Dans le quartier de la Hoeft, tout le monde adopte très vite les Auzière. « Quand ils sont arrivés en Alsace, ils ne connaissaient personne, se souvient leur voisine. Quelqu’un avait mis André-Louis en contact avec mon mari, qui a des affaires à Strasbourg, et nous avons sympathisé. Nous nous recevions, ma fille gardait leurs enfants, on se dépannait… Brigitte n’était pas prétentieuse, sa maison était très simple, elle ne se la jouait pas du tout. Elle aurait pu, elle ne sortait pas d’un milieu pauvre après tout[3] ! » Ici aussi, la chocolaterie Trogneux deviendra d’ailleurs rapidement connue. « Je me souviens avoir souvent eu des macarons dans mon buffet : dès qu’elle allait quelques jours à Amiens, elle m’en rapportait. » Mais la séduction ne passe pas que par les sucreries familiales. C’est ce que nous raconte Simone Uhl, l’une de ses amies de Truchtersheim. « Brigitte est une femme présente, c’est vraiment sa qualité. Quand elle est avec vous, elle est avec vous. Vous n’échappez pas à son regard[4]. » Un trait qui charme alors tout particulièrement le fils de l’Alsacienne : le jeune Renaud s’est en effet lié avec Sébastien et Laurence Auzière, mais il est aussi très intéressé par la conversation de leur mère… « Il devait avoir dans les douze ans et il était subjugué par elle. Vous savez, elle est jolie et elle l’avait autorisé à la tutoyer. Alors forcément… », s’amuse aujourd’hui Simone Uhl.
Une popularité que l’enseignante ne va pas tarder à exploiter. Son but ? Dynamiser la vie de son très paisible quartier. « Elle était de toutes les fêtes locales et cherchait toujours à animer, à regrouper les gens, reprend Justin Vogel. Elle était très entreprenante[5]. » À l’époque, il vit à une trentaine de mètres des Auzière… En bonne place pour la voir s’attaquer à son premier chantier : le méchoui annuel de la Hoeft ! L’initiative existe alors déjà mais elle n’a pas mobilisé grand monde. Qu’à cela ne tienne : Brigitte va en faire sa priorité. « Elle est allée démarcher les gens pour qu’ils participent et elle a convaincu. Cela a donné une sorte de Fête des voisins avant l’heure ! D’ailleurs, le concept a perduré et, chaque premier samedi du mois d’août, nous sommes entre quatre-vingts et cent personnes à nous retrouver autour de ce méchoui[6] », explique l’élu. « Elle cherchait à faire progresser les choses, à faire vivre le monde associatif, confirme Simone Uhl. Dès son arrivée, elle a posé beaucoup de questions. Ce n’était pas de la curiosité mais de la bienveillance. C’est une femme qui vous imprègne, qui agit par osmose. Je ne sais si elle s’intéressait déjà à la politique mais, à la vie des gens, c’est sûr[7]. » Si ce n’est que la politique va très vite la titiller également… Et après cette première croisade, carnée, elle se lance dans une autre campagne, municipale cette fois.
En 1989, la ville s’apprête en effet à élire son nouveau maire. Un scrutin particulièrement important pour la commune : Roger Weiss n’est pas candidat à sa propre succession, et le siège qu’il occupe depuis 1965 est donc remis en jeu. Une course dans laquelle s’engage un concurrent imprévu. L’invité surprise ? C’est la liste « Truchtersheim demain », sur laquelle figure en bonne place une certaine Brigitte Auzière, près de cinq ans après son arrivée en Alsace. « Quand on a commencé à la voir à la télé, en 2015, je me suis dit : “Mince, c’est bizarre, je la connais cette dame[8] !” », nous raconte, l’œil rieur, Jeannine Briard, l’une de ses colistières. À quatre-vingt-trois ans, cette institutrice à la retraite se souvient parfaitement de sa rencontre avec la prof de lettres. « Au moment de l’élection, je la connaissais simplement de vue. Nous avions dû nous croiser au syndicat des enseignants de Strasbourg mais rien de plus. Et puis voilà qu’un jour elle sonne à ma porte avec mon médecin, le Dr Bronn, pour me recruter. Il fallait être quinze sur la liste et ils n’étaient que quatorze. » Seul problème : Jeannine Briard n’est pas disposée à battre la campagne. « Je lui ai dit que je n’en avais pas envie, que l’on se met toujours quelqu’un à dos dans une élection… Mais elle a insisté sur le fait que c’était une première pour elle aussi et que nous étions capables de siéger au conseil municipal. » Ces arguments n’ont pas tellement d’effet. Pas grave, la trentenaire aura Jeannine à l’usure… « Elle m’a tellement cassé les pieds que j’ai fini par me laisser faire ! Elle est très persévérante », en rit encore celle-ci.
L’équipe au complet, les choses sérieuses peuvent commencer, entre distributions de tracts et réunions stratégiques chez les uns et les autres, histoire de définir quelques idées fortes. Installation d’un skatepark, promesse d’encadrer les loyers des jeunes ménages, volonté de faire en sorte que « travailler, vivre et vieillir à Truchtersheim puisse se concrétiser harmonieusement et dans le respect de tous »… Les propositions de « Truchtersheim demain » se veulent fédératrices. Et pour rassembler un peu plus, la liste sera sans étiquette politique. Tant pis si, de l’avis général, les candidats sont majoritairement à droite… Brigitte Auzière la première. « Mon mari lui parlait parfois politique et, selon lui, elle n’avait pas des idées de gauche[9] ! », nous explique une amie. Une orientation qui serait en tout cas conforme à la culture familiale. Chez les Trogneux, on vote traditionnellement plutôt à droite. Alors que l’enseignante fait campagne à Truchtersheim, les choses sont d’ailleurs claires chez elle, à Amiens. Toute sa tribu défend la candidature de l’UDF Gilles de Robien contre le communiste René Lamps, en poste depuis 1971. Et Jean Trogneux ne cessera de soutenir son champion après sa victoire.
Brigitte serait-elle alors de droite ? Plusieurs éléments vont dans ce sens, à l’époque comme aujourd’hui. Sa position sur certains sujets sociétaux par exemple. Contrairement à Emmanuel Macron – qui précisait à ses copains de lycée venir d’une famille « de tradition mendésiste » –, elle n’est pas issue de la gauche culturelle. Et elle affirme être « plus réac » que son mari. Sur la conception de la laïcité, elle se dit par exemple « plus radicale », elle qui s’est élevée contre le port du voile à l’université. « Je ne suis pas du tout tolérante, confiait-elle à la journaliste Anne Fulda. Je suis rentre-dedans et, je ne le cache pas, je suis terrifiée par ce qui se passe dans certaines banlieues, ces jeunes filles qui se font traiter de tous les noms, qui sont conditionnées[10]. » Une vision de la laïcité qu’Alain Finkielkraut lui-même avait appréciée, la qualifiant d’« intransigeante », alors qu’ils en avaient tous deux discuté lors d’un dîner chez des relations communes.