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— Le F.B.I., dit-il soudain, possède dans ses fichiers le nom, l’adresse et le modus vivendi de tous ces gars qui, faits prisonniers par les Chinois, ont été ensuite libérés.

Shelby le regarda avec effarement.

— Vous voulez que l’enquête se disperse de la sorte ?

— Non. Mais pourquoi ne pas faire avec tous ces renseignements contenus dans le fichier, ce qui a été fait avec les annonces immobilières. Une sélection préférentielle par les cerveaux électroniques. Nous obtiendrons trois ou quatre noms. Peut-être les titulaires ont-ils été contactés par « Ferguson ».

Shelby secoua la tête d’un air navré.

— Mon garçon nous sommes sur cette affaire depuis bientôt trois semaines. Nous avons beaucoup demandé au F.B.I. beaucoup trop, et je crains que si nous exigeons autre chose ils ne s’emparent totalement de l’affaire. Ce serait démoralisant pour notre service. Déjà nous sommes un peu à la traîne de la C.I.A. Cela nous ferait énormément de bien de réussir par nous-mêmes.

Il leva la main pour arrêter le lieutenant-commander.

— Je sais. Chez nous les fichiers du genre F.B.I. ou C.I.A. n’existent pas. Nous ne sommes pas des flics mais des marins. Les diffuseurs ont été installés autour de nos bases. Nous devons éclaircir la chose nous-mêmes.

— Et compter sur ce brave Luang, fit Kovask maussade.

Il se leva.

— Je sors faire un tour.

Une demi-heure plus tard il se promenait dans la foule de Chinatown. Il n’espérait rien de cette flânerie sinon se mettre un peu dans l’ambiance. La nuit venait et il y avait beaucoup moins d’Américains blancs dans la foule. Personne ne faisait attention à lui et ce n’était pas la première fois qu’il venait dans le quartier. Il but un verre dans un bar encombré de marins. Tout en écoutant les conversations il pensait à Ferguson. L’homme avait si soigneusement cloisonné son réseau qu’il devait tout de même éprouver un sentiment terrible de solitude dans cette ville. D’autant plus qu’il sentait la meute du F.B.I. et de l’O.N.I. s’acharner. Il essayait de se mettre à sa place, d’imaginer le genre de vie qu’il aurait choisi. Pas de famille évidemment. Ni femmes, ni amis, même pas de relations trop assidues. Il lui fallait une occupation de couverture. Un travail honorable, mais pas trop astreignant.

Levant la tête il aperçut la banderole qui pendait dans un coin du bar, et sur laquelle on avait peint au pinceau des signes noirs. Il ne comprenait pas ce qu’ils signifiaient, et se demandait si les Chinois présents pouvaient traduire eux-mêmes. Évidemment les gosses en âge scolaire partageaient leur journée en deux pour suivre, le matin, les cours de tous les enfants américains, et l’après-midi ceux des maîtres chinois. Apprenaient-ils la signification des signes ?

Il revint assez déprimé de cette visite. Plus la nuit avançait et plus les Chinois prenaient vraiment possession de leur quartier. Les autres Américains se faisaient rares.

— Trente mille, se dit-il. Trouver un type là-dedans.

Ayant rejoint Shelby ils allèrent dîner dans un restaurant italien du quartier latin, parlèrent très peu de l’affaire. Ce n’est qu’en rentrant à l’hôtel que Kovask exposa ses idées.

— Combien de célibataires de plus de vingt-cinq ans là-dedans pensez-vous ? Je ne pense pas qu’un chef de réseau ait moins que cet âge-là.

— Sur trente mille ? fit le commodore sérieux. Je ne sais pas. Comptez-vous les femmes ?

Kovask hésita.

— Je ne sais pas.

— Mettons trois à quatre mille célibataires.

— Et parmi eux combien avec une situation qui leur laisse beaucoup de temps de libre ?

Shelby hocha doucement la tête :

— Pas si idiot que ça votre raisonnement. Mettons une centaine.

— Vous êtes optimiste.

Une fois dans sa chambre il téléphona à Luang et le petit homme l’écouta avec attention jusqu’au bout.

— Bravo, mister Kovask. Je n’y avais pas tellement songé. Je crois même que vos chiffres sont trop forts et que finalement nous pourrions nous interroger sur quatre-vingts personnes environ.

Malgré tout l’agent de l’O.N.I. n’était pas très emballé.

— Ce sont des hypothèses un peu en l’air évidemment, dit-il. N’escomptez pas en tirer grand-chose.

— Vous avez tort de douter de votre idée, mister Kovask. Personnellement je la trouve excellente et je vais donner des instructions dans ce sens. Je suis même certain que vous avez en tête certaines de ces occupations peu astreignantes.

Avec l’impression de confesser quelque chose de peu avouable Kovask répondit.

— Oui. Par exemple écrivain public. Il en existe encore chez vous. Dessinateur de banderoles. Petit artisan en chambre travaillant sur les nacres ou les ivoires.

— Merci, mister Kovask. Je vais voir.

Il se coucha sans grand espoir. Même si l’on trouvait quelques suspects, comment éliminer les innocents ? Cette partie de l’enquête lui faisait songer à ces verres vénitiens à long pied, si fragiles qu’une tonalité trop forte les réduit en poussière.

Luang téléphona à l’heure du breakfast que les deux officiers de marine prenaient ensemble.

— Nous avons travaillé toute cette nuit. Et ce matin nous avions isolé une dizaine de suspects. Mes hommes ont décidé de ne pas insister.

— Mais combien en aviez-vous sur cette affaire ?

Le Chinois eut un petit rire.

— Si je vous le disais vous ne me croiriez pas. À partir des archives des Six Sociétés ils ont fait un travail d’élimination, tandis qu’une équipe en liaison avec eux visitait les bars, les maisons de thé, les salles de jeux. Beaucoup de nos compatriotes vivent de nuit, et les propriétaires de ce genre d’établissements sont bien renseignés sur les gens de leur rue. Puis-je venir vous voir ?

— Nous vous attendons.

Le commodore et lui pensèrent que le Chinois avait téléphoné d’une cabine voisine, car moins de cinq minutes après il frappa à la porte de la chambre. Il portait une serviette de cuir noir sous son bras. Assis sur la pointe des fesses il accepta une tasse de café. Ensuite il présenta à ses deux interlocuteurs chaque dossier.

Kovask admira le travail. Chaque cas avait été examiné avec soin. Chaque individu se voyait doté d’un curriculum vitae d’une précision extraordinaire. On allait jusqu’à signaler les manies, les habitudes et les vices de chacun. Parmi les neuf dossiers trois concernaient des femmes.

— Nous avons évidemment éliminé les prostituées. Leur vie appartient à trop de personnes pour qu’elles puissent avoir une occupation occulte.

Jusqu’à dix heures ils travaillèrent d’arrache-pied. Luang téléphona à plusieurs reprises pour obtenir d’autres renseignements. Finalement ils sélectionnèrent trois dossiers. Celui d’une femme nommée Lian-Tchou qui exerçait la profession de « rénovatrice d’ivoires ». Âgée de trente ans elle louait une chambre dans un hôtel meublé, et travaillait chez elle. Moralité excellente, vie tranquille. À San Francisco depuis cinq ans seulement, venant de Formose. Une vieille tante lui avait envoyé l’argent du voyage et avait fait les démarches nécessaires pour l’Immigration.

— La tante est honorablement connue des Six Sociétés mais on ne peut jamais être certain. Depuis que la jeune femme est ici elle paraît s’être désintéressée de son sort.

Shelby paraissait fasciné par le dossier d’un certain Pheng-Ho.

— Écoutez. Originaire de la région de Pékin. S’évade de Chine communiste et arrive à Hong-Kong en 1956. Prend contact avec un agent de la C.I.A. dans cette ville, et lui fournit des renseignements précis et irréfutables sur l’installation d’espions communistes à Formose. Ses déclarations permettent l’arrestation d’un réseau de sabotage.