— Je reviendrai peut-être, dit Kovask en se dirigeant vers la porte.
Mrs Blatasky le suivit à petits pas rapides.
— Dites-moi, que lui est-il arrivé ? Elle … Rien de fâcheux n’est-ce pas ?
— Elle a disparu depuis cette date et son mari la fait rechercher. Au revoir madame.
Une heure plus tard il avait découvert le club de chasse où le couple s’était inscrit. « Moose in the sight » était installé dans la 4e Avenue au-dessus d’un bar, également appelé Moose Club. Une jeune femme brune et sympathique l’accueillit. Gann dites-vous ? Une seconde.
Elle compulsa son dossier.
— En effet. Ils ont passé le premier de l’an dans notre chalet de Galena sur les rives du Yukon, ils s’étaient inscrits pour la chasse et avaient retenu un traîneau à chiens pour le 3 janvier.
— Pouvez-vous me dire à combien se sont montées leurs dépenses ?
La jeune femme eut l’air surpris mais elle le lui précisa :
— Deux cent-cinquante-cinq dollars avec la location du traîneau. Nos tarifs sont soigneusement étudiés.
— En effet.
La somme n’était pas exorbitante. Il essayait de savoir si Gann n’avait pas par hasard une autre source de revenus. Il ne comprenait pas pourquoi l’instituteur avait accepté de travailler pour un réseau ennemi. Il ne pouvait y avoir que trois motifs, idéal, argent ou chantage. Les renseignements fournis par le « Department of Native affairs » étaient excellents. Gann n’avait jamais fait de politique, et il était peu probable qu’il se soit décidé à prendre parti de façon aussi grave. Malgré les recherches faites, on n’avait trouvé à son actif ni encaissements bancaires importants ni dépenses exagérées. Restait le chantage.
— Puis-je vous être utile ? Vous paraissez ennuyé.
La jeune femme s’était accoudée sur son bureau, un genou sur son fauteuil. Sa jupe étroite moulait une cuisse ronde et une croupe agréable.
Il sourit.
— Ne s’est-il passé aucun incident durant le séjour du couple à Galena ?
Elle revint à son classeur.
— Vous avez raison de me le demander, car nous gardons note de ce genre de choses, de façon à éliminer les indésirables. Vous savez ceux qui boivent plus que raison et sont une source d’ennuis pour notre résident local, les femmes mariées un peu trop allumeuses, les époux un peu trop coureurs et même les geignards, les rouspéteurs.
Kovask sourit.
— Votre organisation est vraiment sensationnelle.
— Relax avant tout, dît-elle avec un regard complice. Elle était vraiment agréable à regarder et paraissait apprécier l’allure de son visiteur. Elle chercha en secouant la tête.
— Rien au nom des Garni.
— Combien y avait-il de participants à cette semaine-là ?
— Une vingtaine. Vous voulez que je cherche à chaque nom ?
— Je vous ennuie ?
— Pas du tout, murmura-t-elle en rougissant. Elle réunit toutes les fiches puis les compulsa soigneusement. Kovask s’approcha d’elle et jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.
Le parfum de la jeune femme était très agréable et il regardait avec plaisir la douce ligne de son cou, la naissance de sa poitrine dans l’ouverture du chemisier.
— Rien, dit-elle. Je suis désolée. Il ne reste plus que le rapport du résident, mais n’en attendez rien. Dès que je le reçoit je transcris toutes les indications sur les fiches.
— Examinons-le quand même.
Il comprenait quatre pages dactylographiées. Le résident notait les événements jour après jour. À la date du 4 janvier il avait souligné une phrase. L’ongle effilé de la jeune femme la désigna :
— Décompte des cartouches tirées. Il manque une douille de carabine Colt 32 WCF. Impossible de remettre la main dessus.
Kovask tressaillit. Il sentait qu’il avait enfin trouvé le début d’une piste sérieuse.
— Ça vous intéresse ?
— Oui, confessa-t-il. Vous venez de me rendre un très grand service.
Il chercha son regard.
— Acceptez-vous de dîner avec moi ce soir pour vous dédommager ?
À nouveau, elle rougit.
— Vous croyez ? Nous nous connaissons à peine.
— Dites-moi votre prénom, tout ira bien mieux ensuite.
— Nelly.
Il se présenta et ils prirent rendez-vous pour sept heures au bar du rez-de-chaussée. Kovask remonta dans la voiture mise à sa disposition par la Navy et gagna le siège du F.B.I. Il demanda le lieutenant Bassano qui avait dirigé toute l’en, quête. C’était un italo-américain trapu, avec un visage de boxeur et des cheveux noirs très frisés.
— Rien d’intéressant pour vous, grogna le fédé en lui indiquant un siège de sa main épaisse. Et vous ?
Kovask le mit au courant de sa trouvaille.
— Intéressant ça, qu’en concluez-vous ?
— Rien pour l’instant. Il faut que j’appelle ce résident de Galena.
— Nous pouvons l’obtenir en priorité.
C’est bien pourquoi Kovask était venu. Une demi-heure plus tard la liaison-radio était établie. Le résident, qui se nommait Lytton, se souvenait parfaitement de cette douille disparue.
— C’est assez rare, reconnut-il, et pour éviter, d’importuner mes clients je leur fais déposer le soir les douilles utilisées dans la journée dans une boîte. Évidemment je n’ai pu savoir qui en avait perdu une.
— Vous ne savez pas à quoi a pu servir la balle ?
— Non. Absolument pas. Il se peut que l’un de mes clients ait conservé cette balle comme souvenir.
Kovask termina, fortement déçu. Ce fut en regardant l’énorme carte de l’Alaska installée dans le bureau de Bassano que l’idée lui vint. Elle était assez hasardeuse cependant. Du doigt il suivit le cours du Yukon depuis Galena, et nota les différents postes installés sur son cours jusqu’à l’embouchure.
— C’est le commencement de la débâcle, expliqua-t-il à Bassano. Voulez-vous envoyer un message collectif de recherche ?
Bassano inclina la tête :
— Bien. Concernant qui ?
— Une personne, homme ou femme je l’ignore, mais certainement un homme dont le corps aurait été trouvé dans le fleuve depuis le début de la débâcle. Signe particulier, doit avoir une balle 32WCF de carabine colt dans le corps.
Le lieutenant regarda sa montre.
— Six heures. Vous serez obligé d’attendre demain matin. Si vraiment il y a du nouveau je vous téléphonerai à votre hôtel.
Kovask passa une excellente soirée, dîna de bon appétit. Nelly l’invita à boire un dernier verre chez elle mais se défendit calmement contre ses entreprises. Il n’insista pas et rentra à son hôtel un peu après minuit. Un message de Bassano l’attendait. Il téléphona à son bureau et l’homme de permanence lui annonça qu’un cadavre avait été retiré du Yukon, à Holy Cross la semaine dernière. L’homme avait reçu une balle de carabine Colt 32 WCF en pleine poitrine. Le lieutenant lui signalait qu’un avion s’envolerait le lendemain matin à sept heures, pour le transporter à Holy Cross. Le Cessna atterrit à dix heures trente sur la piste encore gelée de l’aérodrome. Le pilote sauta à terre et défit son serre-tête.
— Nous ne pourrons repartir que cet après-midi. Dans la journée le terrain sera un véritable bourbier et je n’ai que des skis.
Le poste ne comprenait qu’une vingtaine de baraques en bois construites sur de courts pilotis. Il pataugea dans la boue de la rue principale avant d’apercevoir le Yukon. Le spectacle ne manquait pas de grandeur et l’énorme rivière colportait des glaçons de la taille d’une voiture.