Un questionnement sentimental qui commence aussi à l’occuper dans sa vie personnelle. Et si les garçons ne sont pas très nombreux dans son amphithéâtre, elle a l’embarras du choix parmi les fils des grandes familles locales. Sa sœur aînée, Annie, a par exemple épousé Gérard Boulogne, propriétaire d’une importante entreprise de sanitaire, chauffage et climatisation. Monique, onze ans de plus que Brigitte, a, elle, choisi Jean-Claude Gueudet, héritier de l’un des plus gros distributeurs automobiles de France. Dans son entourage, on s’attend donc à la voir suivre ce schéma. Elle a du succès et côtoie depuis toujours les beaux partis de la ville : ce sont les frères et les cousins de ses copines du Sacré-Cœur. Mais elle rêve d’autres horizons que ceux de la bourgeoisie du cru. Et elle a envie de voir plus loin qu’Amiens, cette « ville de province qui entretient un double complexe, vis-à-vis de Paris et de Lille, comme la décrit un autre enfant du pays, Laurent Delahousse. Une ville dans laquelle on n’a pas de raison de s’arrêter et qui, c’est tout un symbole, n’a pas eu le TGV[1]… »
C’est au Touquet que Brigitte va rencontrer André-Louis Auzière. Le dépaysement n’est pas extravagant. Mais le jeune homme, de deux ans son aîné, possède des atouts certains. À commencer par une petite aura de mystère. Fils d’un haut fonctionnaire, il est né à Eseka, au Cameroun. Et après avoir fait ses études à Paris, il vient d’entamer à Lille un cursus dans la banque. Ce qui équivaut, pour l’étudiante en lettres, à une légère émancipation sans rupture avec son milieu… Une façon de rentrer dans le rang sans s’en rendre compte. N’en jetez plus : le 22 juin 1974, à vingt et un ans tout juste, Mlle Trogneux devient Mme Auzière, à la mairie du Touquet.
Les choses se sont faites rapidement, à la grande surprise de certaines de ses amies. Mais elle a une bonne raison de vouloir se marier : son très fort désir de maternité. Tous deux ne tardent d’ailleurs pas à fonder une famille. Un an après leur union naît un fils, Sébastien. Puis ce sera Laurence, en avril 1977, et enfin Tiphaine, en janvier 1984, pour leurs noces d’étain. Brigitte sera une mère très présente, « main de fer dans un gant de velours », telle que la première dame est parfois résumée. « Avec ses petits, elle était gentille mais ferme, se remémore une amie. Elle faisait preuve d’autorité. Son mari s’en occupait bien également mais il était pris par sa carrière. Et, comme les hommes de l’époque, il n’était pas aussi disponible que sa femme ! Elle était donc très investie dans leur éducation. Avec beaucoup de bienveillance, tout en les grondant souvent[2]. » C’est cette « détermination aimante » que souligne Emmanuel Macron lui-même dans Révolution. « Elle a accompagné chacun de ses enfants, écrit-il. Toujours présente mais avec une idée ferme de ce qu’elle attendait d’eux. Il n’est pas une journée sans que Sébastien, Laurence et Tiphaine ne l’appellent, la voient, la consultent. Elle est leur boussole. »
À trente ans, Brigitte Auzière a donc construit le foyer qu’elle imaginait, entourée de ses trois enfants. Et, avec André-Louis, elle forme un couple uni… Bien que peu assorti, selon les amis d’alors que nous avons interrogés. Il est aussi réservé qu’elle est extravertie, elle se montre passionnée quand il s’affirme raisonnable. « Il était plus en retrait, un peu effacé par rapport à elle, reprend leur amie. Gentil, mais pas extrêmement causant[3]. » Ce qui ne les empêche pas d’avoir une vie sociale remplie : Brigitte se charge de l’orchestrer pour eux dans la région lilloise, où ils sont installés. Son mari y poursuit en effet une belle carrière. « C’était une fille adorable et très bien élevée, qui aimait recevoir, raconte Marianne Reynaud, alors proche des Auzière. Le réveillon 1978, chez elle, est encore dans les têtes de toute notre bande de copains. Elle avait déjà cette blondeur solaire et j’ai le souvenir qu’elle fredonnait tout le temps. C’était une confidente, tout sauf une ragoteuse ou une faiseuse d’histoires[4]. »
Un sens du contact qu’elle met bientôt à profit. En 1982, elle se fait embaucher à la chambre de commerce du Nord-Pas-de-Calais, où elle devient attachée de presse. L’expérience, qui dure deux ans, semble lui plaire, sans pour autant devenir une vocation. Mais au milieu des années 1980, elle nourrit de toute façon d’autres projets : André-Louis vient d’être nommé directeur de la Banque française du commerce extérieur à Strasbourg. Un très beau poste qui ne se refuse pas, à moins de trente-cinq ans ! Toute la famille se prépare donc à mettre le cap sur l’Est. Brigitte ne se doute pas qu’en Alsace elle s’apprête à faire deux découvertes qui charpenteront sa vie : l’enseignement tout d’abord, mais aussi la politique.
EN MARCHE ! AVANT L’HEURE
« S’il y en a un des deux qui influence l’autre, c’est lui. C’est lui qui m’amène à la politique. » La première dame l’affirme : elle n’est nullement à l’origine des ambitions présidentielles d’Emmanuel Macron. « Je dis ce que je pense, mais il fait ce qu’il veut. C’est une vie choisie, par lui[1]. » Et celle qui assure se contenter d’accompagner son époux, sans jamais le pousser, aurait, selon ses proches, préféré se tenir à distance de la chose publique… Loin, très loin de la fièvre électorale et des mesquineries de campagne. Délaisser ses bouquins pour arracher le pouvoir ? Elle n’y aurait donc consenti que par amour pour ce mari qu’elle imaginait écrivain plus que politicien. À ceci près qu’elle s’était déjà frottée aux urnes avant 2017 ! Il y a longtemps, elle avait en effet déjà tenté de recueillir tous les suffrages. Comme une petite répétition de sa conquête élyséenne.
Nous sommes en 1984, en Alsace. À vingt et un kilomètres de Strasbourg, la vie s’écoule, paisible, à Truchtersheim. Truch’, pour faire local, c’est aujourd’hui le « Petit Monaco » de la région. Population : 4 000 personnes environ, dont une large proportion vit dans de très confortables maisons et s’acquitte de l’ISF. Mais, à l’époque, l’atmosphère n’était pas tout à fait la même, comme nous l’explique le maire, Justin Vogel. « De nombreuses familles privilégiées sont arrivées ces derniers temps et nous avons intégré les communes de Behlenheim et Pfettisheim. Mais, dans les années 1980, ce n’était pas encore le cas. Nous n’étions qu’environ mille cinq cents habitants[2]. » Parmi eux, cinq nouveaux venus, les Auzière. André-Louis a pris ses fonctions à la Banque française du commerce extérieur, à Strasbourg, où Brigitte ne tardera pas à trouver une place au collège protestant Lucie-Berger. Mais à la grande ville, ils ont préféré le calme bucolique de Truchtersheim et de la rue des Coquelicots, où ils louent la plus haute et belle maison. Leur nouveau décor ? Des vignes d’un côté, un champ de maïs de l’autre… Et le cimetière de la commune à quelques mètres seulement.
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