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« Elle n’a fini par admettre que tardivement qu’elle risquait de devenir première dame », se souvient Philippe Besson. « Elle a alors lu quelques livres sur le sujet et a été saisie d’inquiétude[34]. » Au cœur de la campagne, elle avoue même à l’écrivain que « s’il échoue, ce n’est pas un drame. La vie continuera ». Le 7 mai, elle se trouve néanmoins à ses côtés pour attendre les résultats. « Quand j’ai vu le visage d’Emmanuel apparaître à la télévision, j’ai pris conscience et là… l’inquiétude », confie-t-elle. Un sentiment qui la poursuit ce soir-là quelques heures. « J’étais au Louvre et je le voyais avancer… J’étais totalement saisie, c’était comme un dédoublement. Et puis, mes enfants sont venus me chercher : « Bon, il faudrait peut-être que tu montes. » J’ai dit : « Non, non, je reste en bas. » […] J’avais envie de pleurer[35]. » Malgré ce vertige des sommets, elle va pourtant devoir se remettre en marche : on l’attend à l’Élysée.

LA VIE DE CHÂTEAU

« Ce soir, comme ma sœur Marguerite, j’entre dans les ordres. » Le 19 mai 1974, Anne-Aymone Giscard d’Estaing vient d’apprendre que son mari a conquis l’Élysée. Et, en cet instant précis, sa joie semble somme toute assez mesurée… L’intuition initiale se confirmera chaque jour un peu plus. Son envie, après être devenue première dame ? « Ne plus l’être ! », comme elle l’avouait elle-même. À croire qu’il règne sur le palais une forme de fatalité. Car Anne-Aymone Giscard d’Estaing n’a pas été la seule à se sentir prisonnière de ces lieux, qu’elle n’habitait pourtant pas. « Nous voilà donc en meublé ! », s’était écriée avant elle Yvonne de Gaulle. D’autres seront plus sévères encore. Pendant cinq ans, Claude Pompidou y a vu un « couvent », une « prison », ne consentant à dormir dans cette « maison du malheur » que deux nuits par semaine, pour mieux se retrancher le reste du temps dans son appartement privé de l’île Saint-Louis… Danielle Mitterrand, elle, avait choisi de ne pas s’y installer du tout, un exemple suivi par Cécilia puis Carla Sarkozy. Cette dernière avait été bien conseillée par Bernadette Chirac qui lui avait enjoint de fuir « ce palais de glace où tout se sait », forte des douze années passées à y batailler. La chanteuse ne vivra néanmoins pas bien ses quatre années de règne, même à distance. « L’Élysée ? Je suis heureuse que ce soit terminé », aurait-elle assené à Valérie Trierweiler, le jour de la passation de pouvoir entre Nicolas Sarkozy et François Hollande[1]. « Une période trop difficile », poursuit alors Carla Bruni. « J’avais envie de me terrer pour échapper à la méchanceté et la brutalité des photographes et de la presse qui ciblaient mes moindres gestes. Ils n’attendaient qu’un faux pas de ma part. Trop de cruauté. » La journaliste le mesurera pleinement, finissant par haïr ce « lieu écrasant ». Un mal-être que nous résume le journaliste Robert Schneider, auteur d’un ouvrage sur le sujet, Premières Dames[2] : « La grande difficulté est qu’elles se retrouvent isolées, et souffrent d’un sentiment d’enfermement. Le tout, avec un mari qui devient lui-même plus distant par la force des choses, parce que très pris. Globalement, toutes disent avoir mal vécu les années passées au pouvoir[3]. » Bienvenue à l’Élysée, un véritable château de conte de fées !

La fatalité de l’Élysée ?

En y arrivant, le dimanche 14 mai 2017, Brigitte Macron connaît bien ces écueils. Son mari lui a tout raconté de cet endroit corseté. Pendant les deux ans qu’il y a passés comme secrétaire général adjoint de la présidence, il s’était efforcé d’en détendre l’ambiance, enchaînant par exemple un jour vingt pompes pour amuser ses collègues. Mais il sait bien que François Hollande n’a pas aimé y vivre, lui qui voulait initialement rester, « normalement », dans son appartement du XVe arrondissement. Pendant la campagne, l’ex-enseignante s’est en outre documentée, parcourant les ouvrages sur celles qui l’ont précédée. « Elles n’y ont pas été très heureuses ! », lance-t-elle à ses proches. Et au cas où elle n’aurait pas complètement imprimé, quelques bonnes âmes la mettront en garde sur les cinq ans de malheur qui l’attendent. « Madame Macron, soyez prudente », lui glisse un passant le 11 juin, au Touquet, où elle est venue voter au premier tour des législatives. « Parce qu’il y a une malédiction à l’Élysée, vous savez ? Les premières dames disparaissent quelques mois après l’élection. » Cécilia Sarkozy et Valérie Trierweiler ne s’y sont en effet pas éternisées… « Ouh là là, on va conjurer ! », lui répond en riant la nouvelle venue. Brigitte Macron ne compte pas se laisser hanter par les spectres du palais. Dès l’élection, elle n’a pas hésité à quitter l’appartement qu’elle louait avec son mari dans le VIIe arrondissement – après la vente de leur bien du XVe, fin 2015, pour près d’un million d’euros. Et elle s’est installée, apparemment avec enthousiasme, dans les 300 m2 du logement présidentiel. « J’ai plutôt senti l’empreinte des femmes qui y ont vécu et je pense qu’elles ont aussi connu des moments heureux ici[4] », raconte-t-elle, trois mois après son emménagement… boostée sans doute par la conviction que « l’inquiétude nous permet aussi d’apprécier les moments de bonheur ».

Elle le dit elle-même : si elle a accepté de poser ses valises au 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, c’est pour s’assurer de voir son époux. Après avoir quitté l’enseignement pour l’assister à Bercy, elle n’allait pas surjouer l’indépendance ! « Cela nous permet de nous voir dans la journée, entre deux rendez-vous, et d’être ensemble pour dîner presque tous les soirs lorsque nous n’avons pas d’obligations particulières[5] », explique-t-elle. Et quitte à être là, elle va embrasser pleinement le rôle de maîtresse de maison. Dans les jours suivant son installation, elle a en effet rencontré chacun des services de l’Élysée. Cuisines, standard, intendance, crèche… Tous ont reçu, ravis, la visite de la nouvelle première dame. Il faut dire qu’après Bernadette Chirac, personne ne s’était vraiment penché sur leur travail – des non-résidentes Cécilia et Carla Sarkozy à la fantomatique « deuxième dame » Julie Gayet. La grosse machine élyséenne « tourne parfaitement » de toute façon, comme Brigitte Macron le dit à ses proches. La preuve : elle n’a pas eu besoin de briefer le chef Guillaume Gomez sur les goûts de son mari. En découvrant l’appétit présidentiel pour les cordons-bleus, le cuisinier aurait pris l’initiative d’en servir dans les cocktails élyséens, en version miniature. Ici, le rôle d’hôtesse n’est pas le plus compliqué à tenir…

S’approprier l’endroit – 11 179 m2 de surface exploitée tout de même – peut en revanche s’avérer difficile. Spécialiste de cette question, la psychothérapeute Christine Ulivucci[6] nous l’explique. « L’Élysée est un lieu professionnel, mais pas neutre. Il est investi par un poids historique, et par quelque chose de l’ordre de la représentation et de la transmission. Il n’est donc pas aisé d’en prendre possession. » Du général de Gaulle qui l’occupait comme un appartement de fonction jusqu’à François Hollande pour qui c’est « un décor de théâtre », les présidents ont souvent rechigné à le personnaliser. « La difficulté est double pour une première dame, poursuit Christine Ulivucci. Ce n’est ni son lieu d’habitation, ni son lieu d’investiture. Malgré une marge de manœuvre assez réduite, il reste toutefois important d’insuffler un nouvel esprit qui corresponde à sa personnalité[7]. » Brigitte Macron va s’y atteler très vite… Imaginant sans doute qu’elle serait la gardienne d’une rénovation de grande ampleur. Fissures aux murs, rongeurs au sol (les équipes de Nicolas Sarkozy avaient déploré la présence de souris, outre la saleté des lieux et l’odeur de cigarette) : le palais n’est pas un palace ! Et au-delà de l’aspect esthétique, les infrastructures manquent cruellement de modernité. Électricité, plomberie, sécurité incendie… De grands travaux avaient même été budgétés et encouragés par la Cour des comptes, pour la préservation du patrimoine national. Pourtant, en octobre, Emmanuel Macron a finalement renoncé, refroidi par le devis de cent millions d’euros établi pour la réfection des résidences présidentielles.

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34

Entretien avec l’auteur, le 11 septembre 2017.

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35

Elle, « Appelez-moi Brigitte », op. cit.

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1

Une scène rapportée par Patrice Biancone, ex-chef de cabinet de Valérie Trierweiler, dans La Malédiction de l’Élysée, Le Cherche Midi, 2017.

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2

Aux éditions Perrin, 2014.

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3

Entretien avec l’auteur, le 25 septembre 2017.

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4

Elle, « Appelez-moi Brigitte », op. cit.

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5

Joëlle Chevé, L’Élysée au féminin de la II e à la V e République, Éditions du Rocher, 2017.

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6

Auteur de Psychogénéalogie des lieux de vie. Ces lieux qui nous habitent, Petite Bibliothèque Payot, 2010.

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7

Entretien avec l’auteur, le 14 septembre 2017.