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L’heure de la comédie

Le jeudi 26 mai 1994, à la Comédie de Picardie, une très belle salle amiénoise, le grand soir est arrivé : le club théâtre de La Providence joue L’Art de la comédie. La pièce, écrite en 1964, avait été controversée à sa sortie. Eduardo De Filippo (qui n’est pas un parent napolitain d’Edouard Philippe…) y raillait l’État, s’amusant des rapports compliqués entre le pouvoir et les artistes. Dans la version qu’il a revisitée, en la parsemant d’alexandrins, Emmanuel Macron se place du côté des artistes. Il interprète le directeur d’une troupe de théâtre qui va s’employer à tourner un préfet en ridicule. La représentation est un succès, que toute l’équipe va fêter au restaurant. Autour de la table, Emmanuel et ses camarades, dont Laurence, ainsi que Brigitte et son mari André-Louis. Personne n’ose alors imaginer ce qui se trame en coulisses. « C’est vrai qu’ils étaient tout le temps ensemble, côte à côte dans les gradins, se remémore Claire Pasquier, elle aussi au club théâtre. Elle semblait bien l’aimer, mais je me disais simplement que c’était son chouchou. D’autant qu’ils partageaient un truc à part, très intello. Lorsqu’ils s’interrogeaient sur tel ou tel sujet, je me sentais vraiment larguée[27] ! », rit-elle. « Mais il n’y avait pas de commérages au sein du groupe, explique Antoine Joannes. Même si l’on percevait qu’ils étaient très proches. Il y avait une alchimie évidente entre eux. Lorsque j’ai appris qu’ils étaient ensemble, je n’ai été ni surpris ni choqué car cela allait presque dans le sens de l’histoire. Ils allaient très bien l’un avec l’autre, même à l’époque[28]. » Mais, pour l’heure, cette connivence est perçue par ses proches comme purement intellectuelle. « Elle était fascinée par cet élève, témoigne une amie de l’enseignante. Elle avait enfin trouvé quelqu’un avec qui parler littérature pendant des heures[29]. »

Leur belle complicité déconcertera tout de même un peu ceux qui les aperçoivent se baladant en tête à tête certains week-ends… Tel cet ancien enseignant de La Providence, qui se rappelle encore son étonnement en les croisant un dimanche le long de la Somme, sur le chemin de halage, juste avant les vacances de l’été 1994. « J’étais surpris de voir un professeur se promener avec l’un de ses élèves un dimanche… Je n’en ai parlé à personne, je l’ai gardé pour moi. Ils se voyaient, je ne l’ai compris qu’après[30]. » Il ne sera bientôt pas le seul à tout savoir de cette étrange romance : dans le petit quartier d’Henriville, où tout le monde se connaît, un tel secret ne pouvait le rester.

LE PRIX DU BONHEUR

« Quand je lis des choses sur notre couple, j’ai toujours l’impression de lire l’histoire de quelqu’un d’autre. Pourtant, c’est une histoire simple. » La simplicité évoquée dans Elle par Brigitte Macron ? Elle a dû la théoriser a posteriori… Car à l’été 1994, alors qu’elle a quarante et un ans et lui seize, qu’elle est enseignante et lui lycéen, leur couple n’a rien d’une évidence… Du moins pour les autres. Une situation porteuse de « mutilation », admet-elle d’ailleurs aujourd’hui en privé, comme le raconte Philippe Besson. Déplorant auprès du romancier « la simple difficulté d’être ce que l’on est quand ce n’est pas la norme sociale[1] ».

Alors certes, l’époque de son propre coup de foudre n’est plus celle de Gabrielle Russier. Un quart de siècle s’est écoulé depuis 1969, lorsque cette prof de français marseillaise de trente-deux ans, mère de deux enfants, avait été condamnée à douze mois de prison avec sursis pour son aventure avec l’un de ses élèves de seize ans. Un fait divers dramatique – elle se suicidera après le verdict – dont Brigitte a évidemment pleinement conscience. Peut-être a-t-elle entendu le président Pompidou réciter, pour évoquer l’affaire, quelques vers que Paul Éluard avait consacrés aux femmes tondues à la Libération. « Comprenne qui voudra, moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés[2]. » Sans doute a-t-elle aussi vu Mourir d’aimer, le film qu’André Cayatte en a tiré en 1971, avec Annie Girardot dans le rôle principal. Mais tout cela lui semble loin face aux sentiments qui s’imposent à elle. Et elle aura la chance que, contrairement aux parents du jeune Christian Rossi, ceux d’Emmanuel Macron ne portent pas plainte contre elle. Les choix sentimentaux de leur fils ne les réjouiront pourtant pas… Loin de là.

« C’est sûr, on n’a pas fait “chic alors[3] !” », confie Françoise Noguès, la mère du président. Un doux euphémisme ! La révélation a été d’autant plus violente qu’ils ne l’ont pas vue venir. Un temps, ils ont même pensé que leur aîné était épris d’une autre Auzière : Laurence, sa camarade de classe et fille de Brigitte. Mais ce n’est pas elle qu’il rejoint de plus en plus souvent en cachette, alors que ses parents le pensent en train de préparer son bac de français. Ces derniers n’ont aucune raison de mettre en doute la parole de l’élève studieux… Du moins jusqu’à ce jour du printemps 1994, où ils reçoivent un appel d’un copain d’Emmanuel, qui demande à lui parler. Le hic : il est censé passer la semaine avec cet ami, chez la grand-mère de celui-ci, histoire de mettre un bon coup de collier avant les épreuves. Il les a même appelés chaque jour pour leur raconter cette très efficace session de révisions ! De quoi rendre son retour légèrement explosif… Et faire « tomber de l’armoire » les Macron, comme ils l’expliquent, lorsqu’ils comprennent que c’est de sa prof qu’il s’est entiché. L’adolescent refusant de se ranger à leurs arguments, ils convoquent Brigitte pour lui faire entendre raison. Se noue alors un douloureux bras de fer. Mais ils n’auront guère plus de succès qu’avec leur fils, que leur ton se fasse suppliant – à cause d’elle, il n’aura jamais d’enfants, implorent-ils – ou plus menaçant. À l’interdiction de revoir Emmanuel jusqu’à sa majorité, l’enseignante répond, en pleurs, qu’elle ne peut faire de promesses. Rien ne semble plus pouvoir la tenir éloignée du lycéen. Pas même les cent cinquante kilomètres entre Amiens et Paris, qui devaient couper court à cette histoire apparemment impossible.

Longue distance

Voilà quelques mois qu’elle l’a en effet incité à partir faire sa terminale S à Paris. Elle qui assure n’avoir jamais été attirée par les hommes plus jeunes a dû admettre que celui-ci lui plaît, et met en danger sa vie de famille. Dès la fin de sa seconde, les Macron avaient de toute façon songé à inscrire leur fils au prestigieux lycée Henri-IV et la bénédiction de Brigitte a été pour celui-ci l’argument décisif. « En raison de ma vie sentimentale, ma situation était devenue intenable[4] », reconnaît-il. Reste qu’en faisant ses valises l’enfant prodigue planifie déjà son retour. « Vous ne vous débarrasserez pas de moi ! Je reviendrai et je vous épouserai », lance-t-il, lyrique, à sa prof de théâtre. Un projet qu’il mènera à bien… Mais non sans mal.

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27

Entretien avec l’auteur, le 28 septembre 2017.

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28

Entretien avec l’auteur, le 17 octobre 2017.

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29

Dans un article de Pop Story, « Et Brigitte créa Macron », mai 2016.

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30

Entretien avec l’auteur, le 2 septembre 2017.

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1

Philippe Besson, op. cit.

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2

Paul Éluard, Au rendez-vous allemand, « Comprenne qui voudra », Éditions de Minuit, 1945.

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3

Anne Fulda, op. cit.

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4

Dans une interview à L’Obs, « Confidences littéraires », parue le 16 février 2016.