— Vous la pensiez toujours en vie ? fit brutalement Michael.
L’instituteur hocha la tête.
— Oui, car régulièrement elle m’envoie une lettre officielle écrite en présence d’un de ses gardiens, et certainement examinée sous toutes les Boutures.
— Et postée ?
— À Anchorage.
Les deux marins se regardèrent. Ladan ne leur avait pas parlé de ces lettres qu’on le chargeait de mettre à la boîte, une fois dans la grande ville de l’Alaska.
— Que disait cette lettre clandestine ?
Gann sourit.
— Ma femme est formidable et elle m’a d’abord rassuré. Elle a réussi à grouper un certain nombre d’informations. D’abord à plusieurs reprises elle a eu affaire à Herman, ici à Seattle. Tout ce qu’elle a pu m’indiquer c’est le nom de la ville et le nom du gars avec une description physique complète. Elle me situait l’entrepôt de la West Trade Company ! Bruits de camions, et surtout, les cinq notes d’un carillon. Heureusement que nous avons fait de la musique l’un et l’autre. Ce carillon est celui d’une chapelle catholique suisse, dotée d’un carillon spécial. Il m’a été très facile de retrouver Herman.
— Vous avez cette lettre sur vous ?
Gann secoua la tête.
— Non, à mon hôtel. Ma femme est sûre d’être enfermée dans un cadre de déménagement très spacieux qui se promène un peu partout. Elle est également certaine d’être venue trois fois à Seattle. Rien ne contredit a priori une hypothèse, celle qui me fait croire qu’elle y reviendra une autre fois.
— Un cadre de déménagement ? C’est évidemment très astucieux. Il doit être insonorisé pour l’empêcher de communiquer avec l’extérieur.
On devait également le balader dans tous les U.S.A. Michael en vint à la même conclusion et s’emballa :
— Dites ! Il suffit de vérifier les livres de la W.T.C. pour la retrouver, interroger le personnel paire des recherches.
Gann s’affola :
— Non. Ils seraient aussitôt alertés et Alberta lierait en danger de mort. Je ne savais que faire. Interroger Herman ou me faire engager à la West Trade Company.
— Ladan vous aurait reconnu. Un des deux hommes qui vous ont attaqué à Galena.
En disant cela Kovask observait son homme. L’instituteur encaissa assez bien le coup.
— Vous savez ? J’en ai tué un. J’ai d’abord cru que c’était des rôdeurs et puis j’ai reconnu l’homme. Il nous avait suivi dans les rues d’Anchorage. C’est pourquoi je me suis tu. Quelques jours plus tard ils réussissaient mieux leur coup. J’avais rendez-vous dans un bar avec ma femme et ils se sont emparé d’elle avant. J’ai reçu un coup de fil me priant de ne pas m’inquiéter, que je recevrais bientôt des nouvelles et des instructions.
Il regarda Kovask, le visage angoissé.
— J’ai peur. Du moment que j’ai été découverts ils n’ont plus de raison de tenir leur promesse.
Le lieutenant-commander songeait que, pour sauver la jeune femme, il aurait fallu réhabiliter Geoffrey Gann et le renvoyer dans l’île, mais les autres n’auraient certainement pas été dupes. En fait le réseau inconnu n’avait aucune raison de la garder encore vivante. À moins que …
— Je pense à ce qu’écrit votre femme. Ce cadre de déménagement. Depuis près de cinq mois elle s’y trouve enfermée. Dans des conditions qui doivent être difficiles à supporter. Il lui faut une certaine force de caractère …
— Alberta ne paraît pas mais elle est très volontaire. Je suis absolument certain que l’espoir de me revoir un jour l’aide à lutter. Ce n’est pas de la fatuité, croyez-moi. Elle doit obstinément chercher le moyen de leur échapper.
— Quant à eux, poursuivit Kovask, ils réalisent une expérience importante. Depuis cinq mois ils trimbalent un peu partout une femme prisonnière jusqu’au cœur des villes les plus grandes, et personne ne s’en rend compte. Imaginez qu’ils aient l’intention d’enlever une personnalité politique connue et utilisent le même système ?
— Ma femme leur servirait donc de cobaye, murmura Gann.
— Oui et c’est ce qui la sauve.
Malgré tout il était fortement déçu par les déclarations de l’instituteur. Il le croyait sincère. La mort d’Herman n’arrangeait rien et le mystère restait entier.
— Que pensiez-vous de ce brouillard artificiel que vous provoquiez ?
Gann soupira.
— Je n’osais pas penser à son utilisation.
— Vous connaissiez la présence d’un gros diffuseur dans l’île ?
— Oui. J’étais allé le voir et j’étais inquiet. Il se vidait régulièrement au cours des essais que l’on me dictait, et je me disais que le jour, ou plutôt la nuit d’une utilisation précise approchait.
La troisième guerre mondiale était-elle pour cet été-là ou bien s’agissait-il d’un coup de bluff. Dans ce cas on avait souhaité que Gann soit arrêté et le dispositif découvert. La menace d’une agression pouvait influencer certaines décisions internationales, mais la menace d’un simple brouillard était bien aléatoire.
— Je crois qu’il faudra aussi creuser de ce côté-là pour deviner leur intention exacte, dit Kovask. Vous n’avez plus rien à nous dire ?
— Non. Un silence.
— Qu’allez-vous faire de moi ? Que va devenir Alberta ?
— Nous allons essayer de la trouver.
Brusquement il pensa que Ladan et son coéquipier étaient arrêtés. Rien ne s’opposait à ce que l’instituteur se fasse engager à la West Trade Company. Mais il lui fallait non seulement l’accord du commodore Shelby, mais également celui du F.B.I. puisque Gann était recherché sur tout le territoire.
— Herman a été tué ce soir, fit-il. Juste comme nous allions l’appréhender.
— Mort, balbutia Gann. Mais comment ?
— Un coup de couteau. Vous pourriez en effet l’avoir tué, dit Kovask. Vous paraissiez ne pas appréhender son retour en tout cas.
Michael crut comprendre sa pensée.
— Où étiez-vous à dix heures ? Gann se défendit :
— Je le surveille depuis deux jours et connais ses habitudes. À dix heures j’étais dans la rue et m’apprêtais à monter jusqu’à cet appartement. Vous comprenez que je n’avais aucune raison de le tuer. Au contraire.
Du coin de l’œil Kovask constata que Michael ne paraissait pas de cet avis. Malgré ses apparences de garçon loyal, Gann était peut-être, en effet, en train de les duper. Il décida de remettre à plus tard son idée d’utiliser l’instituteur. Ou s’il le faisait ce serait sous surveillance.
— Vous n’avez rien découvert ici ?
— Non.
Il avait eu une hésitation dans la voix, et Kovask le regarda d’un air menaçant.
— Jouez le jeu, Gann, sinon je vous lâche totalement.
— Hé bien …
Il leur parla des journaux immobiliers. Kovask en prit un et après l’avoir examiné le fourra dans sa poche.
— On ne sait jamais. Curieux qu’un bonhomme aussi crasseux s’y intéresse en effet. On tâchera de savoir s’il n’avait pas fait des placements de ce genre dans des immeubles neufs ou autres. Ce sera assez facile à trouver en s’adressant au « Land Management » de cet état et des voisins. De toute façon les spécialistes du F.B.I. viendront passer l’appartement au peigne fin.
Mais il doutait à l’avance de cette fouille. Herman était un type excessivement prudent.
— Nous allons partir d’ici. Vous êtes descendu dans un hôtel m’avez-vous dit ?
Gann eut un sourire triste.
— Si on peut appeler ce taudis de la sorte. Que croyez-vous trouver chez moi ?
— La lettre de votre femme. Cette histoire ne me paraît pas très claire.