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Car le charme de la prof agit indéniablement sur son auditoire. « Sur les garçons particulièrement, je pense[9] ! », s’amuse Arnaud de Bretagne. L’élégance de celle qui n’écrirait qu’avec un porte-craie ne laisse pas les ados indifférents. « En début de carrière, elle était déjà très coquette, poursuit son collègue. C’est un effort que les élèves appréciaient. » L’un d’entre eux s’en souvient avec émotion. « Nous étions plusieurs à avoir craqué ! explique cet ancien de La Providence. L’année où je l’ai eue en français, j’étais très attentif, je dois dire[10] ! » « Il y avait un échange particulier avec les garçons, une forme de séduction, en tout bien tout honneur, reprend Claire Pasquier. Il y avait de bonnes vibrations dans sa classe et beaucoup étaient charmés[11]. » Un engouement dont sa fille Tiphaine elle-même témoigne. L’avocate admet avoir été « jalouse de tous ces élèves qui lui écrivaient ou l’appelaient à la maison[12] ». Certains venaient même dîner chez les Auzière, bouquet de fleurs à la main. Pour Brigitte, l’enseignement ne se cantonne pas aux salles de cours. Emmener ses élèves au théâtre est une autre de ses priorités, elle-même vouant un amour sans bornes aux grands dramaturges. Une passion qu’elle va vivre pleinement une fois de retour dans sa ville natale.

Un retour providentiel

En 1991, après sept ans passés en Alsace, les Auzière retrouvent en effet la Picardie. André-Louis ayant été muté à Amiens, Brigitte y cherche aussi un poste. Elle le décrochera à La Providence. « La Pro », comme tout le monde l’appelle ici, est un établissement privé connu et reconnu. Les rejetons de la bourgeoisie locale y fréquentent ceux des classes moyennes, mais aussi quelques Parisiens, venus résoudre leur crise d’adolescence en internat. Propriété des Jésuites, l’école forme en 2017 près de 2 000 élèves à « Être, Agir, Réussir, Grandir », depuis la maternelle jusqu’à la terminale. Un programme qui en jette, tout comme le décor de cet immense complexe. Dans les quartiers sud de la ville, sur le grand boulevard Saint-Quentin, difficile de rater La Pro ! Entre les maisons en briques sombres et la cité scolaire publique Louis-Thuillier, s’étendent sur quatorze hectares d’imposants bâtiments bétonnés, reconstruits après les bombardements de 1940. L’agencement des lieux est fonctionnel, façon campus à l’américaine. Piscine de vingt-cinq mètres, gymnase, piste d’athlétisme… Mais aussi café philo et projet pastoral. Ici, l’éducation ne doit pas se limiter aux heures de cours. « Nous souhaitons permettre à chaque élève de découvrir et exprimer ses talents », résume le site internet de l’établissement. Une pédagogie à laquelle la prof de français va être ravie d’adhérer, pendant les quinze ans qu’elle passera ici. Son sanctuaire ? Un petit espace, niché au cœur de cet ensemble austère : le théâtre. « Cette salle de spectacle, on y a tous des souvenirs. Si les murs pouvaient parler[13]… », lance un ancien de l’école, le journaliste Mathieu Delahousse – cousin de Laurent, qui y a aussi passé ses années de lycée. Un lieu dont Brigitte Auzière fait très vite son domaine réservé, prenant la tête du club théâtre pour les sections lycéennes. Elle semble heureuse de cette récréation artistique. « Elle s’impliquait énormément, confirme Arnaud de Bretagne. Elle aimait de toute façon beaucoup initier ses élèves au théâtre, les emmenant même pour cela à Paris[14]. »

Plus de vingt ans après, Antoine Joannes se rappelle encore cet atelier. « Elle avait réussi à créer une atmosphère qui n’était pas celle d’une relation de prof à élève. L’ambiance était très amicale et il y avait peu de distance. Elle nous invitait à répéter chez elle, nous demandait de l’appeler par son prénom. Certains la tutoyaient même. Elle était très différente des autres profs ! Elle nous poussait, dans le bon sens du terme, sans nous mettre de pression. Et elle dégageait un certain plaisir qui nous transportait[15]. » L’un de ses camarades, Cédric Étévé, se montre également enthousiaste. « J’étais en seconde et cela m’a vraiment permis de m’ouvrir. Vous savez, on restait à l’école pour ça, le soir, après les cours : fallait-il que ça nous plaise ! C’était agréable, elle veillait à ce que nous trouvions tous notre place. Elle faisait attention à chaque élève[16]. » Cette année-là, il en est pourtant un qu’elle remarquera plus particulièrement. Son nom : Emmanuel Macron. Lorsque l’adolescent de quatorze ans intègre l’atelier théâtre, en septembre 1992, Brigitte ne l’a jamais eu en cours. Elle l’a bien aperçu lors d’une remise de prix pour un rapport de stage, en troisième. Parmi les lauréats, il avait alors disserté sur la vanité d’un tel honneur… Mais elle le connaît surtout de réputation. « J’ai dans ma classe un fou qui sait tout sur tout », lui a rapporté sa fille Laurence. « Il était très bon élève[17] », nous confirme François Ruffin, que l’on ne peut vraiment soupçonner de complaisance envers le président… Le député Insoumis a lui aussi fréquenté les bancs de La Providence, et sa sœur comptait même parmi les camarades d’Emmanuel Macron ! « Ils étaient assez amis, à se tirer la bourre pour avoir la meilleure note. »

De bons résultats dont Brigitte a également entendu parler en salle des profs. Depuis son arrivée à La Providence, en sixième, Emmanuel Macron fait son petit effet. On évoque ses notes, tout d’abord, qui sont excellentes, comme celles de son frère Laurent puis de sa sœur Estelle. Mais on s’étonne surtout de sa maturité. Ne pas se fier aux motifs Peter Rabbit qui ornent encore les murs de sa chambre ! « Manu » semble plus à l’aise avec les adultes qu’avec ses camarades, parmi lesquels il compte plutôt de simples copains que de vrais amis. Après les cours, il reste souvent à discuter avec ses enseignants. « Ce qui était aussi marquant est qu’en arrivant en septembre il connaissait déjà le programme, renchérit Arnaud de Bretagne. Il avait beau être en section scientifique, il était en fait plus littéraire. Je me suis demandé en fin d’année si je lui avais appris quelque chose[18]. » Draguer les filles ? Ce n’est pas sa priorité. Il a bien eu une petite amie, dans sa classe, enfant de médecin comme lui. Il en semblait même amoureux, lui qui s’est fait heurter par une voiture, un jour qu’il rêvassait en sortant de chez elle. Mais il la quitte sans préavis, après avoir rencontré Brigitte.

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9

Entretien avec l’auteur, le 14 septembre 2017.

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10

Entretien avec l’auteur, le 12 septembre 2017.

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11

Entretien avec l’auteur, le 28 septembre 2017.

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12

Caroline Derrien, Candice Nedelec, op. cit.

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13

Le Figaro, « Une adolescence à La Providence », le 31 mai 2017.

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14

Entretien avec l’auteur, le 14 septembre 2017.

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15

Entretien avec l’auteur, le 17 octobre 2017.

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16

Entretien avec l’auteur, le 20 septembre 2017.

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17

Entretien avec l’auteur, le 26 juillet 2017.

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18

Entretien avec l’auteur, le 14 septembre 2017.