— Si vous aviez connu ma femme vous n’en diriez pas autant. Le plus étrange est évidemment la façon dont elle me l’a fait parvenir. Si elle a attendu près de cinq mois, c’était qu’elle voulait être certaine de son bon acheminement.
Michael furetait encore un peu partout.
— Vous cherchez du whisky ? fit Kovask goguenard. Je ne pense pas que vous en trouverez ici.
— By jove, sir, pour rien au monde je ne mangerais ou ne boirais un truc découvert ici. Même sous cellophane.
— Gann vous m’avez déjà faussé compagnie.
Je peux vous lier pieds et mains mais ce serait tout de même gênant.
— Non. Je ne m’échapperai pas.
Il supporta le regard du grand homme aux cheveux presque blancs, et ce dernier décida de lui faire confiance.
— Bien, allons-y !
CHAPITRE X
Le commodore Shelhy bourra sa pipe, l’alluma puis s’installa confortablement dans son fauteuil en examinant ses compagnons. Ce briefing se tenait quarante-huit heures après la mort du veilleur de nuit Herman.
Le lieutenant-commander Kovask lui faisait face, ayant à sa droite le jeune enseigne Michael, et à sa gauche un homme d’une quarantaine d’années au visage d’intellectuel. Des lunettes à monture fine accroissaient encore cette impression, mais des lèvres minces et un menton carré laissaient supposer une force de caractère peu commune. Son nom était Helliot et il était le grand patron de l’agence F.B.I. de Seattle.
— Il nous faut faire le point sur cette affaire, commença le commodore. En fait nous ne possédons que très peu d’éléments nouveaux, alors que bon nombre d’événements plus ou moins violents se sont déroulés.
Il racla sa gorge avant de poursuivre.
— Geoffrey Gann a été forcé d’obéir aux ordres du réseau, car ce dernier a enlevé sa femme. Les renseignements obtenus par l’instituteur et les vôtres, Kovask, concordent sur le nom d’un seul homme, Herman. Or ce dernier a été tué. Il semble que la femme de Gann soit passée à plusieurs reprises à Seattle dans l’entrepôt de la West Trade Compagny.
Se tournant vers Helliot :
— En quarante-huit heures vous n’avez pas perdu votre temps je crois ?
— En effet, fit le directeur de l’agence locale. Nous avons agi par personnes interposées. Des fonctionnaires de l’Interstate Commerce Commission et surtout du Trésor épluchent les livres, les registres et la comptabilité de la société. Le siège social est dans cette ville et c’est encore une chance.
Kovask intervint :
— Vous nous avec laissé entendre que le résultat était maigre.
— Oui, fit Helliot en lui dédiant un regard aigu. Nous avons déjà une certitude, la W.T.C. ne s’occupe en aucune manière de déménagements et il est très rare qu’un cadre soit entreposé chez elle.
— Pourtant Mrs Gann est très affirmative. De plus l’histoire de ce carillon permet de ne pas douter de ses déclarations.
Shelby s’agita :
— Justement. Comment a-t-elle pu entendre carillon alors que son … sa prison est insonorisée !
— Mrs Gann est musicienne et son mari a glissé un diapason dans sa valise. Des ondes, imperceptibles à l’oreille humaine, l’ont fait tinter. Elle a constaté le phénomène à heures régulières. Helliot reprit la parole.
— Nous avons également fait des vérifications discrètes dans les agences de cette société.
— À Sacramento également ? s’enquit le commodore, puisque la lettre reçue par son mari a été postée à cet endroit.
— Oui. Les bureaux et les entrepôts sont moins importants que ceux de Seattle, mais là-bas également on ne s’occupe pratiquement pas de déménagement. Les compagnies de transports routiers sont assez strictes sur ce point. Or la W.T.C. ne travaille que par chemin de fer.
Kovask s’était creusé pour imaginer comment Mrs Gann avait pu expédier sa lettre. Il lui avait nécessairement fallu une complicité ou une aide extérieure.
— Oui, dit Helliot interrogé à ce sujet. Nous avons demandé à tous les employés de gare, du simple lampiste jusqu’au chef de station. Rien. Personne n’a trouvé une lettre sur les voies.
Un silence suivit, avant que le commodore ne pointe son crayon vers Kovask avec une intention accusatrice.
— Vous avez pris la décision de laisser Gann s’embaucher à la W.T.C. Je trouve que vous avez agi à la légère. Comment un amateur pourrait-il trouver quelque chose là où des professionnels ont échoué ?
Helliot, contrairement à l’attente de Kovask, ne paraissait pas approuver le commodore. Cela l’encouragea à se défendre.
— Pourquoi pas ? Gann avait quand même retrouvé Herman sur les quelques indications fournies par sa femme. Savez-vous ce qu’il fait là-bas ? Ouvrier d’entretien. Il balaye dans tous les coins et effectue de petites réparations un peu partout. Il peut fouiner tout à son aise sans jamais paraître suspect.
— Nous avons également examiné ces journaux fonciers trouvés chez Herman, mais nous n’avons rien découvert. Toutes les agences immobilières, le Land Management, les hommes de loi sont alertés. C’est un travail énorme qui ne pourra porter ses fruits que d’ici quelque temps, mais ça donnera peut-être quelque chose.
— En Alaska nous cherchons toujours le pilote et l’avion qui avaient transporté Menis et Ladan jusqu’à Galena, annonça le commodore. Rien de nouveau jusqu’à présent. L’appareil peut être venu du Canada voisin.
Helliot dit ensuite qu’on avait interrogé à nouveau Ladan et son coéquipier, mais cette séance n’avait rien donné de nouveau.
— Nous allons donc être obligés de les inculper, et ils vont pour ainsi dire nous échapper.
— J’en reviens à Gann, fit le commodore. Et s’il nous échappe à nouveau ? Il doit répondre d’une grave accusation. Sa liberté provisoire est tout à fait illégale. Il doit comparaître devant un juge et payer une forte caution pour obtenir son élargissement. Je sais que tout cela donnerait une publicité gênante à l’affaire. La seule chose possible est de faire comme si nous ne l’avions pas encore découvert, mais s’il s’enfuit une nouvelle fois le risque sera grand…
Quand la réunion fut terminée Shelby retint un moment Kovask.
— Que pensez-vous de votre jeune adjoint ? Le lieutenant-commander se mit à rire.
— Il ne va pas trop mal. Il lui faudra cependant un stage de perfectionnement pour en faire un agent honorable.
Il rejoignit Michael dans la voiture.
— Le vieux vous a parlé de moi hein ?
— Vous êtes un être trop futé pour rester longtemps à ce grade, dit le lieutenant-commander. Où vous allez faire une carrière fulgurante, ou vous vous retrouverez en train de laver le pont du « Iowa ».
Comme ils s’immobilisaient dans le parking de leur hôtel, un homme s’approcha d’eux et ils reconnurent un agent de l’équipe d’Helliot.
— C’est le patron qui m’envoie vers vous. Il y a du nouveau.
— Mais nous venons de le quitter.
— L’information était arrivée entre-temps. Votre instituteur a disparu depuis hier soir.
Michael poussa une exclamation de stupéfaction, alors que Kovask crispait ses mâchoires.
— Mais le plus fort, c’est qu’on ne l’a pas vu quitter les entrepôts. Il semble s’être volatilisé.
CHAPITRE XI
Une seule rame de wagons avait quitté l’entrepôt de la W.T.C. depuis l’arrivée de Geoffrey Gann. Elle fut immobilisée en gare de Seattle sur une voie de garage, et immédiatement cernée par vingt G’men armés jusqu’aux dents. Kovask était furieux. La rame ne comportait que cinq wagons. Quatre étaient emplis de sacs de farine, et le cinquième de bouteilles de jus de pomme. La fouille dura jusqu’à midi et Gann ne fut pas découvert.