Une façon de ne pas mordre sur le territoire de Marlène Schiappa ? Celle-ci balaie cette question. « Pour moi, ce que fait Brigitte Macron est primordial. Elle est vraiment engagée, nous donne des recommandations. Et elle mesure très bien l’air du temps, nous explique-t-elle. Non seulement, on n’est pas en concurrence, mais c’est moi qui sollicite son implication et lui demande que l’on travaille ensemble. Elle a une aura et son engagement soutient les causes que l’on veut mettre en lumière[12]. » Sur le thème du handicap, Sophie Cluzel témoigne dans le même sens : « Elle veut rester discrète, juge-t-elle. Elle reçoit énormément de courrier sur ce sujet. C’est à elle que les Français écrivent. Elle s’implique beaucoup. Mais elle sait que, lorsqu’elle fait un déplacement, elle risque d’éclipser le cœur du sujet. Pour éviter cela, elle le fait loin des médias[13]. » Sauf que cette clause de non-concurrence n’est pas forcément évidente pour tous. Et certains responsables d’associations expliquent avoir parfois du mal à déterminer quel est leur interlocuteur, entre la première dame et le ministre concerné par leur action. « C’est sûr que sans rôle prédéfini, on ne sait pas si l’on peut s’adresser à elle, admet Olivia Cattan. C’est un peu compliqué. On s’est tous mis à harceler Brigitte Macron, que l’on avait rencontrée avant les élections, pour apprendre que ce n’est pas elle qui gère tel ou tel dossier. Ces barrières-là, il est difficile de les accepter pour des associations[14]. »
Pourtant, ses déjeuners avec différents ministres – Sophie Cluzel, Marlène Schiappa, Jean-Michel Blanquer et Françoise Nyssen –, quelques jours seulement après leur prise de fonction, semblaient indiquer un engagement politique plus qu’associatif. Renforçant pour certains l’image de cette « vice-présidente » que Valeurs actuelles mettait en couverture le 20 juillet 2017. « La première dame se fait plus discrète depuis qu’elle a pris possession de l’Élysée. Elle n’en est pas moins influente auprès du chef de l’État », affirmait l’hebdomadaire. « Au point d’être crainte des ministres et des conseillers qui redoutent sa liberté. » Le domaine dans lequel son intervention serait la plus grande ? L’éducation bien sûr. Pendant toute la campagne, l’ex-enseignante a distillé ses idées en la matière : le dédoublement des classes de CP et CE1 en zones défavorisées, l’envoi à mi-temps de profs expérimentés dans des lycées difficiles, la réintégration de La Fontaine dans les programmes… « Tout se fait à l’école », a-t-elle l’habitude de rappeler. Et offrir aux jeunes « autre chose que la cage d’escalier » est devenu dans ses rares interviews une vraie priorité du quinquennat. Est-elle l’éminence grise d’Emmanuel Macron sur le sujet ? On peut le penser en effet. Dans l’arrêté du 15 mai 2017 composant le cabinet présidentiel, sur les quarante-trois conseillers nommés, figurait d’ailleurs Thierry Coulhon à l’Enseignement supérieur, la Recherche et l’Innovation… mais personne à l’Éducation.
De son influence intellectuelle sur Emmanuel Macron à son implication dans la campagne, tout porte à croire en son rôle politique. Lorsque la journaliste Laurence Masurel lui adresse son livre, La France est ingouvernable, la première dame donne même du « nous » dans sa réponse. « Vous le savez, nous sommes prêts à relever tous les défis[15] », aurait-elle écrit. Un engagement que ses proches mettent parfois en exergue tout naturellement. « Elle est simple, facile d’accès, tout l’opposé de ce que certaines femmes politiques sont[16] », juge Patrick Toulmet. Une « femme politique », le mot ne semble pas trop fort au soutien d’Emmanuel Macron. « Elle fait du bien à la classe politique, poursuit-il. C’est une femme de terrain et elle est très cash. Sur le sujet du handicap, elle a parfois pu corriger certaines personnes en disant “voilà ce que l’on compte faire, voilà ce que l’on fera”. Elle va faire bouger les lignes. »
Mais elle se fixe cependant une limite : ne pas gêner celui qu’elle qualifie de « plus beau président de la Ve République ». « Ce que je souhaite plus que tout, c’est ne jamais lui porter préjudice, c’est mon obsession. Si je sens un jour que ma présence est compliquée pour sa présidence, je m’effacerai[17] », anticipe-t-elle. « On sent une vraie gravité en elle, une crainte de ne pas réussir et une volonté de ne jamais nuire à son mari[18] », explique Ahmed Eddarraz. À ceux qui lui demandent de s’impliquer dans un projet, elle répond d’ailleurs qu’elle doit en parler d’abord à Emmanuel Macron. Elle ne s’engage qu’une fois la « permission » accordée. Mais elle tient ensuite à remplir son rôle, sans se laisser cette fois effacer par les jeunes conseillers présidentiels. Et cela, les ministres d’Édouard Philippe le savent, eux qui parlent si fréquemment de Brigitte Macron lorsque aucun responsable politique n’évoquait par exemple Carla Bruni…
C’est que la nouvelle première dame ressemble peu à la chanteuse. Les deux femmes s’apprécient pourtant. Brigitte a admiré la retenue de Carla à l’Élysée et lui a demandé des conseils pendant la campagne, Carla a envoyé un message de félicitations à Brigitte dès l’élection de son mari et la qualifie de « femme gentille, chaleureuse et humaine, facile à aimer[19] »… Mais pour le reste, elles n’ont pas le même style. « Non, Brigitte Macron ne sera pas Carla Bruni, qui a presque disparu en dehors des voyages à l’étranger[20] », décrypte l’auteur de Premières Dames, Robert Schneider. Plus proche de Cécilia alors ? Leur influence à Bercy, leur implication, leur côté people… Certaines similitudes existent. L’ex-Mme Sarkozy avait d’ailleurs souhaité avant les autres un statut de la première dame. Mais Brigitte Macron écarte la comparaison : « Elle était chef de cabinet. Elle avait un rôle sur le fond. Avec Emmanuel, ce n’est pas du tout moi qui fais ça[21] ! » Robert Schneider propose une autre analyse. « Nicolas Sarkozy avait besoin d’elle, comme Emmanuel Macron recherche la présence de sa femme. Mais la vraie différence est que Brigitte Macron n’a pas envie d’exister en s’opposant. Il est évident qu’elle ne veut pas gêner son mari. » La diplomatie parallèle d’une Danielle Mitterrand, l’ambition électorale d’une Bernadette Chirac ou les tweets embarrassants d’une Valérie Trierweiler ? Peu de chances qu’elle s’y risque… Sans pour autant tomber dans l’ultra-discrétion d’Yvonne de Gaulle, dont les tentatives d’analyses politiques recueillaient inlassablement un « laissez, vous n’y connaissez rien » du Général, ou dans l’invisibilité de Julie Gayet. Pour certains proches, Brigitte Macron serait plutôt « la nouvelle Claude Pompidou », amie des arts et des lettres. Ce n’est sûrement pas un hasard si elle a choisi pour directeur de cabinet Pierre-Olivier Costa qui, avant d’intégrer l’Hôtel de Ville, avait œuvré au Centre Pompidou pendant près de quatre ans puis au CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) huit mois durant. La première dame ne s’en cache pas : elle souhaite faire entrer les artistes à l’Élysée. En y organisant des représentations tout d’abord, comme ce concert donné par Renaud Capuçon le 4 octobre. En appuyant aussi le rôle qu’ils pourraient jouer au sommet de l’État. Elle avait ainsi fait découvrir à Emmanuel Macron la prose de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, devenue depuis sa représentante personnelle pour la francophonie. On dit même que l’auteur de Chanson douce aurait refusé le poste de ministre de la Culture, ce qu’elle ne dément pas.
15
D’après un article du