Résultat ? Si elle est décidée à finir l’année scolaire, elle prend une décision jusque-là impensable : renoncer à son métier. Un choix difficile, pour celle qui admet aujourd’hui regretter les salles de classe… Oui, mais son mari lui en a fait la requête. « Quand il m’a demandé d’arrêter, j’ai dit OK. Ça l’aide matériellement. Je m’occupe de tout ce qui concerne la vie personnelle. Je sais ce dont il a besoin[3]. » En juin 2015, elle se met en disponibilité de l’Éducation nationale – la disponibilité se muera vite en retraite. Et elle dit au revoir à ses élèves, qui lui offrent un maillot du PSG (un cadeau qu’Emmanuel Macron, pro-OM, ne risque au moins pas de lui piquer). Un départ à contrecœur qu’elle célèbre néanmoins en organisant une petite fête à Bercy… Sa nouvelle maison, où elle est enfin libre de prendre toute sa place.
Novembre 2015, les caméras du « Supplément » de Canal+ suivent le ministre de l’Économie. Et en s’invitant à une réunion de travail, le journaliste Jérôme Bermyn découvre une collaboratrice inattendue. « Il y a une surprise autour de la table ! À la droite du ministre, Brigitte Macron », lance-t-il. « Mon épouse, elle n’est pas dans mon cabinet, je veux être très clair là-dessus. Elle n’est pas payée par le contribuable français », précise tout de suite le héros du jour. « Elle y passe beaucoup de son temps parce que son avis m’importe. Elle contribue aussi à une autre ambiance et je pense que c’est important. On ne travaille pas bien quand on n’est pas heureux. » Un rôle non officiel et bénévole, donc, mais pourtant bien réel. Si elle ne s’immisce pas dans les dossiers purement économiques, elle garde un œil sur tout le reste et assiste aux réunions stratégiques. L’organisation du planning ? C’est elle. L’accueil des journalistes ? Parfois elle. La relecture des discours ? Encore elle. Certains recrutements ? Toujours elle. Elle soufflera par exemple le nom de l’avocate Sophie Ferracci, qui vient remplacer en décembre 2015 Anne Rubinstein en tant que chef de cabinet.
Brigitte est attentive à la garde rapprochée. Chaque matin, elle fait le tour des bureaux, et trouve un petit mot à dire à chacun de la quarantaine de collaborateurs présents. Un côté affable qui correspond bien à son caractère… Et qui n’est peut-être pas inutile au vu des tensions suscitées par sa présence à plein temps.
Dans l’entourage du ministre, certains voient en effet avec amertume une part de pouvoir leur échapper. « Nous devions lui adresser nos notes en même temps qu’à lui, se souvient un conseiller. Comme elle décide autant que lui, on ne savait jamais à qui s’adresser en premier[4]. » Brigitte à la barre du Paquebot ? L’affirmation est sans doute excessive. Mais elle témoigne de l’importance de « Bibi » aux côtés du ministre. Invariablement assise à sa droite dans les réunions auxquelles elle assiste – un siège qu’Emmanuel Macron a, la première fois, « réservé » en y posant sa propre veste… C’est d’ailleurs à sa droite qu’elle se trouvera le 30 août 2016, lorsqu’il annonce sa démission à ses équipes. « Brigitte se joint à moi pour vous remercier parce qu’elle a fait partie de la vie du cabinet », admet-il ce jour-là. « Merci beaucoup de la place que vous m’avez donnée, vraiment », renchérit-elle en essuyant ses larmes. « Discrète, atypique mais c’était important pour nous », conclut le futur candidat.
Une place « discrète » ? Ce n’est pas l’avis de certains membres de sa garde rapprochée, qui la trouvent au contraire disproportionnée. À Bercy, tous sont bien conscients que si Madame ne figure pas dans l’organigramme, ce n’est que pour ménager leur susceptibilité. Emmanuel Macron s’en est de toute façon ouvert en janvier 2016 au journaliste du Times Adam Sage, incrédule devant ce mélange des genres. « Elle n’est pas rémunérée par le contribuable », explique-t-il, dans ce portrait où il est défini comme « le politique qui emmène sa femme au bureau ». « Et elle n’a aucune fonction officielle, parce que cela rendrait la vie impossible à tous ceux qui ont un poste au sein du cabinet. » Un choix de forme, donc, qui ne réduit en rien son importance sur le fond. Mais pas question de s’en plaindre frontalement à leur boss : tous savent que Brigitte est sa « part non négociable ». Côté privé comme professionnel.
Une influence que l’enseignante tente constamment de minimiser. Sur Canal+, dans le reportage du « Supplément », elle dément ainsi être « un aiguillon pour lui ». « Pas du tout. Il sait faire, il n’a besoin de personne », répond-elle. Avant de se reprendre, et de désigner les collaborateurs autour de la table : « Si, il a besoin d’eux. » Mieux vaut ne froisser personne ! Aujourd’hui encore, elle assure qu’il n’écoute pas toujours les idées qu’elle lui donne. Sauf que, depuis vingt ans, elle est celle qu’il consulte constamment. « Il ne fait rien sans lui demander son avis. Du recrutement d’un collaborateur au choix d’un costume ou d’une coupe de cheveux[5] », analyse un proche. Et leur entourage se plaît à souligner le rapport intellectuel qui lie ce couple fusionnel, « en osmose ». On cite même Brigitte comme l’un des « maîtres à penser » d’Emmanuel Macron, au même titre que l’ont été le philosophe Paul Ricœur puis Michel Rocard… Un alter ego chez qui il trouve, finalement, autant d’écoute que d’exigence.
Car Brigitte est aussi la seule à pouvoir lui remettre les pendules à l’heure. Emmanuel Macron ne s’étant pas encore autoproclamé « maître des horloges », cela peut être utile. Surtout au sein d’une équipe où il suscite une admiration aussi enthousiaste – en atteste le nombre de collaborateurs de Bercy qui le suivront dans l’aventure En Marche !. « Elle est l’une des seules à lui dire quand il se plante. Ça le change des flatteurs qui lui serinent toute la journée qu’il est formidable[6] », résume crûment un proche. Il la malmène dans une réunion ? « Tu ne me parles pas comme ça ! », n’hésite-t-elle pas à lui opposer. Il compare, dans le Wall Street Journal, son ancien métier de banquier d’affaires à celui de prostituée, puisque « le boulot, c’est de séduire[7] » ? Son épouse ne se prive pas de le contredire. « Ce n’est pas très aimable pour les prostituées », lui lâche-t-elle, lors d’un dîner entre amis. Ces « échanges musclés », elle-même les revendique.
Au-delà du couple, les Macron forment donc une équipe dont on reconnaît l’unité au ministère… Mais aussi hors de ses murs. Le 2 juin 2015, Brigitte Macron a ainsi fait une première sortie publique extrêmement remarquée. Quelques semaines plus tôt, elle a annoncé son départ de Franklin. Et elle est libre de s’afficher au bras de son mari, délivrée du regard de ses élèves et de son « obligation » de discrétion. Un dîner d’État avec Felipe et Letizia d’Espagne est justement organisé à l’Élysée : ça tombe à pic. Robe noire courte et hauts talons pour elle, costume et mine ravie pour lui… Ce soir-là, le couple s’avance main dans la main et pose sur le perron du palais. Pour un premier cliché officiel, c’est royal ! Voire présidentiel, dans une France qui n’a plus de First Lady depuis un an et demi, et la fracassante éviction de Valérie Trierweiler. Un mois plus tard, les Macron remettent ça à la garden-party élyséenne du 14 Juillet où elle apparaît en robe, escarpins et sac Louis Vuitton. Un total look que certains trouveront « too much ». « On m’a appris à porter de belles robes quand je suis invitée », a-t-elle pour habitude de répliquer aux remarques sur ses choix vestimentaires.
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François-Xavier Bourmaud,