La métamorphose, ce ne sera donc pas pour tout de suite. Mais, en attendant, Brigitte s’est immédiatement attachée à relooker l’ancien hôtel d’Évreux. Exit, les vieilles tapisseries inchangées depuis les années 1950, les lourdes tentures de la salle des fêtes et les tapis ringards. « J’ai fait retirer les bergères et les moutons ! », s’amuse-t-elle à lancer à ses conseillers. Avant même l’été, elle se rendait d’ailleurs au Mobilier national et à la manufacture des Gobelins, puis au Fonds national d’art contemporain, pour sélectionner quelques pièces plus modernes. Tapis et tapisseries d’artistes comme Hans Hartung et Pierre Alechinsky, table de travail en béton gris… Assistée par le chef du protocole José Pietroboni, elle a commencé à revisiter les lieux, comme l’avait fait à son époque Claude Pompidou. Elle a également commandé un nouveau service de table à la manufacture de Sèvres. « L’Élysée a une histoire ancienne, mais il n’est pas figé dans le temps, explique-t-elle. J’ai fait ma part des changements et j’ai surtout souhaité libérer les fenêtres d’un trop-plein de tentures épaisses qui assombrissaient les salons. La lumière y pénètre désormais beaucoup plus et la vue sur les jardins est moins occultée[8]. » Une façon de se sentir un peu plus chez elle. « Un lieu d’habitation est comme une seconde peau, un miroir, insiste Christine Ulivucci. On va y projeter ce que l’on est ou ce que l’on aimerait être[9]. » La démarche d’appropriation est d’autant plus importante que, pour le reste, la première dame n’est plus vraiment dans son élément…
Elle qui a toujours tenu à sa liberté, et jurait vouloir conserver une vie normale, a dû en admettre l’impossibilité. Oubliées, les petites sorties incognito, avec son déguisement de choc – des lunettes et un bonnet. Désormais, ses officiers de sécurité l’accompagnent où qu’elle aille. Des contraintes qu’elle a commencé à intégrer pendant la campagne, lorsque sa maison du Touquet a dû être sécurisée. De quoi créer des tensions avec certains voisins, exaspérés par la présence des deux fourgons de CRS postés en permanence devant et derrière la villa Monéjan. « C’est devenu une avenue de pèlerinage ici, déplore-t-on au Algy’s Bar, juste à côté. Et avec les CRS, les automobilistes ne peuvent pas s’arrêter pour venir acheter des cigarettes. » Pour d’autres, le problème émane surtout du défilé oppressant de policiers lourdement armés. À la suite de plaintes, ceux-ci ont été priés pendant quelques semaines de patrouiller discrètement, et de laisser leurs fusils d’assaut dans leur voiture ! En cas d’attaque, ils n’auraient qu’à aller les y chercher…
Depuis l’élection, le couple a dû abandonner sa résidence secondaire : située dans l’ultra-commerçante avenue Saint-Jean, elle est impossible à protéger. Et les Macron se sont alors mis en quête d’une maison – à louer selon certains, à acheter pour d’autres – dans le quartier beaucoup plus tranquille de La Forêt. Sans succès pour l’instant. De toute façon, ils n’auraient plus le loisir de suivre leur routine touquettoise. Manger au Ricochet, où ils avaient leurs habitudes – foie gras pour madame, couteaux gratinés pour monsieur, et un dessert au chocolat à partager ? Ce n’est plus possible. « On ne les verra plus pendant cinq ans, c’est sûr. Avec toutes les vitres qu’il y a dans notre restaurant, ce serait trop compliqué à sécuriser, regrettent Sébastien Deletoille et Mickaël Thomas, les patrons de l’établissement. C’est dommage parce que ce sont des clients très sympas, et surtout beaucoup plus polis que la moyenne. Ils ont toujours un mot pour chacun, attendant par exemple que les gens des cuisines remontent pour leur dire au revoir à la fin du repas[10]. »
Une habitude dont il faudra se passer pendant le quinquennat. Si Brigitte Macron assure qu’elle ne se laissera jamais enfermer, elle a dû accepter de limiter ses sorties… Le danger est bien réel, elle n’a pas tardé à le découvrir. Il y eut tout d’abord les différents courriers de menaces. Ainsi, cette missive envoyée mi-mai au commissariat voisin de l’Élysée, contenant une photo d’Emmanuel Macron avec un trou au milieu du front et un message en arabe prédisant sa mort deux mois plus tard. Ou encore les lettres inquiétantes adressées à Brigitte. Ses deux auteurs – un couple – seront reconnus comme souffrant de paranoïa aiguë, après leur interpellation le 18 octobre. Dix jours plus tôt, un homme avait été arrêté alors qu’il photographiait La Lanterne, résidence secondaire des chefs d’État français, où les Macron aiment à passer leurs week-ends. Dans l’appareil de l’individu, les policiers trouvèrent aussi des clichés de l’Assemblée nationale et de façades de gares. Des incidents pris très au sérieux, dans un contexte de renforcement de la sécurité présidentielle : à la rentrée 2017, une cinquantaine d’agents supplémentaires étaient mis à leur service et des plots rétractables étaient installés à l’entrée de l’Élysée, pour limiter la possibilité d’un attentat kamikaze…
Cette haute surveillance a été étendue à la famille de Brigitte. Dès la fin mai, La Voix du Nord constatait que des policiers effectuaient des patrouilles autour de l’école fréquentée par les enfants de Tiphaine Auzière. « S’ils ont pris cette décision, c’est qu’ils l’estiment nécessaire », commentait alors la jeune femme. Quelques jours plus tard, elle-même était placée sous protection : en pleine campagne des législatives, l’avocate – alors suppléante de Thibaut Guilluy, candidat LREM au Touquet – avait reçu des menaces. Sa sœur Laurence a elle aussi vu sa sécurité accrue à Fontenay-sous-Bois. Depuis mai 2017, Brigitte Macron a donc largement mesuré combien la victoire de son mari a modifié l’existence de ses proches. Son fils, pourtant très discret, s’est lui aussi retrouvé au centre de l’actualité, à son corps défendant : fin septembre 2017, Sébastien Auzière était « accusé » sur les réseaux sociaux de diriger l’Ifop, qui venait de publier un sondage donnant la popularité du président en hausse de cinq points. Raté ! L’information était fausse : oui, le beau-fils d’Emmanuel Macron est bien statisticien. Mais il œuvre depuis dix ans dans le domaine de la santé, au sein de la société d’études d’opinion Kantar Health dont il est aujourd’hui le vice-président. Et même avant cela, point d’Ifop sur son CV, lui qui a commencé sa carrière à l’Institut français de la mode.
Des controverses et ajustements évidemment difficiles à admettre pour la première dame. Elle était décidée à déjouer le pronostic de Valérie Trierweiler, qui avait prédit sur France Bleu qu’elle ne serait « plus libre de rien ». Et en début de quinquennat, elle a donné quelques sueurs froides à son service de sécurité, comme le 25 mai, lorsqu’elle s’était offert un bain de foule improvisé dans le centre de Bruxelles avec Amélie Derbaudrenghien, la compagne du Premier ministre belge. Autant dire que, même à l’Élysée, elle souhaitait poursuivre une vie conjugale et familiale la plus normale possible. En octobre 2017, elle insistait par exemple pour emmener son époux au spectacle, comme avant. Au programme, Bouvard et Pécuchet au Théâtre de la Ville et Le Tartuffe à celui de la Porte Saint-Martin. Alors certes, ces deux sorties n’étaient pas tout à fait classiques : le couple était « infiltré » dans une loge, après le début de la pièce, et il en partait avant la fin. Mais Brigitte Macron tient à conserver un semblant de liberté. Quelques semaines auparavant, elle avait même assisté, en douce, à la rentrée de l’un de ses petits-enfants ! Le 3 août, c’est aussi avec deux d’entre eux – les aînés de sa fille Laurence – qu’elle était partie en repérage à la SPA d’Hermeray, pour adopter un chien. « Elle était très attentive – comme ses petits-enfants – à ce que l’on a pu lui expliquer sur le sort de tous ces animaux abandonnés pendant l’été[11] », nous raconte Natacha Harry, présidente de la Société protectrice des animaux. Avec un critère de choix essentiel : « Elle voulait un chien qui soit gentil avec les enfants et les autres animaux de son entourage familial. » Trois semaines plus tard, les Macron reviendront choisir un labrador croisé griffon noir qui avait été abandonné du côté de chez François Hollande, à Tulle. Ce sont les débuts élyséens de Marin, aussitôt rebaptisé Nemo pour cause d’année des « N » (et de passion présidentielle pour Vingt Mille Lieues sous les mers).