— Trop fournie pour être sauvage. On a dû la semer là à dessein.
— Certainement, dit Helliot. C’est du bon gazon qu’on n’a pas tondu.
La porte montée sur rail était verrouillée, mais le responsable du F.B.I. avait prévu le coup. Il sortit une trousse de parfait cambrioleur et dégagea le pêne.
— Les roulements ont été récemment huilés, constatait Shelby accroupi dans l’herbe.
De fait, malgré son poids et sa vétusté apparente, elle roula facilement.
— Nous voilà dans l’entrepôt de la Maison, ils pénétrèrent facilement dans le hangar puisque la voie ferrée elle-même y accédait. Tout de suite le regard de Kovask fut attiré par des boîtes de conserves de toutes sortes entassées dans un coin.
— Fabrication récente. Regardez pour le lait. À consommer avant le 31 juillet de l’année prochaine. Je crois que nous approchons du but. Il faudra inspecter tout ça. Il se peut que madame Gann ait laissé un message, mais j’en doute. En fait elle devait être au courant des activités secrètes exigées de son mari par ses ravisseurs. Elle savait qu’en faisant appel à la police elle risquait de l’envoyer en prison. Gann nous a dit d’elle qu’elle possède beaucoup de sang-froid et une grande intelligence. Les indices qu’elle a dû laisser ne devaient donc être destinés qu’à son mari.
Helliot, à quatre pattes sur le sol, flairait une tache blanchâtre entre les voies.
— Hum ! Je crois que …
Il promena son doigt dessus, présenta ensuite celui-ci à sa langue.
— Carbonate de sodium certainement.
Son expression devint gênée.
— On a certainement vidangé là un W.C. chimique. Vous savez ces trucs qu’on emploie dans les caravanes ou les bateaux de plaisance ?
Il se releva, essuya ses genoux.
— Je vais quand même prélever un peu de cette terre pour plus de certitude.
Shelby furetait également un peu partout, tandis que Michael retournait du bout du pied quelques boîtes de conserves. Il avait l’air de s’ennuyer profondément.
— Et ça ? dit le commodore.
Une bande de papier paraffiné qu’il extrayait du tas d’ordures.
— Elle entourait une boîte de filets de saumons. Regardez ce qu’elle représente.
La marque était bien connue par son petit Esquimau hilare brandissant son harpon. Tout autour on avait tracé une forme assez curieuse.
Shelby triomphait devant la tête que faisait Kovask.
— Vous ne voyez pas hein ?
— C’est fait au crayon, et avec une telle adresse qu’on croirait que cela fait partie du dessin original.
— Ouais. Moi qui passe mon temps devant la carte des Aléoutiennes je reconnais bien ce contour. C’est celui de l’île de Kena. Alberta Gann avait destiné ça à son mari. Lui aussi connaissait bien les contours de l’île puisqu’il les faisait certainement étudier à ses enfants dans ses leçons de géographie locale.
— C’est la meilleure preuve du passage de la jeune femme.
Helliot soudain se dressa :
— Écoutez.
Des notes cristallines leur parvenaient.
— Le carillon suisse de l’église. C’est l’heure de l’Angélus ! s’exclama Michael.
— Satisfaits ? Nous savons maintenant que le Wagon où elle est enfermée séjourne ici. Il ne nous reste plus qu’à l’identifier. Ce ne sera guère facile.
— Oui, renchérit Kovask. Herman devait réceptionner le wagon parmi les dizaines d’autres. En pleine nuit il le détachait, s’arrangeait pour l’entreposer ici. Il lui fallait bien deux ou trois jours pour le réapprovisionner, et surtout retrouver des circonstances favorables pour le relancer dans le circuit.
Helliot, qui s’était éloigné, revint avec plusieurs de ses hommes.
— Fouillez attentivement tout ça et mettez de côté ce qui vous paraîtra digne d’intérêt. Avertissez-moi des découvertes importantes. Nous rentrons à la maison. Les renseignements sur Matson ou ses héritiers doivent être arrivés.
Durant le trajet aucun ne parla. Tous sentaient qu’ils brûlaient, du moins pour cette première partie de l’énigme. Restait à découvrir le grand patron du réseau et l’explication des diffuseurs de brouillard.
Sur son bureau, Helliot trouva des textes de télétypes et une série de notes glanées dans les bureaux ferroviaires.
— Écoutez. La compagnie Matson a été rachetée par un certain Maner demeurant à Sacramento, pour le transport de matières inflammables …
— Sacramento, là où a été postée la lettre d’Alberta Gann. Mais ensuite ? Est-il question de cadre de déménagement ?
Kovask se penchait anxieusement vers les notes.
— Non. Ce Maner a acheté trois wagons-citernes seulement. Il utilise le vieil entrepôt de la Matson lorsque ses wagons viennent dans le coin. On a fait le nécessaire à Sacramento, auprès de l’agence locale du F.B.I.
La nuit était tombée lorsque les renseignements arrivèrent. La société, dirigée par ce Maner, était peu importante et n’occupait qu’un tout petit bureau dans un vieil immeuble. Le personnel se réduisait à une vieille fille secrétaire qui prenait les commandes, assurait les contacts avec la Western Pacific. Maner louait ses wagons à des entreprises aussi peu importantes que la sienne, des sociétés vendant des carburants spéciaux pour l’industrie.
— Ce Maner a bien des entrepôts ?
— Oui. Un simple hangar non loin de la station du Western Pacific. La vieille fille a déclaré que son patron était constamment en voyage, et lui téléphonait presque tous les jours. D’autre part il ne lui rend visite que tous les quinze jours environ.
— Bien louche tout cela.
Shelby se tourna vers Kovask.
— Vous partez pour Sacramento et vous vous mettrez en contact avec le collègue local d’Helliot. Il nous faut ce Maner d’ici quarante-huit heures. Il va certainement téléphoner à sa secrétaire et il suffira de localiser la ville d’où vient le coup de fil.
— Oui, dit Helliot. Une équipe volante sera mobilisée jour et nuit dans chaque état, prête à bondir dans cette — ville-là. Il nous manque une photographie de ce Maner, ou du moins une description.
La pluie attendait Kovask et Michael à l’aéroport de Sacramento. Le voyage avait duré un peu plus de deux heures, et l’enseigne se plaignait d’avoir faim.
Un type vêtu d’un imperméable sombre et d’un chapeau de toile les attendait à la sortie.
— Le patron vous attend, dit-il laconiquement.
Ils montèrent dans la Buick spéciale à la longue antenne de radio. Le collègue d’Helliot se nommait Schoder. Une sorte de géant au sourire enfantin. Il broya leurs mains, les pria de s’installer et leur offrit un verre. Complètement différent d’Helliot, mais il n’avait pas chômé dans cette affaire-là.
— Vous allez voir miss Buck, la secrétaire. Nous lui avons simplement dit que son patron était inculpé dans une affaire de contrebande d’alcool. Les wagons-citernes de la société en transportent souvent.
— Entendu, dit Kovask.
Pour une vieille fille la secrétaire était encore bien conservée, et lorsqu’elle croisa ses jambes, les deux marins admirèrent leur galbe. Miss Buck avait l’air décidé.
— Je ne le vois que tous les quinze jours. La dernière fois remonte à la semaine dernière. Il arrive le matin et repart dans l’après-midi. Il voyage en avion. Je suppose qu’il traite d’autres affaires. Il vérifie mon travail et s’inquiète de connaître l’itinéraire de nos trois wagons.
Kovask lui demanda s’il ne s’inquiétait pas d’un wagon en particulier.