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Brigiiiiiiiiiitte !

Les conseillers les plus réticents ne peuvent nier sa popularité, depuis les meetings où elle est aussi scrutée que le candidat, aux rues qui résonnent de « Brigiiiiiiitte » sur son passage. Un engouement qu’a pu mesurer Marlène Schiappa. Engagée très tôt auprès d’Emmanuel Macron, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes a suivi toute la campagne. « Où que j’aille, de nombreuses femmes me parlaient d’elle, nous raconte-t-elle. Je me souviens de l’une d’elles qui, après un meeting, m’avait dit être déprimée parce que son mari l’avait quittée et qu’elle avait du mal à retrouver du travail à plus de cinquante ans… Et elle m’a expliqué qu’au milieu de tout cela, Brigitte Macron lui redonnait le sourire, car c’est une femme inspirante, libre, qui choisit sa vie. Des témoignages comme ça, j’en ai reçu des dizaines, de femmes qui se projettent et ont tissé un lien affectif avec elle[17]. » Les selfies, c’est à elle qu’on les réclame souvent. On lui demande parfois même de dédicacer le livre de son mari, Révolution. Tout en signalant qu’elle ne l’a pas écrit, elle s’exécute, sourire aux lèvres. Elle a tant relu ces pages, les a tellement corrigées, qu’elles sont un peu à elle aussi… Et puis de toute façon, « Brigitte, c’est moi. Et moi, c’est elle », comme aime à le rappeler Emmanuel Macron. Sur un plan personnel, mais aussi désormais professionnel.

Après quelques semaines de discrétion, elle reprend donc pleinement sa place. Officiellement, elle n’est que l’épouse du candidat. Celle qui s’inquiète de son look et va choisir pour lui dans le Sentier ses costumes à « 340 euros, retouches comprises » chez Jonas et Cie. « Le costume, il est niqué ? », s’enquiert-elle tout de suite lorsque Emmanuel Macron reçoit un œuf au Salon de l’agriculture. Elle se fait aussi garante de son régime alimentaire, lui interdisant de « manger des saloperies ». « Bon d’accord, donnez-moi de l’eau[18] ! », s’exécute le futur président, lorsque sa femme lui refuse des chocolats après le débat du 20 mars. Pendant toute la campagne, elle veillera enfin sur son agenda, l’allégeant dès que possible – « c’est trop short ! », répète-t-elle – et s’assurant qu’il ne prend pas de retard sur son planning. « Après un meeting, à Dijon, ils étaient pour une fois parfaitement dans le timing. Ce qui est rarissime avec Emmanuel Macron[19] !, raconte le journaliste Bertrand Delais, qui a suivi le couple des mois durant pour réaliser le documentaire Emmanuel Macron, en marche vers l’Élysée. « Lui a alors voulu rester discuter car il se disait en avance, ce à quoi elle a répondu : “Non, on est à l’heure. Être en avance, c’est un truc que je n’ai jamais vécu avec toi.” » Certes, elle ne parvient pas à lui imposer les plages de déconnection numérique dont elle serait partisane ; mais, pour le reste, Brigitte Macron obtient gain de cause. « Il faut que je sois là, quand même, pour qu’il mange correctement, dorme suffisamment[20] », justifie-t-elle. Une attention qu’elle accorde d’ailleurs à d’autres, selon le récit que nous fait Ahmed Eddarraz. Ce buraliste de Millau, très tôt engagé dans En Marche !, a rencontré Brigitte Macron en août 2016, lors de la visite par le couple du musée Soulages de Rodez. Entre eux, l’amitié a été immédiate et à la demande de Jean-Marie Girier, le directeur de campagne d’Emmanuel Macron, il l’a ensuite accompagnée pendant neuf mois, dans tous ses déplacements. « C’était une maman avec l’équipe, précise-t-il. Je me rappelle l’un de nos premiers voyages. Elle m’avait demandé de lui parler de ma famille, et nous avions appelé mes parents pour qu’elle leur dise un mot. Elle s’intéresse sincèrement aux autres. De même, lors des repas, elle se refusait à manger tant que tout le monde n’était pas servi. C’était assez surréaliste de voir la future première dame avec un risotto à moitié froid. Mais elle s’adapte à tout, et veillait surtout à ce que chacun se sente bien[21]. »

Mais les missions de Brigitte ne s’arrêtent pas là. Bien qu’absente de l’organigramme, elle est une collaboratrice à part entière. Et si elle n’a pas de bureau au QG d’En Marche !, les « helpers » l’y ont vue chaque jour. « Elle n’a jamais eu de rôle officiel parce qu’elle n’en voulait pas, explique Bertrand Delais. Mais elle est indispensable à Emmanuel, et il le sait. Il le pense comme cela. Il l’associe à toutes les choses qu’il considère importantes[22]. » La « reine du débriefing », comme elle se surnomme, est plus que jamais à l’œuvre. La place de choix en réunion ? C’est à côté de Brigitte, pas de son mari, raillent même certains. Celle qui s’était engagée pour « préserver leur vie à deux » est surtout une conseillère très écoutée. Elle est ainsi impliquée dans le processus de recrutement, s’entretenant de plus en plus souvent avec les candidats à l’embauche. Officiellement, pour avoir « un feeling avec l’équipe », comme le disent les communicants d’En Marche !. Mais son influence dépasse tout de même le simple « feeling », lorsqu’elle déjeune par exemple avec les futurs ministres Jean-Michel Blanquer et Françoise Nyssen. Ou qu’elle s’improvise chasseuse de têtes avec Jean-Paul Delevoye, ancien ministre chiraquien puis médiateur de la République. Assise à ses côtés lors du meeting lillois du 14 janvier 2017, elle lui glisse qu’ils auraient « besoin d’un homme comme lui » pour gérer les futurs élus En Marche !. Deux semaines plus tard, cet ancien élève de La Providence devient officiellement le « Monsieur Législatives » d’Emmanuel Macron. Voilà une case de plus à cocher sur les « listes de courses » remises à Brigitte par son mari, pleines de livres à lire ou de gens à rencontrer pour lui.

Autre champ d’action : les discours. Emmanuel Macron s’est jadis rêvé acteur, s’inscrivant pendant ses études parisiennes à la classe libre du cours Florent et passant même des castings de cinéma. Il a toutefois besoin d’être mis en scène. « C’est trop long », « marque les étapes », « on ne voit pas le cheminement », « je me suis ennuyée », « monte ta voix »… Plus de vingt ans après L’Art de la comédie, Brigitte redevient sa prof de théâtre, qu’il cherche du regard en montant sur scène. Sa correctrice, également, s’efforçant de simplifier ses propos. « Si je ne comprends pas, personne ne comprendra », a-t-elle pris l’habitude de lui dire lorsqu’il enchaîne les concepts trop obscurs. Allô Jupiter ? Ici la Terre. « Il est très intellectuel, résume Bertrand Delais. Elle l’aide à vulgariser sa pensée, à être le plus accessible possible[23]. » Celui qu’elle a comparé au fil de la campagne à Jeanne d’Arc, Jésus et Ségolène Royal a besoin d’un modérateur. Et ce rôle-là, elle seule peut le tenir.

En marche rapide

Un lien avec la réalité qu’elle lui assure aussi par sa présence sur le terrain. Pendant des mois, elle va jouer les « éponges », comme elle se qualifie elle-même, en multipliant les discussions dans les déplacements de campagne. « Elle n’a jamais cherché à devenir une conseillère occulte. En revanche, elle a eu un rôle politique indirect en recueillant l’humeur des Français, analyse Philippe Besson. C’est elle dont ils criaient le prénom et qu’ils allaient voir. Les choses intéressantes, ils les ont dites à Brigitte, et elle ne les a jamais traitées à la légère. Chaque soir, elle répercutait à son mari ces colères et ces espoirs[24]. » Les anonymes ne seront pas les seuls à lui demander de passer des messages. Ainsi, Marc-Olivier Fogiel aurait évoqué avec elle la question de la PMA. « Si je devais écrire un livre, cela s’appellerait “Vous le direz à votre mari !” », plaisante-t-elle souvent. Une position qu’elle a elle-même favorisée en développant son propre agenda. « Ce n’est pas une oisive dans l’âme, explique Bertrand Delais. Et puis elle voulait être utile. Je pense que cela lui permettait aussi de mieux vivre le stress de cette période[25]. » Première dame dès la campagne, Brigitte Macron déroule son programme, distinct de celui du candidat : en marge de nombreux déplacements, elle prend rendez-vous avec des associations. Certaines choses se disent plus facilement à une femme, justifie l’équipe d’En Marche !. Le 17 février 2017, à Carpentras, elle préfère ainsi rencontrer l’équipe de Rhéso, une association d’aide aux femmes victimes de violences, plutôt qu’écouter le discours prononcé par son mari à la mairie. « J’ai découvert pendant la campagne la souffrance des autres, admet-elle. Ils se disent que je vais peut-être pouvoir faire quelque chose pour eux, alors ils me parlent assez librement[26]. » Ahmed Eddarraz a été le témoin de ces dialogues. « Je me souviens par exemple d’un moment très fort, à Lyon, dans un centre de cancérologie. Elle était très sensible à la chose, ses yeux brillaient, des larmes en coulaient même parfois. Une visite à une association de femmes africaines, à Bordeaux, a également été une expérience marquante. Mais elle tenait toujours à le faire sans caméras[27]. » Une manière de « prendre le pouls » sans pression médiatique, pour ses hôtes comme pour elle. « À Marseille, elle a aussi voulu aller à la cité Félix-Pyat », reprend Ahmed Eddarraz. Située dans le quartier de Saint-Mauront, il s’agit de l’une des cités les plus pauvres de France. « L’une de ses amies vit là-bas et voulait lui montrer les problèmes de ce quartier, pour qu’elle en parle à son mari. Nous nous y sommes rendus à trois, sans escorte ni médias. Au début, les habitants ont été très surpris en la reconnaissant. Mais ils ont été ravis de lui parler. Les gens étaient de toute manière toujours contents de sa venue car elle n’est pas dans le jugement et elle les écoutait longtemps, refusant les passages éclair[28]. »

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17

Entretien avec l’auteur, le 15 septembre 2017.

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18

Une scène du documentaire Emmanuel Macron. Les coulisses d’une victoire, de Yann L’Hénoret, 2017.

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19

Entretien avec l’auteur, le 1er septembre 2017.

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20

Gaël Tchakaloff, op. cit.

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21

Entretien avec l’auteur, le 1er novembre 2017.

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24

Entretien avec l’auteur, le 11 septembre 2017.

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25

Entretien avec l’auteur, le 1er septembre 2017.

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26

Alix Bouilhaguet, op. cit.

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27

Entretien avec l’auteur, le 1er novembre 2017.