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En septembre 1994, il s’installe donc dans une chambre de bonne rue Pierre-et-Marie-Curie, tout près d’Henri-IV. « J’empruntais les chemins des personnages de Flaubert, Hugo, s’enthousiasme-t-il aujourd’hui. J’étais porté par l’ambition dévorante des jeunes loups de Balzac[5]. » Un loup qui se casse quand même un peu les dents en cette rentrée. Tout d’abord parce que, en dépit du bon niveau de La Providence, il évolue maintenant dans une autre dimension. Dans ce lycée d’excellence, l’éternel premier de la classe se retrouve avec une moyenne basse – entre 11 et 12 selon sa mère – et doit redoubler d’efforts. Mais ses bulletins parfaits ne sont bien sûr pas ce qu’il regrette le plus de sa vie amiénoise…

« Le premier trimestre n’a pas été drôle, se souvient Brigitte. On s’appelait tout le temps. On passait des heures et des heures au téléphone[6]. » Elle ne peut continuer à nier l’évidence, la proximité physique n’étant plus une excuse. « Petit à petit, il a vaincu toutes les résistances, de manière incroyable, avec patience. » Au bout de quelques semaines, elle ne tente alors plus de se tenir à distance et va à Paris dès qu’elle le peut. Chaque week-end, c’est lui qui revient. Sa valise pleine de linge à laver et une seule idée en tête : retrouver Brigitte. Plusieurs anciens élèves de La Providence nous racontent les avoir vus le dimanche soir, se disant au revoir à la gare. Emmanuel prend d’ailleurs moins de précautions pour cacher son histoire, notamment avec son nouvel entourage. À Henri-IV, il a dit à certains camarades qu’il sortait avec sa prof, sans donner beaucoup plus de précisions.

Brigitte, en revanche, est le plus souvent contrainte au silence. Ses amies ? Elles connaissent bien son mari et leur réaction serait trop vive. Son unique confidente devient alors celle dont elle sait la bienveillance : Germaine Noguès, dite Manette, la grand-mère adorée d’Emmanuel Macron. Celle qui lui a donné le goût de la lecture et chez qui il aurait demandé à habiter dès l’âge de cinq ans. Celle qu’il célèbre constamment dans le savant récit de son parcours – quitte à en avoir souvent exclu ses propres parents ! Le jeune homme ne pouvait donc que lui parler de son coup de foudre. Et si l’ancienne directrice de collège en a tout d’abord été choquée, elle l’a vite accepté. Une indulgence qu’elle n’aurait jamais eue pour ses propres enfants, comme le remarque aujourd’hui Françoise Noguès. Mais elle passe tout à ce petit-fils préféré, avec lequel elle entretient une relation fusionnelle. « Rien n’aurait été possible si elle n’avait pas donné son assentiment[7] », admet Brigitte. Chaque semaine, elle lui rend donc visite durant des après-midi entiers. « Elle avait une passion pour La Fontaine, que l’on partageait », poursuit la première dame. Avec celle qui a si souvent répété à Emmanuel Macron qu’elle « n’aime que lui », elle a décidément bien des points communs ! Et elle trouve ici un havre qui tranche avec ce qu’elle va bientôt connaître à l’extérieur.

Car, peu à peu, ses proches découvrent à leur tour son secret, et ils se montrent nettement moins compréhensifs. Chez les Trogneux, on n’a pas le goût du scandale. Et l’on est à mille lieues d’imaginer le vaudeville qui se trame dans la maison familiale, où le couple se retrouve. « Emmanuel profitait des absences de Jean-Claude Trogneux pour se faufiler auprès de Brigitte qui se dorait au bord de la piscine familiale. Et s’enfuyait dans les buissons avec sa serviette, dès qu’il réapparaissait », racontait une proche en 2016, dans les pages de Pop Story. La confrontation arrivera pourtant lorsque l’aîné de la fratrie tombe sur le couple dans le jardin. C’est le point de départ de nombreuses querelles. Désormais à la tête de l’entreprise familiale, Jean-Claude Trogneux est une personnalité aussi connue que l’a été son père. Il est par exemple l’organisateur d’un rallye à vélo entre Amiens et Le Touquet. Avec la petite dernière, de vingt ans sa cadette, il ne se prive donc pas de jouer le paternalisme sévère. S’appropriant le rôle que leurs parents ne peuvent plus remplir : leur père est décédé en janvier 1994, et leur mère est âgée, elle qui partira en février 1998, à quatre-vingt-quatre ans. Ses frères et sœurs la bousculent, arguant que cette histoire est immorale. Elle leur répond qu’elle doit la vivre, quelle qu’en soit la durée. Elle ne parviendra pas à les convaincre de cette nécessité : la première dame peut bien assurer avoir toujours perçu Emmanuel Macron comme un contemporain, ses proches, eux, mesurent à l’époque chacune des vingt-quatre années qui les séparent. Au-delà de leur désapprobation de cette romance taboue, voir leur nom au cœur des commérages indignés leur est très désagréable. Trogneux, cela doit rimer avec macarons, pas avec Macron !

La rumeur et l’opprobre

Mais la rumeur a commencé à se répandre. Les chocolatiers n’en ignorent rien : des lettres anonymes leur ont été envoyées – cela a également été le cas à La Providence. Un proche évoque même « les crachats sur la porte » qu’ils subiront ! Exagération ou pas, les tensions sont en tout cas extrêmement vives, et la famille Trogneux est scandalisée. Les relations avec la petite dernière se rafraîchiront au point de l’ignorer pendant des années au Touquet… Oubliée, la fratrie « aimante et soudée », comme elle la décrit. Dans le fief familial, où les parents de Brigitte lui ont légué cette villa Monéjan qu’elle aime tant, elle est dorénavant isolée. Et sur la plage, on ne s’adresse plus la parole, alors que les cabines des frères et sœurs se jouxtent !

Ce n’est pourtant rien par rapport à ce que Brigitte va connaître au sein de son propre foyer. Lorsque son mari apprend la vérité, sa réaction est évidemment violente. Se faire remplacer par un camarade de classe de sa fille, par un ado qu’il a si souvent reçu chez lui ? Voilà une blessure difficile à panser. Et le banquier – peu sentimental selon tous les témoignages recueillis – ne tergiverse pas : il part. Le divorce ne sera prononcé qu’une dizaine d’années plus tard, en janvier 2006 – il a été difficile de finaliser les choses. Mais la séparation, elle, est immédiate. Abasourdi, il quitte la maison de la rue Saint-Simon pour ne plus y revenir. « On ne l’a plus revu ! Comme s’il s’était volatilisé[8] », s’étonnent deux des voisins de l’époque. « Il a pris cela comme une telle gifle ! », évalue l’une de ses connaissances. « Il faut le comprendre. Je pense qu’il n’a pas non plus été facile de voir par la suite les enfants apprécier Emmanuel[9]. » Selon la journaliste Sylvie Bommel, André-Louis Auzière n’aurait même pas assisté à l’enterrement de sa propre mère, de peur d’y croiser son ex-femme. « C’est un homme qui ne veut pas être retrouvé après tout ce qui s’est passé[10] », analyse-t-elle.

Brigitte, elle, reste dans la maison d’Henriville, avec ses trois enfants. Continuant d’enseigner à La Providence, où ses collègues savent tout de ses tourments privés. « Le vrai courage ce fut le sien. La détermination généreuse et patiente, ce fut la sienne, s’extasie Emmanuel Macron dans Révolution. Elle avait alors trois enfants et un mari. De mon côté, j’étais élève et rien de plus. Elle ne m’a pas aimé pour ce que j’avais. Pour une situation. Pour le confort ou la sécurité de ce que j’apportais. Elle a renoncé à tout pour moi. Mais elle l’a fait avec un souci constant de ses enfants. En n’imposant jamais rien, mais en faisant comprendre, avec douceur, que l’impensable pouvait s’imposer[11]. » Sur ce point, la relecture de Brigitte est plus nuancée. « Je sais que j’ai fait du mal à mes enfants, et c’est la chose que je me reproche le plus, confessait-elle dans Elle. Mais je ne pouvais pas ne pas le faire. Il y a des moments dans votre vie où vous faites des choix vitaux. Et pour moi, ça l’a été[12]. »

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5

Emmanuel Macron, op. cit.

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6

Dans le documentaire de Pierre Hurel, op. cit.

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7

Anne Fulda, op. cit.

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8

Entretien avec l’auteur, le 4 août 2017.

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9

Entretien avec l’auteur, le 11 octobre 2017.

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10

Auprès du Daily Mail, dans un article paru le 28 avril 2017.

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11

Emmanuel Macron, op. cit.

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12

« Appelez-moi Brigitte », op. cit.