« UN MÉTIER EXTRAORDINAIRE »
« Je perçois Brigitte Macron comme la prof idéale. » 23 juillet 2017, Jean-Michel Blanquer livre son évaluation de la première dame dans Le Journal du dimanche. Et cette appréciation tout en mesure fera rire sur les réseaux sociaux… « Je me fiche de passer pour un fayot », rétorque depuis le ministre de l’Éducation nationale, qui explique bien s’entendre avec l’épouse du président. Une aubaine, celle-ci étant de toute façon décidée à s’impliquer dans son domaine. « J’ai une très haute idée de l’éducation. Il faut que ce soit une priorité. J’ai plein d’idées, prévenait-elle dès la campagne. L’essentiel, à mon propos, c’est que je suis prof. C’est cela qui me charpente[1]. » Un « métier extraordinaire », un « éblouissement », comme elle le définit, qui n’était pourtant pas son premier choix. Car sa vocation lui est venue par hasard, et sur le tard.
1984, Brigitte Auzière a trente et un ans. Depuis deux ans, elle est attachée de presse, mais avec la naissance de Tiphaine lui sont venues des envies de reconversion. Arrivée en Alsace, elle s’ouvre de ce désir à des mamans d’élèves devant l’école de ses deux aînés. Coup de chance : l’une d’elles a une idée. « La direction diocésaine cherche des profs. Tu devrais postuler ! », lui lance-t-elle. Brigitte a une maîtrise de lettres – elle obtiendra plus tard son Capes ; elle s’exécute donc… Tout en songeant à monter son entreprise, pour ne pas avoir de patron, si cela ne marche pas. Elle n’en aura pas le loisir : sa candidature est acceptée, et elle est immédiatement nommée à Lucie-Berger, un établissement protestant du centre de Strasbourg. Une affectation qui, si elle la réjouit, ne sera pas de tout repos. « Je suis arrivée dans une classe de collège où l’on devait étudier des subordonnées conjonctives. Et moi, les conjonctives, les relatives, les circonstancielles, je n’en avais aucune idée, je n’avais étudié que la littérature !, se souvenait-elle dans Elle. La première heure a été vertigineuse. J’ai passé quinze jours sans dormir, à seulement travailler. »
L’enseignement devient pourtant très vite un « bonheur », une « fierté », pour celle dont l’arrière-grand-père maternel était concierge d’un lycée de Montpellier, comme nous l’apprend le généalogiste Jean-Louis Beaucarnot[2]. Prof ? Ce serait « le plus beau métier du monde », s’il était plus rémunérateur, comme elle l’admet. Et une fois réappropriées les conjonctives, les relatives, les circonstancielles, elle va profiter de son nouveau poste pour explorer pleinement son amour des grands auteurs. Brigitte, que ses amis disent romanesque, aime à faire découvrir ses œuvres fétiches. Dom Juan, pour son impertinence ; Le Rouge et le Noir, dont elle connaît par cœur nombre de passages ; Madame Bovary, qui fait résonner en elle une quête d’exaltation… Elle dit avoir adoré transmettre sa passion à ses classes. Partager ses lectures est de toute façon une habitude qu’elle a conservée, conseillant les équipes de Bercy comme celles d’En Marche !. « Elle m’a demandé de lire L’Étranger de Camus, nous confie Ahmed Eddarraz, un militant devenu l’accompagnateur de la future première dame pendant toute la campagne. Je l’ai fait, je me suis régalé et, pour la remercier de cette découverte, je lui ai offert Chanson douce, de Leïla Slimani. Quelques semaines plus tard, elle me conseillait de le lire à mon tour. C’est la prof que j’aurais rêvé d’avoir, une dame qui transmet l’amour de la culture française. Mais elle le fait toujours avec humour, me précisant par exemple que la Vénus était de Milo, et non de Millau, dont je suis originaire… Je me souviens aussi de son fou rire devant mes mimiques face à quelques œuvres assez trash du musée d’Art brut et singulier à Montpellier. On se serait cru dans la scène du musée d’Intouchables[3] ! »
Autant dire qu’avec ses élèves la transmission est une priorité. « C’était une prof exceptionnelle, juge Laurent Poupart, directeur de Franklin, où elle exercera à Paris. Une femme d’une culture inouïe, joyeuse, enthousiaste, dynamique, attachée à obtenir de chaque élève le meilleur de lui-même. Un tourbillon ! Jamais blasée, jamais dans la routine[4]. » Une « passeuse », comme nous le dit Arnaud de Bretagne. Pendant une quinzaine d’années, ce professeur d’histoire-géographie aujourd’hui retraité l’a côtoyée à La Providence, à Amiens. « C’était une collègue très agréable, très ouverte. Nous parlions beaucoup littérature. Elle était souvent de bonne humeur, plaisantant avec tout le monde. Je me souviens de son humour : elle est assez blagueuse. » Une spontanéité qu’elle garde dans les salles de classe, où elle s’applique à motiver ses troupes. « Avec les élèves, elle faisait l’unanimité, poursuit Arnaud de Bretagne. Mes deux filles l’ont eue en cours et elles me le disaient. Sa force, c’est qu’elle était souriante, détendue mais surtout très positive. Elle s’intéressait à tous les élèves, avec une pédagogie de l’encouragement constant. C’est important, à l’adolescence[5] ! »
L’un se rappelle qu’elle l’aidait à étudier après les cours, l’autre la remercie de l’avoir soutenue face à ses parents dans son choix de filière littéraire… Interroger ses anciens élèves revient à s’entendre dépeindre une guide très bienveillante. « Lorsque j’étais en première S, elle était ma prof principale, nous raconte l’un d’eux. On était forcément moins bons que des littéraires mais elle était très proche. Elle discutait beaucoup avec nous, écoutait toujours nos problèmes. Si l’on avait un souci avec d’autres professeurs, elle n’hésitait jamais à nous défendre[6]. » Jean-Baptiste Deshayes a ce même souvenir. Cet ex-camarade d’Emmanuel Macron à La Providence avoue devoir beaucoup à Brigitte. « Adolescent, j’ai arrêté mes études pendant trois ans pour travailler dans le cinéma. Lorsque j’ai voulu revenir au lycée, en première L, le proviseur a jugé que ce serait compliqué. La différence d’âge, de maturité, d’expérience avec les autres élèves : tout cela n’était pas rassurant. Mais devant mon insistance, il a décidé de laisser le choix final à celle qui serait ma prof principale. Une heure plus tard, je rencontrais Brigitte et je n’ai pas mis beaucoup de temps à la convaincre. Elle a vu cela comme une opportunité, et mon expérience dans le cinéma l’intéressait. Elle adore ce qui est atypique ! S’est nouée une relation presque amicale entre nous, que nous avons conservée depuis. Son but en cours n’était pas de déverser un savoir, mais de créer quelque chose de passionné, de passionnant et de participatif. C’est quelqu’un avec qui l’on pouvait discuter de tout, qui n’hésitait pas à digresser à partir du moment où cela allumait une étincelle chez ses élèves[7]. » L’enseignante s’attache aussi à les faire sortir de leur coquille. Au risque de les secouer un peu. « Elle était très cool, jamais déprimée, jamais négative, nous explique Claire Pasquier, une autre ancienne de La Providence. Très naturelle aussi, malgré son côté apprêté. Je me souviens d’un jour où nous étudiions le thème de la passion, pour le bac français, et elle nous avait demandé notre avis sur la notion de plaisir. Évidemment, dans notre école privée catholique, personne n’avait osé répondre. On se regardait tous sans rien dire. Et elle avait fini par lancer d’un air très enjoué que se faire plaisir faisait du bien de temps en temps ! Elle avait le don de nous décoincer[8]. » « Elle avait envie de développer l’esprit critique des jeunes, de les faire réagir, réfléchir », résume Jean-Baptiste Deshayes. « Elle tenait à rendre la culture vivante et n’avait pas une manière totalement académique d’enseigner. Elle avait compris qu’elle devait dépoussiérer la littérature, et elle y injectait donc de la modernité en multipliant les parallèles avec notre époque. Elle se servait pour cela de l’actualité, de sa vie ou de la nôtre. Elle savait en effet beaucoup de nous : les gens se confiaient facilement à elle. C’est le genre de profs que vous alliez voir avec un problème de cœur. » Son humour a aussi marqué l’ancien élève. « Elle est capable d’être très corrosive. J’avais par exemple pris pour habitude de lui écrire des petites notes en cours. Pas des mots doux, mais des anecdotes, des blagues, des citations. À chaque cours de français, j’en glissais plusieurs dans sa trousse. Et elle s’amusait de voir ce que je lui avais écrit. Quand je sortais de la classe, elle m’écrivait souvent une réponse que je trouvais ensuite dans mes affaires. J’étais pris à mon propre jeu ! Mais elle n’aurait jamais fait cela à un élève que cela aurait pu blesser. Elle adaptait son humour à son interlocuteur. Sa réponse au débat “peut-on rire de tout ?” a toujours été “oui, mais pas avec tout le monde.” » D’autres vantent enfin sa disponibilité, même des années après avoir quitté une classe. Bref, une enseignante qui marque ses élèves pour longtemps, après les avoir transportés dans l’instant.