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Certains laïcs ont intégré le corps professoral du Sacré-Cœur dans les années 1960, mais l’essentiel des cours est encore assuré par des religieuses. Une mère supérieure, que l’on nous dépeint comme charismatique bien que peu chaleureuse, est à la tête de l’école. Au programme, deux séances de confession hebdomadaires, mais surtout une messe quotidienne. Chaque matin, le rituel est immuable : les jeunes filles se retrouvent devant l’immense chapelle de l’école – qui a depuis été transformée en gymnase ! Au premier signal, on se met en rang ; au second, on entre à l’office, la tête recouverte d’un voile gris. Les sœurs sont déjà à leur place, agenouillées. Une éducation que la première dame qualifie de « serrée », et qui l’a oppressée. Elle n’en a bien sûr pas été traumatisée, elle qui a fait ensuite toute sa carrière de prof dans des structures privées et religieuses. Mais elle indique tout de même en porter certains stigmates : « J’ai été élevée dans la religion, donc dans la peur, confesse-t-elle. La peur m’est restée[10]. » Ainsi, pas de période mystique, comme Emmanuel Macron dit en avoir vécu. Né de parents agnostiques, il avait insisté pour être baptisé à l’âge de douze ans. Brigitte, elle, n’a que peu embrassé la pratique catholique de ses parents, habitués de la messe du dimanche.

Les Macron n’ont de toute façon absolument pas traversé la même adolescence. La fièvre du samedi soir du futur président ? Elle était alors littéraire. Il se montrait sociable, insistent aujourd’hui ses camarades de l’école de La Providence… Mais jamais aussi heureux qu’avec ses bouquins comme principaux compagnons et sa grand-mère « Manette » (dont il a aussi fait sa marraine) pour confidente. Brigitte Trogneux est beaucoup plus liante. Plusieurs amies du Sacré-Cœur évoquent ainsi « la bande à Brigitte », qui s’était formée autour d’elle. « C’est vrai qu’elle attirait et nous fédérait, confirme une proche. Il faut dire qu’elle était dynamique, toujours prête à organiser des sorties[11]. »

Vivre pour le meilleur

À partir de 1967, toute cette troupe se retrouve notamment chaque semaine à la patinoire d’Amiens, qui vient d’ouvrir ses portes. Pendant trois ans, Brigitte et ses amies vont porter les couleurs – et la jupette rouge – de l’équipe de patinage artistique de la ville. Après le départ de leur professeur vers un autre club, elles ne poursuivront pourtant pas l’expérience, leur niveau ne leur ouvrant pas des perspectives nationales… Populaire, la jeune fille fait aussi profiter son petit groupe de la liberté qui lui est accordée. Les lettres d’amour que ses copines ne peuvent se faire adresser à domicile, parce qu’elles ont des parents stricts ou qu’elles sont pensionnaires, elles les font envoyer chez les Trogneux. Brigitte jouera les facteurs, distribuant en classe les missives qu’elle a réceptionnées. À en croire les témoignages recueillis, elle n’a alors pas de petit ami très sérieux, mais elle s’impose quand même comme avisée en la matière. « Elle donnait beaucoup de conseils amoureux, sourit Béatrice Leroux. Elle bénéficiait sans doute de l’expérience de ses sœurs[12]. » Dans un monde sans blogueuses beauté, elle apprend aussi à ses amies à se maquiller, comme celles-ci s’en amusent aujourd’hui. « Elle était bonne camarade, souligne l’une d’elles. Et elle gardait le sourire en toutes circonstances[13]. » Pourtant, derrière la joie de vivre, elle n’apprécie guère cette période. Alourdie par ce qu’elle décrit comme une fêlure. « J’ai été très gâtée. Affectivement, socialement, j’avais tout, je ne pouvais me plaindre de rien et, pourtant, j’ai été une adolescente en souffrance[14]. » Cette fan de Baudelaire et des Fleurs du Mal explique voir à cette époque « la mort partout ».

Il faut dire que, dans ses jeunes années, elle l’a côtoyée de beaucoup trop près. En 1961, elle est âgée de huit ans lorsque sa sœur aînée, enceinte, se tue avec son mari dans un accident de voiture. Un an plus tard seulement, c’est sa nièce de six ans qui décède d’une appendicite aiguë. Des deuils qui terrassent évidemment les siens. Sa grand-mère, qui vit avec les Trogneux, ne cessera par exemple de lui demander pourquoi elle n’est pas plutôt partie, elle. Brigitte jouera plus que jamais le rôle de « rayon de soleil de sa famille », comme nous l’explique une camarade d’école. Et elle ne parlera que très peu, même à ses amies intimes, des drames de l’enfance, préférant les diluer dans le tourbillon de son adolescence. « Quelle que soit la manière, tout est bon pour vivre », selon ses propres mots dans les pages de Elle.

Pendant ses années de lycée, où elle entre en 1969, toujours au Sacré-Cœur, elle n’hésite en conséquence pas à profiter du souffle de liberté de l’époque. Elle en a eu un avant-goût en Mai 68, qu’elle a passé en bande, avec ses amies. « C’était très gai, se souvient Béatrice Leroux. Tous les établissements scolaires étant fermés, on se réunissait dans les jardins des unes et des autres, chez mes parents notamment. Entre nous, on ne parlait pas vraiment de politique mais plutôt de l’évolution de la société, de la place des femmes, etc.[15] » Des transformations qui sont perceptibles jusque dans l’enceinte du Sacré-Cœur : à la rentrée, l’enseignement religieux est assoupli, un système de notation par lettres est adopté… Mais, bien plus important, l’uniforme est abandonné ! Une vraie révolution pour les élèves, qui enfilent chaque matin à l’école les robes courtes qu’elles n’ont pas le droit de porter chez elles. Brigitte, elle, n’a nul besoin de se changer au lycée : pour ses tenues comme pour le reste, ses parents la laissent libre. Dernier bouleversement, la mixité et l’arrivée de quelques (rares) garçons dans l’établissement. En terminale, la classe de Brigitte Trogneux en compte deux, que la lycéenne ne va pas ménager. « Lors d’un cours de gym, elle avait caché leurs vêtements, reprend Béatrice Leroux. Ils étaient arrivés au cours suivant très en retard, en tenue de sport et l’air un peu hagard. Elle les a alors fait mariner, avant de leur rendre leurs habits à la fin de l’après-midi. Elle était drôle et très rieuse. »

Au printemps 1972, elle se concentre néanmoins sur la perspective de son bac littéraire – elle a choisi une section A. Direction Le Touquet, pour potasser avec quelques amies. Les révisions seront sérieuses et productives : elle décroche l’examen avec mention très bien. Chez les Trogneux, où peu ont fait des études, l’heure est à la fierté. Cependant, pour Brigitte, il devient surtout urgent d’oublier sa mélancolie dans une nouvelle vie. De réparer un peu ces failles qu’elle ne verbalise alors pas. « Derrière l’entrain décidé, il y a un continent sensible auquel seuls les fragiles ont accès et où ils peuvent se retrouver[16] », écrit d’elle Emmanuel Macron. Mais pour l’heure, c’est auprès d’un autre qu’elle va bientôt conjuguer cette dualité.

NOTRE BELLE FAMILLE

C’est le roman qu’elle a peut-être préféré… Celui que ses élèves se devaient d’aimer. Madame Bovary, voilà une lecture qui a marqué Brigitte Macron. Partage-t-elle certains traits de l’héroïne flaubertienne ? Sans aucun doute, elle l’admet elle-même. En ce début des années 1970, elle recherche à l’évidence comme Emma Rouault « l’anxiété d’un état nouveau », voire une « passion merveilleuse » pour l’emmener loin des carcans qui sont alors les siens. Faire partie de la famille Trogneux ne va en effet pas sans pression. À cette époque, son clan est plus que jamais incontournable dans la bourgeoisie amiénoise. En 1971, son père a créé le CROS (Comité régional olympique et sportif) de Picardie, qu’il préside. Il dirige également la Ligue picarde de tennis. Et plus généralement, il est une figure influente, dont le commerce ne cesse de prospérer. Un business dans lequel aurait pu s’impliquer Brigitte, une fois son bac en poche. Certes, elle ne s’appelle pas Jean, et n’entre pas dans cette tradition « de père en fils » annoncée par une pancarte chez Trogneux. Mais son frère Jean-Claude, qui a pris la tête de l’affaire, lui aurait fait une place. Sauf qu’elle redoute cette existence. Être administratrice de la société familiale – une fonction qu’elle gardera jusqu’en 2007 – lui suffit amplement. En 1972, la jeune femme préfère entamer des études, contrairement à ses aînés. Elle opte pour une filière littéraire, qui va la passionner. Maupassant, Hugo, Rimbaud, Apollinaire… Elle approfondit ces auteurs dont elle explique désormais qu’ils l’ont construite. Une thématique va cependant particulièrement l’intéresser : l’amour courtois, sujet auquel elle décidera de consacrer son mémoire de maîtrise.

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10

Philippe Besson, op. cit.

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11

Entretien avec l’auteur, le 21 octobre 2017.

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12

Entretien avec l’auteur, le 8 novembre 2017.

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13

Entretien avec l’auteur, le 12 novembre 2017.

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14

Portrait paru dans VSD, le 9 septembre 2016.

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15

Entretien avec l’auteur, le 8 novembre 2017.

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16

Dans Révolution, XO éditions, 2016.