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COMPAGNE PRÉSIDENTIELLE

Elle y a obtenu les larmes d’Arnaud Montebourg, les blagues de François Fillon et les jurons d’Alain Juppé. Alors quand Emmanuel Macron a déclaré sa candidature à l’élection présidentielle, Karine Le Marchand n’a plus eu qu’une idée en tête : le faire asseoir au plus vite sur son canapé-divan, pour recueillir quelques confessions. Malheureusement pour l’animatrice, le futur président est resté sourd à ses invitations, refusant d’apparaître dans « Une ambition intime ». « Ce programme relève de la téléréalité, pas de la politique. Il présente un intérêt voyeuriste mais il n’éveille aucune conscience citoyenne », jugeait-il dans Un personnage de roman. « Je n’aurais rien à livrer à une femme […] qui pratique le croisé-décroisé sur un sofa[1]. » À croire qu’Emmanuel Macron a bien du mal à se dévoiler. Il dit même avoir souffert de devoir le faire dans Révolution – ce livre dont la quatrième de couverture se compose d’une photo de lui, et rien d’autre. « Il y a des hommes politiques qui aiment parler d’eux, ce n’est pas mon cas[2] », résume-t-il. Une pudeur naturelle qu’il a pourtant réussi à surmonter… L’exercice du pouvoir peut bien exiger selon lui une certaine opacité, il n’en va pas de même de sa conquête. Car pendant la campagne, le candidat d’En Marche ! n’a pas tout à fait caché le tandem qu’il forme avec Brigitte !

À l’insu de son plein gré

« C’est une partie de son ambivalence, avance Philippe Besson. Celle d’un homme moderne qui a parfaitement compris la société du spectacle et sait qu’il devra montrer son couple[3]. » Son média préféré pour le faire ? Paris Match. Et si, en avril 2016, il qualifiait de « bêtise » leur première une à deux, il ne va pas se priver d’y revenir. « Je pense qu’il n’avait pas réalisé combien c’était transgressif de faire la couverture de Paris Match le jour de la grande émission télé du président de la République, analyse Bruno Jeudy, rédacteur en chef politique de l’hebdomadaire. Il a rétropédalé sous la pression de l’Élysée en expliquant qu’il regrettait et qu’en gros, sa femme s’était fait avoir. Mais cela n’était pas vrai et, sur le fond, nous savions très bien que nous n’avions aucun problème avec lui[4]. » La preuve : quatre mois plus tard, en août, le couple fait de nouveau la couverture du magazine, au cœur de ses « vacances en amoureux avant l’offensive » à Biarritz. Le candidat dira avoir été « poursuivi » par les photographes de Paris Match, mais les Macron ont en fait posé, épargnant à la rédaction l’utilisation de photos d’archives. Le ministre en short et polo, son épouse en maillot fleuri, avançant les pieds dans l’eau vers leur destin… La photo fera énormément parler, beaucoup moquant notamment cette communication très « sarkozyste ». Coïncidence ou pas : c’est l’ancien couple présidentiel que Paris Match comptait montrer cette semaine-là. « Notre objectif était plutôt de partir sur Nicolas et Carla Sarkozy, juste avant la primaire, se remémore Bruno Jeudy. Ils faisaient une couverture chaque été : Sarkozy sur une plage corse, Sarkozy sur un scooter… Mais là, il nous plante et décide de privilégier Valeurs actuelles. On a alors contacté Emmanuel Macron. » Un mal pour un bien, lorsque l’on considère le buzz que fera ce numéro, grâce notamment à LA photo culte du reportage, montrant le couple saluant un naturiste (qui a également fait le baisemain à Brigitte). Prévenu par l’hebdomadaire, celui qui est encore à Bercy ne s’est pas opposé à la publication de ce cliché. Une façon comme une autre de se dévoiler aux Français…

Les couvertures suivantes seront plus habillées, question de saison, mais toujours travaillées. « En Marche ! avec Brigitte », dès novembre 2016 (avec des tenues d’un bleu coordonné), « La campagne de toutes les surprises », en février 2017… Avec quatre unes en un an, les Macron optent pour une stratégie d’une redoutable efficacité. « En France, la publicité politique est interdite, rappelle le communicant Philippe Moreau Chevrolet, patron de MCBG Conseil. Faire la couverture de Paris Match offre une campagne d’affichage légale, avec un magazine qui est en plus très diffusé en province. C’est extrêmement malin[5]. » De semaine en semaine, Brigitte Macron va un peu plus s’imposer au grand public, au sein d’une campagne dont les conjoints ont été assez absents. Gabrielle Guallar ? Elle ne s’affichera avec Benoît Hamon que peu avant le scrutin, heurtée par les polémiques autour de son poste chez LVMH. Louis Aliot ? Son histoire avec Marine Le Pen ne passionne pas les foules. Quant à Penelope Fillon, elle a certes été très exposée, mais bien contre son gré… Dans ce contexte, Emmanuel Macron a créé l’exception par la médiatisation de son couple. Et affirmé sa différence avec François Hollande, président sans première dame depuis trois ans.

Au fil des mois et des interviews, Brigitte est donc devenue un argument électoral. Surtout que, dans leur rencontre, tous les ingrédients sont réunis pour servir le storytelling du candidat. Son histoire personnelle prouvera sa détermination politique. Comment la France saurait-elle résister à l’ex-lycéen qui a conquis sa prof mariée ? Pourquoi le pouvoir de conviction déployé pour amadouer ses parents laisserait-il de marbre les électeurs ? « En matière de communication, le tour de force d’Emmanuel Macron, c’est de retourner le stigmate. “Mon couple est une exception ? C’est que je suis exceptionnel !”, analyse le sociologue Éric Fassin. Loin d’être embarrassante, la situation devient ainsi la marque de sa liberté, affranchie des conventions[6]. » Sans pour autant donner une image aventureuse. Car passé la conquête, Emmanuel Macron est resté avec sa femme, s’inscrivant dans une vie conjugale de vingt ans. Un véritable gage de constance pour celui dont la jeunesse pouvait inquiéter. « Brigitte Macron lui donne un passé, une assise, de l’expérience, confirme Philippe Moreau Chevrolet. De l’épaisseur[7]. » Bref, une fougue fidèle et constructive que le candidat a lui-même formulée, pour mieux la clarifier. « L’idéalisme, ce n’est pas une rêverie, c’est une exigence, insiste-t-il. Mon histoire personnelle est empreinte de cela. Quand mes amis menaient une vie estudiantine, j’étais déjà dans une vie de famille, j’ai dû gagner ma vie plus tôt que les autres. Tout le monde me disait que c’était impossible. Mais je suis déterminé[8]. » Et cette vie de famille chèrement acquise, les Macron vont également la mettre en avant.

Une affaire de famille

« C’est quoi ? C’est une poule ? » Avril 2016, le ministre est « surpris » en pleine chasse aux œufs pascale, l’un de ses sept petits-enfants dans les bras. Le couple a ouvert les portes de sa maison du Touquet au réalisateur Pierre Hurel pour partager ce moment intime, qui sera intégré au documentaire Ainsi soit Macron. Les trois enfants de Brigitte sont présents, eux qui font pleinement partie de ce parcours souvent retracé. Emmanuel Macron a même parfois souligné la singularité de cette tribu recomposée pour emporter des débats politiques. « Je n’ai pas de leçon à recevoir sur la famille et la notion de famille. J’ai ma propre famille, elle n’est pas classique non plus », répondait-il sur BFMTV le 24 février 2017 à Christiane Taubira, qui s’insurgeait contre ses propos sur les « humiliés » de La Manif pour tous. Durant la campagne, le candidat reprendra plus d’une fois cet argument. Il est d’autant plus marquant que les enfants de Brigitte affichent leur appui. Tiphaine s’engage très tôt aux côtés de son beau-père, montant un comité de soutien dans sa ville de Saint-Josse… L’avocate explique même que le nom « En Marche ! » est une trouvaille familiale. Plus discrets, les deux aînés, Sébastien et Laurence Auzière, se laisseront aussi convaincre d’apparaître dans les derniers meetings de campagne.

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1

Philippe Besson, op. cit.

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2

Marc Endeweld, op. cit.

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3

Entretien avec l’auteur, le 11 septembre 2017.

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4

Entretien avec l’auteur, le 30 août 2017.

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5

Entretien avec l’auteur, le 4 octobre 2017.

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6

« Le phénomène Brigitte Macron », L’Obs, le 25 mai 2017.

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7

Entretien avec l’auteur, le 4 octobre 2017.

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8

Nicolas Prissette, op. cit.