Quelques mois avant son mariage, Brigitte a elle aussi définitivement quitté Amiens, et La Providence. Jusque-là, elle se partageait entre les deux villes, s’arrangeant pour regrouper ses cours sur trois jours. Mais ses enfants désormais adultes, il n’est pas question de continuer cette vie de couple à mi-temps ! En septembre 2007, la prof de lettres fait donc sa première rentrée au très chic lycée Saint-Louis-de-Gonzague, alias « Franklin », institution catholique du XVIe arrondissement dont la mère de Bruno Le Maire a longtemps été l’une des directrices. Dans ce très sélectif temple du savoir, encore une fois sous direction jésuite, « BAM » – comme ses élèves la surnomment, pour Brigitte Auzière-Macron – trouve vite ses marques.
Le soir, c’est cependant à une tout autre carrière qu’elle se dévoue. En août 2007, Emmanuel Macron a été nommé rapporteur adjoint de la Commission pour la libération de la croissance française, plus connue comme la Commission Attali. Et le jeune inspecteur des finances va pouvoir compter sur sa femme pour l’épauler, et l’aider à conquérir ce nouveau monde. Lorsque l’avocat Jean-Michel Darrois, qui siège également dans la Commission, les invite dans sa maison de campagne, Brigitte séduira les convives en les faisant rire dans la piscine, alors que le trentenaire est un peu guindé dans son costume-cravate[20]. De l’avis général, elle s’adapte vite. Mieux, elle aime les mondanités, elle qui en a été sevrée pendant des années, la bonne société amiénoise lui ayant fermé ses portes. Dans l’appartement de 80 m2 que le couple a acheté rue Falguière, dans le XVe arrondissement, elle multiplie les invitations à dîner. « C’est une femme qui met du liant », résument ses proches.
Une aptitude au réseautage qui va aussi énormément servir son mari après son embauche à la Banque Rothschild, en septembre 2008. Les horaires y sont élastiques mais Brigitte le soutient. Il n’a de toute façon pas de jeunes enfants à la maison pour le distraire, comme le notent aujourd’hui ses amis. Cette ascension, ils sont libres de la mener en couple, jusqu’à l’Élysée, où le futur président fait ses premiers pas en mai 2012, en tant que secrétaire général adjoint. « Après quelques années, j’avais réussi à mener la vie que je voulais. Nous étions deux, inséparables, malgré les vents contraires[21] », s’enflamme-t-il dans Révolution. Des bourrasques dont il fera bientôt un argument électoral, un marqueur de sa détermination. Mais, pour l’instant, le couple savoure simplement un bonheur qui lui a coûté cher. « Pour vivre notre amour, nous avons dû nous blinder contre les remarques malicieuses, les moqueries et les ragots[22] », synthétise Brigitte. Ils ne regrettent néanmoins pas ce tribut. Le 20 avril 2017, lors d’une interview Snapchat, Emmanuel Macron ne dit pas autre chose. « Bonjour, Monsieur, j’ai un peu craqué sur ma prof de droit pénal. Est-ce que vous auriez un conseil ? », lui demande un internaute. Réponse du candidat ? « D’abord, il faut savoir si c’est réciproque. Si c’est le cas, allez-y. »
AU CŒUR DU POUVOIR
« Jamais ! » Nous sommes le 20 août 2014, dans un restaurant de Los Angeles. Les Macron terminent un séjour sur la côte ouest américaine et ils ont décidé de déjeuner avec Xavier Niel et Delphine Arnault. Le quatuor se trouve à plus de 9 000 km de Paris, mais la conversation va vite se focaliser sur l’Élysée. Emmanuel Macron compte-t-il renouer avec la politique ? se demande le patron de Free. « Jamais, au grand jamais ! », jure donc son ami. Deux mois plus tôt, il a quitté ses fonctions de secrétaire général adjoint de la présidence de la République. En l’espace de quinze jours, il s’était vu écarté par François Hollande du poste de ministre du Budget (que souhaitait pourtant lui offrir Manuel Valls) et de celui de secrétaire général, au départ de Pierre-René Lemas… Et il est alors parti, non sans avoir rendu un hommage à son épouse. « Tu es le fil qui continue de me relier à la vraie vie », déclare-t-il lors de son pot de départ, après avoir loué sa « discrétion » et son « intelligence parfaite ». Dans les plans de l’ex-banquier ? S’en retourner vers le privé. Prise en charge d’un cours sur le « réformisme en Europe » à Londres et Berlin, création d’une start-up consacrée à l’enseignement sur Internet avec les incontournables Ismaël Emelien et Julien Denormandie (futurs conseiller spécial élyséen et secrétaire d’État)… Tout est prêt pour son retour de vacances. Mais Brigitte, elle, semble déjà douter de la concrétisation de ces projets. « Il va replonger ! », s’écrie-t-elle ce jour-là, face à Xavier Niel et Delphine Arnault. Elle ne s’attend pourtant pas à ce que son intuition prenne corps aussi tôt.
Six jours plus tard, l’enseignante et son mari se baladent à vélo au Touquet, quand il reçoit l’appel qui va orienter son destin. À l’autre bout du fil, François Hollande propose à Emmanuel Macron le ministère de l’Économie, en remplacement d’un Arnaud Montebourg dont il a trouvé la « cuvée du redressement » légèrement soûlante… En voyant le chantre du made in France faire son numéro à la fête de la Rose de Frangy-en-Bresse, Brigitte avait d’ailleurs pressenti que le président allait appeler son « Manu ». Ne leur reste plus qu’à prendre leur décision – ce sera vite fait – et à se remettre en route vers Paris dans la voiture avec chauffeur mise illico à disposition. Ce soir-là, le nouveau ministre ne pourra pas rentrer directement à leur domicile du XVe arrondissement. Des photographes attendent déjà en bas de l’immeuble et il ferait mauvais genre d’être immortalisé pour ses débuts en polo et bermuda – son uniforme touquettois… Brigitte Macron le sait désormais : leur vie a changé. Leurs deux vies ont changé.
Car, pour elle aussi, l’automne se révèle mouvementé. En septembre, la prof de lettres fait sa rentrée, la huitième à Franklin. « BAM » va pourtant vite se rendre compte qu’elle n’est plus aussi libre qu’auparavant. Tout d’abord parce qu’elle n’est plus anonyme, la presse s’intéressant à son couple dès l’entrée de son mari au gouvernement. Mais aussi car l’emploi du temps de ministre d’Emmanuel Macron emporte tout. Et elle qui était connue pour passer des heures avec ses classes dans la salle d’étude, à « susciter des vocations », a désormais un autre point de mire. « Lorsque son mari est devenu ministre, elle nous a dit qu’elle serait plus prise[1] », se souvient un ancien élève. Du temps où Emmanuel Macron œuvrait chez Rothschild, Brigitte avait dû composer avec certaines périodes chargées, pendant lesquelles elle le voyait peu. Alors, cette fois, elle ne compte pas se laisser distancer. La crainte qu’il ne s’épuise dans les débats houleux de sa loi controversée… Mais aussi sans doute la peur de voir la politique les éloigner peu à peu. « On a du mal à être l’un sans l’autre », rappelle-t-elle de toute façon.
Il sollicite alors plus que jamais son avis et lui a même demandé de gérer son agenda. De semaine en semaine, la prof s’implique plus dans la vie professionnelle du locataire de Bercy – où elle a accepté de s’installer, pour ne pas ajouter du temps de trajet à des journées s’étalant déjà de 6 heures à 2 heures du matin. Compliqué, dans ces conditions, d’assurer ses dix-huit heures hebdomadaires, réparties entre l’enseignement du français et du latin aux secondes et premières L. N’étant pas insomniaque comme son mari, leurs débriefs nocturnes la laissent « dézinguée », comme elle l’avoue elle-même. « Un jour, elle m’a dit : “Je suis crevée. Je n’ai plus le temps de préparer mes cours. Je ne suis plus à la hauteur de mes élèves[2]” », raconte Gérard Collomb. Dès le mois de novembre, elle avoue ainsi à ses proches ne plus tenir.
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Dans un portrait du