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Un bruit l’alerta dans la cuisine. Le robinet fuyait goutte à goutte. Il remplit un verre et le but goulûment. Il avait chaud, cette nuit de printemps était douce, et l’appartement sentait le renfermé et le vieux. Herman ne reviendrait que le lendemain matin vers huit heures. Il le savait pour avoir soigneusement étudié les habitudes du bonhomme pendant deux jours. Il pouvait fort bien l’attendre et l’obliger à parler. Il était prêt à user de violence pour lui arracher ce que l’autre pouvait savoir. Il disposerait d’une journée entière pour arriver à ses fins.

Il se laissa tomber sur une chaise, passa sa main sur son front humide. Aurait-il ce courage ? Que pouvait-il faire d’autre ? S’adresser à qui ? Il haussa les épaules et se releva. Ces moments de découragement n’étaient jamais bien longs. Il avait triomphé de bien des difficultés jusqu’à cette nuit.

Lentement ses yeux firent le tour de la petite cuisine. Elle était sordide. La faïence de l’évier était cassée, la peinture des murs écaillée, et des étagères pendaient des toiles d’araignées. Herman vivait comme un clochard. Mais alors pourquoi se livrait-il à une activité dangereuse ?

Machinalement il fouilla le dessus de ces étagères. Le papier qui les recouvrait s’en détachait, et craignant qu’Herman ne s’aperçoive de son passage, il le remit en place. Un titre, celui d’un journal, lui tomba sous les yeux.

« Lands & Walls » un organe traitant des questions immobilières. Il ne trouva rien dans les casseroles mal nettoyées et dans les cocottes graisseuses. Plongeant sous l’évier il y découvrit une poubelle vide. Le fond percé était tapissé par un autre journal et il en lut machinalement le titre : « Land-lords’ papers ».

Surpris il resta accroupi devant la boîte à ordures. Curieux qu’un homme comme Herman s’intéresse aux propriétés ou immeubles à vendre.

Il paraissait prendre régulièrement ces journaux. Toujours songeur il revint dans la pièce principale et chercha dans la pile des journaux. Il retrouva de nombreux exemplaires des deux périodiques fonciers. Les séparant des quotidiens d’informations, il les mit de côté. Une dizaine en tout, qu’il étala sur la table ronde recouverte d’un tapis en lambeaux. Il essayait de retrouver les articles auxquels Herman pouvait s’intéresser, mais il ne releva aucun signe particulier, ni passage souligné ou coché, ni marque quelconque. Il froissa avec énervement la feuille qu’il tenait, puis honteux de son geste la lissa à nouveau. Il replaça l’ensemble dans le tas.

Il y avait peut-être une explication à ce goût d’Herman pour les informations foncières. Le veilleur de nuit devait recevoir pour ses activités secrètes des sommes considérables, et il investissait ce capital en biens au soleil en prévision d’une retraite tranquille. Malgré ses apparences Herman n’avait pas plus de quarante-cinq ans. Avec un peu d’argent de côté, il pouvait recommencer une vie exempte de soucis.

L’homme alla encore une fois à la cuisine, toujours à cause de ce maudit robinet, et il colla une éponge gluante sur le chemin des gouttes.

Brusquement il se retourna, et tomba nez à nez avec un pistolet que tenait un homme aux cheveux presque blancs, tant ils étaient blonds. L’intrus fut aussi surpris que lui.

— Geoffrey Gann ? Du diable si je croyais tomber sur vous dans cette ville et dans cet appartement. Vous avez rasé votre barbe.

L’instituteur allait avoir une réaction désespérée lorsqu’il se rendit compte que le mâtin était accompagné.

— Ne tentez rien mon vieux. Vous n’iriez pas loin, et de plus je crois qu’il y a un malentendu entre nous. Vous n’êtes pas aussi coupable que nous le pensions n’est-ce pas ?

Gann gardait toujours le silence.

— Ils ont enlevé votre femme et vous ont menacé pour obtenir de vous obéissance complète ?

Il ne se formalisait pas du mutisme de l’homme. Michael intrigué vint jeter un coup d’œil à Gann.

— C’est l’instituteur de Kena ?

— Oui. Comment avez-vous quitté l’île ?

L’autre secoua la tête, et ses lèvres asséchées par l’émotion se décollèrent enfin.

— Non. Tout ce que vous voudrez mais pas ça.

— Que faites-vous ici ? Dans l’appartement d’un suspect numéro un ? Je suppose que ce n’est pas le hasard qui vous a amené jusque dans cette ville et jusqu’à cet étage ?

Gann soupira :

— Je peux m’asseoir ? Je vis sur les nerfs depuis quinze jours, et je me sens les jambes faibles.

— Passons à côté mon vieux, mais je vous préviens. Vous avez pu assommer le premier maître Rubins, mais ne comptez pas récidiver avec nous. Il se peut que vous ayez avantage à discuter avec nous, dans votre intérêt et surtout dans celui de votre femme. D’abord pourquoi avez-vous filé ?

Ils étaient dans l’autre pièce. Gann, installé sur une chaise, Michael à la porte et Kovask à la fenêtre.

— À cause d’elle, dit Gann. En restant votre prisonnier je savais qu’ils la liquideraient. Je n’aurais pu résister longtemps à vos interrogatoires. J’ai préféré filer.

— Vous avez un contact ?

— Non. Aucun.

Kovask s’emporta.

— Vous mentez !

— Je vous jure que non. J’avais reçu une lettre m’expliquant au début, dès la disparition d’Alberta, ce qu’on attendait de moi. Un peu plus tard on m’a envoyé le petit émetteur pour faire fonctionner les diffuseurs de brouillard.

— Où se trouvait-il ?

— Dans le transformateur de la centrale. Il ressemblait à un disjoncteur et n’émettait que des signaux inintelligibles.

Michael et Kovask se regardèrent, inspirés par la même pensée.

— Et comment saviez-vous que c’était le moment de faire fonctionner ce transmetteur d’ordre ?

L’enseigne poursuivit, très excité :

— Était-ce les jours où le bulletin météo annonçait du brouillard ?

— Non.

Gann soupira.

— Simplement les jours où le vent soufflait du nord-ouest. Il y avait toujours des chiffres indiquant la direction. Il fallait que les indications contiennent le chiffre 17, soit clairement exprimé, soit par la somme des chiffres.

— Et vous n’aviez aucun contact ?

— Non.

Kovask le fixa d’un regard très dur.

— Et Herman alors ?

— C’est autre chose. Ma femme a eu affaire à lui.

Les mâchoires contractées, Kovask secoua la tête. Michael, passionné, se penchait vers l’instituteur.

— Expliquez-vous.

— Quand ces gens ont eu enlevé ma femme, ils m’ont téléphoné de préparer une valise pour elle. J’en ai évidemment profité pour essayer de communiquer avec elle. Je savais que toutes les affaires seraient sévèrement examinées, aussi j’ai pris des précautions. Alberta allait certainement chercher partout.

Il rougit.

— Dans des serviettes périodiques j’ai glissé une mine de crayon, une enveloppe timbrée et une minuscule boussole. J’ai risqué le tout pour le tout. Prévoyant que je pourrais avoir des difficultés à Kena pour recevoir sa lettre, je l’ai fait expédier chez un ami à Tacoma, dans cet état. Un silence assez pénible suivit.

— Et cette lettre ? demanda Kovask.

— A été postée à Sacramento le 31 mai. Il y a donc dix jours. Il lui a fallu six mois pour arriver à me la faire parvenir. J’ignore d’ailleurs comment elle a pu faire. Six mois. Elle doit être étroitement surveillée pour n’avoir pu le faire plus tôt.