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Désormais, leur relation n’est plus vraiment clandestine. Elle reste encore loin d’être acceptée… La première dame a beau expliquer n’avoir pas vu cet amour comme une transgression, cela y ressemble à s’y méprendre ! Certes, personne n’ose alors l’affronter, notamment à La Providence, où l’on n’a guère envie de s’étendre sur la question… « Contrairement à ce que j’ai pu lire dans la presse, on n’en parlait pas[13] », nous explique son collègue, Arnaud de Bretagne. Mais des ricanements qui bruissent sur son passage aux amies soudain indisponibles pour déjeuner avec elle, la désapprobation se fait entendre. Selon certains témoignages, Brigitte la précède même, préférant s’isoler : lorsqu’elle croise d’anciens amis dans la rue, elle évite leur regard. « Les Macron sont des gens qui ont été traités en pestiférés. Ils se sont vécus comme tels, analyse un proche. Elle est très pudique sur le sujet. C’est une blessure qu’elle n’évoque pas de but en blanc. Mais au détour d’une conversation, elle m’a parfois raconté qu’elle avait perdu toutes ses copines. Du jour au lendemain, les amies avec qui elle partait en vacances n’ont plus voulu lui adresser la parole[14]. » En quittant André-Louis Auzière pour Emmanuel Macron, elle a rompu avec son milieu, et avec la vie qu’elle menait jusque-là. Elle ne peut pourtant pas en entamer une nouvelle, plus anonyme, auprès de son ancien élève : ses enfants sont scolarisés à Amiens et elle exerce toujours à La Providence.

S’ouvrent alors des années d’une histoire à distance. Après avoir obtenu son bac S avec mention très bien, Emmanuel Macron poursuit ses études, désormais installé dans un petit appartement qu’ont acheté ses parents rue de la Santé. Hypokhâgne et khâgne à Henri-IV, maîtrise et DEA de philosophie à l’université de Nanterre, Sciences-Po, puis direction Strasbourg pour trois ans à l’ENA, pendant lesquels il partira au Nigeria le temps d’un stage de six mois en ambassade… Les expériences s’enchaînent, riches en rencontres. En Alsace, il se lie notamment avec ceux qu’il retrouvera au sommet de l’État. Ainsi, Gaspard Gantzer, futur conseiller Communication de François Hollande ; Mathias Vicherat, qui deviendra directeur de cabinet de Bertrand Delanoë et d’Anne Hidalgo ; ou encore Aurélien Lechevallier, lui aussi passé par la mairie de Paris et l’Élysée. Mais entre 2002 et 2004, ce futur cercle d’influence forme surtout la « Confrérie du Grand Buffalo », qui s’encanaille au fil des apéros à l’Académie de la bière et des karaokés au Bunny’s… Emmanuel Macron n’est pourtant pas totalement disponible à cette vie étudiante, pressé de retrouver Brigitte chaque week-end. « Quand certains révisaient à Strasbourg, lui préférait rentrer au Touquet, se souvient Gaspard Gantzer. Tous les vendredis, après notre cours d’espagnol, il courait vers la gare pour sauter dans le train[15]. » Certains attribuent d’ailleurs aux contraintes de cette double vie le fait qu’il ait raté Normale Sup’ à deux reprises. Pour Emmanuel Macron, l’avenir se profile en tout cas au loin. Brigitte, elle, reste à Amiens, lestée par ces « ragots de province » qu’elle a souvent dénoncés.

Seuls, à deux

La Picardie n’est cependant pas le seul lieu où leur couple fait tiquer. Les amis parisiens à qui Emmanuel Macron présente sa compagne ne cachent pas leur surprise. Beaucoup interrogent ce choix qui lui interdit d’avoir des enfants. Mais les remarques se font parfois nettement plus désobligeantes. Lorsqu’en septembre 2006 il l’amène au mariage de ses camarades énarques Sébastien Veil et Sibyle Petitjean, certains s’étonneront par exemple de le voir arriver avec « cette quinqua pas super-distinguée[16] » en robe blanche et courte. Et les commentaires fusent sur leur différence d’âge. Est-ce pour imposer leur amour une fois pour toutes qu’ils se marient en grande pompe, un an plus tard ? Sûrement. Emmanuel Macron veut « faire taire » ceux qui les jugent. Le 20 octobre 2007, une Brigitte Trogneux à nouveau vêtue d’une robe blanche et courte fait son entrée à l’hôtel de ville du Touquet. Sur ses terres, à 400 mètres de sa villa… Là où, trente-trois ans plus tôt, le même maire – Léonce Deprez, aujourd’hui décédé – l’avait unie à André-Louis Auzière. Après avoir enfin divorcé de celui-ci, elle est libre de sceller son histoire avec Emmanuel Macron, en lui passant une seconde bague au doigt. Elle lui avait offert les trois anneaux qu’il porte à la main droite lorsqu’il était parti en stage au Nigeria.

« Le salon d’honneur n’était pas trop grand, se souvenait en 2015 Léonce Deprez, qui avait dû renoncer à officier dans l’habituelle salle des mariages. Dans une ambiance très naturellement chaleureuse[17]. » Michel et Sylvie Rocard, Gaspard Gantzer, Mathias Vicherat, Henry Hermand, Marc Ferracci… Tous sont réunis autour du couple. Les Trogneux sont également présents. Sans oublier Sébastien, Laurence et Tiphaine Auzière, à qui leur beau-père de vingt-neuf ans rend un hommage tout particulier. « Chacune et chacun d’entre vous a été le témoin au cours de ces treize dernières années de ce que nous avons vécu, entame-t-il, dans un salon du très chic hôtel Westminster, où se poursuit la noce. Et vous l’avez accepté. Vous nous avez faits ce que nous sommes aujourd’hui. C’est-à-dire un couple pas tout à fait normal mais un couple qui existe. Alors je voulais vous remercier pour nous avoir aimés comme nous étions. Plus particulièrement, je voulais remercier les enfants de Brigitte parce que s’il y en a pour qui ça aurait pu ne pas être très simple, c’était pour eux. » Ils ne lui en tiennent visiblement pas rigueur, Tiphaine insistant par exemple sur la normalité de cette famille recomposée. « Ça a eu, grâce à eux, la force d’une évidence », conclut ce jour-là Emmanuel Macron.

L’évidence ne s’était de prime abord pas imposée à son propre entourage… Pourtant, ce 20 octobre, les Macron sont là. Ses parents sont séparés depuis 1999 – ils divorceront en 2010 –, mais ils entourent leur aîné, tout comme son frère et sa sœur. Françoise Noguès a même contribué à la préparation de l’événement, en choisissant les musiques de la cérémonie, dont la Marche de Radetzky sur laquelle les mariés sont entrés. Il faut dire qu’après des années de tensions, les relations se sont apaisées avec cette belle-fille inattendue. Malgré ses réticences initiales, elle a dû se faire une raison. Elle a compris que son fils ne varierait pas et que, face à Brigitte, « on pourrait déshabiller Laetitia Casta devant lui que cela ne lui ferait rien[18] ». Elle s’est donc rangée à cet « amour complètement fusionnel » et s’est employée à mieux connaître l’enseignante, partant même dès l’année 2000 en vacances à Bagnères-de-Bigorre avec le couple et Tiphaine ! Bientôt, elle deviendra l’amie de celle qui n’a que trois ans de moins qu’elle. « Je me demande même si elle ne voit pas plus Brigitte qu’Emmanuel Macron[19] », nous résume Anne Fulda. Toutes deux prendront ainsi l’habitude de déjeuner régulièrement ensemble à Paris, où Françoise Noguès s’est installée et exerce en tant que médecin-conseil à la Sécurité sociale.

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13

Entretien avec l’auteur, le 14 septembre 2017.

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14

Entretien avec l’auteur, le 12 septembre 2017.

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15

Gaspard Gantzer, La politique est un sport de combat, Fayard, 2017.

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16

Comme raconté par Caroline Derrien, Candice Nedelec, op. cit.

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17

Marc Endeweld, L’Ambigu Monsieur Macron, Flammarion, 2015.

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18

Anne Fulda, op. cit.

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19

Entretien avec l’auteur, 25 avril 2017.