Sa boutique, rue Duméril, propose d’abord soufflés et entremets, avant de relancer le produit qui fera sa renommée : le macaron. Rien à voir avec les créations de Pierre Hermé et de Ladurée… On parle ici d’une spécialité régionale à l’amande et au miel, rapportée par Catherine de Médicis d’un périple italien, et plus tard tombée dans l’oubli. Remettre la recette au goût du jour se révélera une bonne idée ! Le « macaron Trogneux » (on ne dit même plus « macaron d’Amiens » ) pèse aujourd’hui encore plus lourd d’un point de vue économique que calorique : la famille de la première dame en vend plus de deux millions chaque année. Gage de qualité, il recueille même le suffrage d’un grand connaisseur de nos régions, l’Amiénois Jean-Pierre Pernaut, client de la maison… L’Élysée avait accueilli Yvonne de Gaulle « des biscuits Vendroux » ; il y règne maintenant Brigitte Macron « des macarons Trogneux ».
Après Jean-Baptiste – et avant Jean-Claude et Jean-Alexandre – il y aura Jean puis Jean, grand-père et père de la première dame… qui voit donc le jour le 13 avril 1953, au sein de cette dynastie amiénoise. Ses parents ? Ils étaient selon elle « indissociables ». Passant tout leur temps ensemble, rue Delambre. À la Libération, ils y ont fait renaître l’entreprise familiale, en partie détruite dans les bombardements de 1940. Et ils se partagent désormais entre la chocolaterie au rez-de-chaussée, où Simone Pujol aide son mari, et leur appartement au-dessus du magasin. Brigitte Marie-Claude Trogneux est la dernière de six enfants, séparée par vingt ans de son frère aîné. Cette position unique lui offre une éducation très différente de celle de ses frères et sœurs. Seule enfant de l’après-guerre, elle n’a connu aucune des privations subies par le reste de la fratrie. De cette période sombre, elle entendra sans doute surtout parler du fait d’armes de la famille, qui aurait refusé de servir des sucreries à Rommel pendant l’Occupation. Mais, pour le reste, ses premières années sont choyées.
La benjamine fait fondre Jean Trogneux, que l’on n’imaginait pas jusque-là en papa gâteau… Notable reconnu, pilier du Rotary local, il laisse à Amiens le souvenir d’un homme très respecté. Mais il va tout passer à cette petite fille qu’il a eue à quarante-quatre ans (sa femme en avait trente-neuf). Et il semble attendri par celle que ses camarades d’enfance décrivent comme très gaie, tout autant que dissipée. Elle a beau rapporter des punitions de l’école, et être parfois contrainte d’y laver les carreaux, il est indulgent. « Je pouvais tout faire, même ramener des mauvaises notes, mais [mes parents] étaient extrêmement stricts sur le respect que nous devions à l’autre[2] », se souvient-elle. Des rapports particuliers, qui ont marqué son cercle d’alors. Béatrice Leroux, amie de la première dame pendant sa scolarité, nous le raconte. « En tant que petite dernière d’une grande fratrie, avec un écart d’âge important avec ses aînés, elle jouissait d’une grande liberté. Cela se traduisait notamment dans le ton qu’elle employait avec son père. Elle lui parlait gentiment mais de façon très ouverte, allant parfois assez loin dans ce qu’elle disait. Il y avait entre eux une forme de camaraderie dont il ne prenait pas ombrage. Au contraire, il s’en amusait, et ne la remettait jamais à sa place. Il était évident qu’il avait beaucoup d’admiration pour elle[3]. » Un lien privilégié que Brigitte Macron invoque toujours, plus de deux décennies après la mort du patriarche. « Je pense à mon père dans les moments importants ou délicats, confiait-elle à son ami Philippe Besson pendant la campagne présidentielle. On fait tous ça, non[4] ? »
Avec sa mère, le contact est plus doux. « Il y avait beaucoup de tendresse entre elles », poursuit Béatrice Leroux. Fille d’un marchand de vins originaire de l’Ariège, Jean-Pierre Pujol, Simone Trogneux affiche un tempérament assez réservé. Elle est pour Brigitte une mère attentive, lui laissant toutefois son indépendance. Dans la maison de la rue Delambre, le dernier étage est ainsi son domaine. Elle peut aussi se déplacer à sa guise : pour la féliciter d’avoir obtenu le brevet des collèges, ses parents lui ont offert un cyclomoteur, un Piaggio Ciao ! À la grande surprise de quelques copines qui ont eu, elles, un « bravo » pour seule récompense. « Ses parents étaient généreux avec elle, se souvient l’une d’elles. Pour une bonne note, elle avait un jour reçu toute une parure de bijoux en argent[5] ! » Brigitte étant bonne élève, spécialement en français et en latin, les cadeaux seront nombreux. Sa garde-robe fait d’ailleurs l’envie de ses amies, avec notamment une impressionnante collection de vestes shetland : elle en a commandé un modèle de chaque couleur dans une boutique à la mode du centre de la ville.
Le quotidien de la jeune fille est donc très agréable, entre la confortable routine amiénoise et les week-ends au Touquet. En 1950, les Trogneux ont acheté dans cette cité balnéaire du Pas-de-Calais une belle maison de ville, sur trois niveaux, la villa Monéjan (pour Simone et Jean). Si Emmanuel Macron, fils de deux médecins, aime à expliquer qu’il vient d’une classe moyenne embourgeoisée, il serait difficile de déclasser sa future épouse. Aucun doute : celle-ci est issue d’un milieu très favorisé et profite d’une jeunesse préservée. « Elle était sociable et farceuse, se souvient une amie d’enfance. Assez libre aussi[6]. » Elle le prouve d’ailleurs dès l’adolescence.
Ses samedis soir ? Hors de question de les passer à la maison. Ses frères et sœurs, adultes, en sont partis de toute façon. Et la jeune fille ne compte pas se morfondre dans sa chambre, à rêver devant ses posters des Rolling Stones et de Clint Eastwood – elle dira un jour du président qu’il est « mieux que Clint Eastwood[7] », mais pour l’instant c’est le vrai (le moins bien, donc) qui orne son mur. Chaque week-end, elle sort danser dans des boums où elle connaît ses premiers flirts. Côté look, c’est minijupe sur bloomer, indispensable pour les pirouettes du rock, bottes et nattes blondes. « Elle était déjà très coquette, mais pas dans le genre “fille de bonne famille amiénoise”, nous décrit une connaissance de l’époque. Elle explorait la mode des sixties[8] ! » D’autant qu’en semaine, son uniforme a de quoi lui mettre le blues. Jupe plissée, gilet et collant bleu marine, chemise et blouse bleu ciel. Sans oublier le calot marine à rayures rouges pour parfaire le style… Au Sacré-Cœur, on ne manque pas de tenue ! Comme toute jeune fille de la bourgeoisie locale, elle y a passé la majorité de sa scolarité, ne s’en éclipsant que le temps de la 4e et la 3e, à Sainte-Clotilde. Cet autre établissement privé catholique d’Amiens a alors fusionné avec le Sacré-Cœur.
Ses sœurs l’ont précédée dans ce parcours mais Brigitte est plus rebelle que ses aînées. « Je n’étais pas une jeune fille très sage. J’étais souvent collée pour impertinence », admettait-elle dans les colonnes de Elle, en août 2017. « Je ne baissais pas les yeux, jamais. Et l’on ne me faisait pas entrer dans le crâne une chose à laquelle je ne croyais pas. J’ai eu très tôt un esprit critique. » Or dans ce grand établissement du centre, fondé en 1801 par la mère de la Société du Sacré-Cœur de Jésus, Madeleine-Sophie Barat, la discipline est stricte. Les conditions d’apprentissage sont certes très confortables – dans de superbes bâtiments rue de l’Oratoire, ouverts sur un parc avec court de tennis. Et les valeurs prônées sont humanistes : le Sacré-Cœur n’est pas uniquement réservé à la grande bourgeoisie, et accueille gratuitement quelques élèves plus modestes. Mais la rigueur est de mise pour celles qui étudient ici. « J’ai passé ma scolarité à ignorer le dossier des chaises, confiera Brigitte Macron. Il fallait se tenir droite[9]. » Les bonnes sœurs qui dirigent l’établissement y veillent…