— Et elle ? fit Ladan. Kovask se pencha vers lui.
— Je vous jure qu’il ne lui arrivera rien de fâcheux. Dès aujourd’hui nous prenons en charge sa sécurité.
Finalement l’homme se décida.
— Vous avez raison. Je n’ai qu’un seul contact. Du moins depuis la mort de Menis. Avant c’était lui qui connaissait le type. Maintenant je suis dans le coup et j’ai été rudement étonné de l’identité du gars.
— Je vous en prie Ladan. Le nom !
— Herman. Le veilleur de nuit de la West Trade Company. La Continental Carriages a un contrat avec cette boîte et nous venons régulièrement à Seattle. J’ai comme consigne d’arriver après dix heures du soir.
Kovask était déçu.
— Ce type-là ne sert que de boîte à lettres très certainement.
— Oui. Quand on a quelque chose à demander il ne rend la réponse que le lendemain.
— Lui avez-vous parlé de ce que le fonctionnaire de l’I.C.C. vous avait dit ?
— Ah ! c’était vous ! fit l’autre. Ouais, mais il était déjà au courant de la découverte du cadavre de Menis, et il nous a dit de ne pas nous en faire.
Michael suivait toujours la même idée :
— Votre collègue connaissait ce rôle d’Herman ?
— Non.
— Qu’est devenue Mrs Gann ?
Ladan releva la tête et essaya de se rendre convaincant.
— Je l’ignore. Je sais qu’on l’a enlevée puisque j’ai participé à la première tentative, mais c’est tout. Pour la valise je l’ai ramenée ici à Seattle et l’ai remise à Herman.
Kovask se leva et entraîna Michael au fond de la pièce.
— Vous allez demander au F.B.I. de vous accompagner jusqu’aux entrepôts de la W.T.C., et vous tendrez un piège au veilleur de nuit. Envoyez deux types pour surveiller ce couple. Dès qu’Herman sera arrêté je compte le confronter avec Ladan.
— Bien, dit Michael. Je prends la bagnole ?
— Non laissez-la-moi. Je compte sur vous pour que l’arrestation de cet homme s’effectue sans incident. N’oubliez pas, ce type est très important.
L’enseigne se dirigeait vers la porte quand une idée subite lui fit rebrousser chemin.
— Quelle gueule a-t-il, ce veilleur de nuit ? Ladan en fit la description.
— Plus grand que moi, les cheveux gris. Il porte toujours un chapeau mou de couleur beige.
— Mais encore ?
— Je ne sais pas, moi. Il a l’air d’une cloche quand il se balade dans la rue, mais j’ai l’impression qu’il vaudrait mieux ne pas lui chercher des crosses. Il a du muscle. Il a toujours un mégot de cigarillo au coin des lèvres, à se demander si c’est pas toujours le même qu’il chique.
— Son adresse ?
— Je l’ignore. Je me demande même si les patrons de la boîte la connaissent.
L’enseigne quitta la pièce. Kovask fuma une cigarette en silence. Son prisonnier restait immobile, comme frappe de stupeur. La femme appuyée contre la cloison pleurait sans bruit.
— Croyez-vous que la W.T.C. serve de façade à toute l’organisation ?
Ladan le regarda.
— J’y ai songé quelquefois, mais je n’en crois rien. C’est une grosse société qui rapporte énormément et les patrons sont certainement en dehors du coup.
— D’accord, mais sans que la direction s’en doute, le réseau peut avoir mis la main sur les principaux dépôts et agences ?
— Bien possible, reconnut l’homme.
On frappa et deux costauds pénétrèrent dans la salle. Leurs yeux tranquilles se posèrent sur le sleeper.
— On nous a dit de venir surveiller ces deux-là. Le lieutenant est parti avec votre adjoint.
— Très bien, dit Kovask en se tournant une dernière fois vers le sleeper. Si jamais quelque chose vous revient en mémoire demandez à me rencontrer.
Revenu dans la chambre du dessus Kovask mordit dans un sandwich et but un verre de bière. Son vêtement de pluie sous le bras il descendit dans le hall. Le veilleur de nuit n’avait pas l’air de s’étonner des allées et venues. Plongé dans son journal il n’eut pour lui qu’un regard indifférent.
Dans la rue Kovask repéra plusieurs G’men chargés de surveiller l’hôtel. Il se dirigea vers sa voiture et la mit en route. Herman le veilleur de nuit de la W.T.C. approchait maintenant de l’entrepôt. Michael et son équipe allaient lui mettre la main dessus.
Il fut surpris en arrivant sur les lieux de constater que tout était calme. Sa montre indiquait dix heures et demie. Herman avait dû arriver depuis une demi-heure.
Comme il ralentissait une ombre se détacha de l’entrée.
— Lieutenant-commander Kovask ? On vous attend à l’intérieur. Le gars ne viendra pas.
Il jura et descendit de voiture.
— Évidemment si vous restez ainsi à l’entrée il a dû faire demi-tour et prendre ses jambes à son cou.
— Ce n’est pas ça, dit l’homme du F.B.I. sans s’émouvoir. On a trouvé son cadavre dans la rue voisine. Un coup de couteau dans le dos.
Michael sortit de la conciergerie. Il paraissait moins insouciant que d’habitude.
— Un sale coup ! À dix heures, voyant qu’il n’arrivait pas, je suis allé à sa rencontre. Je l’ai trouvé dans une ruelle.
— Comment saviez-vous qu’il allait passer là-bas ?
— Il ne pouvait arriver que de la station d’autobus. J’ai tenté le coup. Je l’ai fait transporter ici.
Kovask pénétra dans le bureau où se trouvaient le lieutenant du F.B.I. et le gardien de jour qui paraissait effaré. Herman avait été allongé sur le lit de camp et un médecin l’examinait.
— Il est de chez nous expliqua le fédé. Herman n’est mort que depuis une demi-heure environ. Un coup de couteau mais on n’a pas retrouvé l’arme.
Un peu de sang coulait sur le plancher.
— Pourquoi l’avez-vous transporté ici ? Si par hasard il a un complice dans la place …
Il haussa les épaules.
— Après tout, s’ils l’ont tué c’est qu’ils avaient appris que nous étions sur sa piste.
Michael avait l’air ennuyé.
— Je me suis mal débrouillé …
Sans répondre Kovask jeta un coup d’œil aux différents objets déposés sur la table. Une boîte ronde en fer attira son attention. Il la referma avec une grimace de dégoût. Elle ne contenait que des bouts informes de cigarillos.
— Rien d’autre évidemment. Son assassin a certainement pris le temps de le fouiller.
— Il y a son adresse dans son portefeuille, dit Michael. On peut aller jeter un coup d’œil chez lui.
— Oui, grommela Kovask. C’est ça qui va nous permettre de renouer le fil. Soit, allons-y.
C’était dans une des ruelles qui débouchaient à la limite du port de commerce, vers le bassin réserve aux bateaux de plaisance. Un immeuble lépreux de cinq étages.
— Le gardien de jour m’a dit que c’était au troisième sur la gauche.
— Il vit seul ?
— Paraît-il.
Kovask posa une main sur le bras de son compagnon, lui désigna une fenêtre éclairée.
— À gauche sur le palier ?
— Bien sûr mais on ne sait pas comment est dirigé l’escalier. Vous croyez qu’il y a quelqu’un chez lui ? Ce serait étonnant.
— On ne sait jamais. Son ton se fit plus sec.
— Et cette fois nous n’allons pas nous laisser rouler. Voici ce que nous allons faire.
CHAPITRE IX
L’homme feuilleta un dernier livre, puis le rejeta sur une table avec dépit. Rien. Depuis le départ de Herman il fouillait le petit appartement. En vain, car il n’avait pas découvert le moindre indice. Pourtant le veilleur de nuit était une valeur sûre. On pouvait remonter toute la filière grâce à lui.