte_;
M. Laffay,-le père du prince Albert, de la duchesse de Sutherland, de la rose de la Reine et de la _rose Louis-Bonaparte_, qui, née en 1842, était alors dédiée au roi de Hollande;
M. Portmer, qui a obtenu de semis la rose duchesse de Galliera, et une autre qui me fait l'honneur de porter mon nom,-de même qu'une rose née chez M. Van Hout, de Gand, qui a mis au jour, en outre, la _marbrée d'Enghien_ et Narcisse de Salvandy, le plus beau des Provins.
M. Van Hout met sur ses catalogues: rose mousseuse;
Comme M. Oudin, de Lisieux, qui a vu naître dans son jardin la belle rose _génie de Chateaubriand_;
Comme feu Després, auquel on doit la _noisette Després_ et la _baronne Prévost_;
Comme M. Guillot, qui a produit récemment le _géant des batailles_;
Comme M. Beluze, qui, près de Lyon, a gagné de semis la splendîde rose souvenir de la Malmaison.
Remarquons en passant que la rose est un peu bonapartiste, par mauvaise humeur, sans doute, contre le lis, que l'on a cru longtemps être son rival et son compétiteur dans «l'empire de Flore.»-Ce n'est ni toi ni moi.
Et Margotin, et Levêque, et Souchet, et Verdier, ces autres maîtres des roses, ils disent rose mousseuse.
Et Bixio, donc, ton ami Bixio, dit rose mousseuse dans sa Maison rustique.
Ce seraient de terribles autorités contre nous deux.
Bah! nous acceptons d'autres fautes,-Veux-tu que nous acceptions celle-là?
_Orgue_:-masculin au singulier, féminin au pluriel; ce qui amène la phrase: un des plus belles orgues.
_Hymne_:-masculin dans les livres, et féminin dans les livres de messe.-Boileau dit: _un hymne vain_;-et l'Académie: _après que l'hymne fut chantée_.