Maëlle Brun
BRIGITTE MACRON
L’AFFRANCHIE
Un ouvrage proposé par Michel Taubmann
INTRODUCTION
« Brigitte, Brigitte, Brigitte ! » Nous sommes le 23 avril 2017, il est 22 h 15.
Dans le hall 5 du Parc des expositions, l’atmosphère est survoltée et la musique, « Closer » du groupe norvégien Lemaitre, résonne. Mais un prénom se détache : « Brigitte, Brigitte… » Sur scène, celle qui deviendra première dame dans deux semaines vient de faire son entrée. Elle avance, la mine un peu gênée, à la droite d’un Emmanuel Macron déjà victorieux. En ce soir de premier tour, la foule n’applaudit pas un candidat, mais bien un couple. Une équipe, même, qui s’est imposée au fil des nombreux déplacements, des couvertures de magazines et d’un storytelling rodé. Au micro, le futur président n’oublie d’ailleurs pas de remercier son épouse, « toujours présente et encore davantage ».
Cette fois, Brigitte Macron sait qu’elle risque de prendre bientôt ses quartiers dans l’aile Madame du palais. Elle ne peut plus refuser de se projeter, comme elle s’obstinait à le faire. Elle ne doit plus continuer de prétendre que « Macron, c’est lui », et seulement lui. De toute façon, l’ultra-modestie ne sonne pas tout à fait juste : dans cette campagne, elle n’a jamais joué les figurantes. Elle a même tenu le haut de l’affiche. Qu’elle apparaisse enceinte en couverture de Charlie Hebdo ou façon éminence grise sur celle de L’Express, que l’on moque la longueur de ses jupes ou que son élégance soit louée, qu’on la qualifie de « bimbo » dans la presse anglaise ou de « future Michelle Obama » aux États-Unis : elle a été raillée autant que starifiée. Omniprésente dans les médias, comme auprès de son mari.
« Brigitte, viens me rejoindre », a si souvent lancé l’ex-ministre, pourtant peu enclin à partager les projecteurs. Mais avec elle, il ne rechigne pas. Ce serait d’ailleurs absurde : au-delà de l’amour qui les lie depuis vingt ans, elle sert sa candidature. Elle est rassurante là où on le craignait trop jeune, transgressive quand on le dit bon élève… Elle rassemble pour celui qui voulait abolir les clivages. Chaque fois qu’il l’a sollicitée, elle s’est donc exécutée. « Mon rôle ? Je suis son épouse, c’est tout simple », assenait-elle aux journalistes le 4 octobre 2016, en marge d’un meeting à Strasbourg. « Vous avez toujours l’air étonné que les épouses soient à côté de leurs maris. Il serait temps d’évoluer un peu, c’est notre place. » La définition semble néanmoins bien réductrice dans son cas.
Coach, répétitrice, maîtresse de l’agenda, messagère, chasseuse de têtes, spin doctor… Toutes ces attributions sont, à un moment ou à un autre, devenues siennes. Des couloirs de Bercy aux locaux d’En Marche !, elle a même été l’une des seules femmes d’influence de son entourage. Si Emmanuel Macron se dit féministe, sa garde rappochée a toujours été majoritairement composée d’hommes : les stratèges Alexis Kohler et Ismaël Emelien, le porte-parole Benjamin Griveaux, le directeur de campagne Jean-Marie Girier, le communicant Sylvain Fort, les organisateurs Stéphane Séjourné, Cédric O ou Julien Denormandie… Mais Brigitte Macron n’a pas vraiment eu à jouer des coudes pour s’imposer dans cet entourage très masculin : le titre de « part non négociable » de son époux l’en dispense.
Cela ne signifie pas, loin de là, que tous l’aient accueillie avec joie en première ligne. Nul besoin d’attendre que Valeurs actuelles la taxe en une, en juillet 2017, de redoutable « vice-présidente »… Dès le ministère de l’Économie, certains conseillers se sont chargés de déplorer son pouvoir. Et de la dépeindre comme une sorte de fille cachée de Cécilia Sarkozy et de Claire Underwood, véritable ordonnatrice de la mise en orbite de Jupiter. Faux, s’empressent de nous rétorquer d’une même voix les proches de Brigitte Macron ! Elle ne rêvait nullement d’un destin élyséen. Elle se contentait d’accompagner son mari, sans jamais le pousser.
Est-elle donc co-capitaine ou « petit soldat » ? La réalité se situe sûrement au milieu – au centre, devrions-nous dire. Son rôle demeure constant depuis vingt ans : inspirer et conseiller, comme elle le faisait sur les bancs du lycée La Providence et dans leur quartier chic d’Amiens. Avant qu’elle ne le mette en marche, Emmanuel Macron dit y avoir mené une « vie immobile ».
Ce n’était alors pas le cas de l’enseignante. Lorsqu’ils se rencontrent, au milieu des années 1990, elle est déjà nourrie de ses propres contradictions. Enfant solaire mais indisciplinée, adolescente fracturée derrière les sourires, épouse bourgeoise et indépendante, un rien potache entre deux citations de Leibniz… À chaque étape de son parcours apparaît le « en-même-temptisme » qui deviendra la marque de fabrique de son mari. Cela explique en partie que la première dame reste énigmatique, malgré sa surmédiatisation. Dans ce livre, nous nous sommes efforcés de lever le voile sur une femme aux multiples facettes, dont la vie romanesque est mue par une priorité : la quête permanente de la liberté. L’Élysée n’est pas forcément le lieu où la préserver. Elle a un quinquennat pour déjouer les pronostics.
UN VENT DE LIBERTÉ
« Vous écrivez sur la petite Trogneux ? C’est une vraie star ici. » À Amiens, on est fier d’elle. Et si le Picard est réputé taiseux, évoquer la première dame anime les conversations. « Quel beau parcours, quand même ! », nous dit-on au bar-tabac Le Saint-Claude, dans la rue Gaulthier-de-Rumilly. Quelques mètres plus haut, au cœur du quartier cossu d’Henriville, se trouve la maison des Macron. Là où a grandi le président et où vit toujours son père. Mais ce jour-là comme souvent, beaucoup parlent surtout de Brigitte. Pas Mme Macron donc, ni même Mme Auzière, du nom de son premier mari, mais « la petite Trogneux ». Un patronyme qui en impose dans la région : Brigitte Macron n’a pas attendu d’être épouse de ministre pour y être connue de tous…
La chocolaterie Trogneux est en effet une institution. Six magasins dans les Hauts-de-France – entre Amiens, Lille, Saint-Quentin et Arras –, cinquante-cinq salariés, plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires (3,8 en 2015, mais on parle de 6 pour 2016)… Et une saga qui s’affiche en toutes lettres sur la maison mère amiénoise. « Jean Trogneux, depuis cinq générations », peut-on lire sur la devanture du 1, rue Delambre, tout près de l’hôtel de ville. L’entreprise est actuellement dirigée par le neveu de la première dame, Jean-Alexandre, héritier d’une famille enracinée dans la région. « La lignée des Trogneux a son berceau dans le village de Vaulx, nous révèle le généalogiste Jean-Louis Beaucarnot. C’est une famille paysanne, qui devait être à l’origine relativement aisée et influente, puisque ses membres sont qualifiés de “fermiers propriétaires[1]”. » Au XVIIIe siècle, sous Louis XV, leur statut social s’effondre néanmoins. « Viennent alors plusieurs générations de manouvriers, des manœuvres agricoles payés à la journée et menant des vies dures. En 1834, on enregistre en quinze jours les actes de décès d’André Trogneux, de sa femme et de leur fils de dix-neuf ans. Ils laissent orpheline une fille de dix ans, qui sera fileuse. Elle terminera sa vie comme cuisinière à Abbeville, après avoir donné le jour à un fils naturel, en 1852. » Ce garçon, c’est l’arrière-grand-père de Brigitte Macron, Jean-Baptiste Trogneux, fondateur de la confiserie familiale en 1872.